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Vers l’autre rive

De Kiyoshi Kurosawa

Sortie en salles le 30 septembre 2015

« Vers l’autre rive » apparaît comme un voyage mystique sur fond de romance crépusculaire.

Depuis longtemps Kiyoshi Kurosawa s’intéresse aux fantômes, présences récurrentes dans toute son oeuvre. Mais alors que jusqu’ici ses films se complaisaient dans le fantastique, comme si les fantômes s’évertuaient à une vengeance obstinée, cette fois le cinéaste donne au « revenant » une présence tendre et rassurante, toute en douceur, et c’est bouleversant.

Noyé depuis trois ans, le mari d’une jeune femme revient l’accompagner dans un long voyage afin de construire un passé commun pour leurs trois années de séparation et d’envisager un avenir ensemble. La « veuve », professeur de piano, n’est en rien surprise de voir surgir son mari dans leur appartement. Finis les ressentiments et les rancunes, une complicité paisible s’installe entre eux comme s’il fallait mesurer la précarité de la vie pour apprécier totalement combien le temps ensemble est précieux. Mais, ce temps est-il un rêve ? Nulle explication n’est donnée. Le réalisateur entraîne le spectateur en toute simplicité à suivre les personnages en s’attachant à une multitude de détails pour naviguer entre passé et présent, entre au-delà et réalité quotidienne, et il nous livre une belle réflexion sur le deuil, l’absence de l’être aimé, sur le visible et l’invisible.

Au Japon, on considère qu’un défunt est encore présent quelques jours après son trépas, le temps de régler quelques problèmes avant de partir définitivement. Cette porosité entre le terrestre et l’au-delà est une question de croyance, de culture. Kurosawa aime les figures de l’ombre, les personnages qui s’épanouissent en marge, le dialogue entre le monde des morts et celui des vivants, les passerelles entre le naturel et le surnaturel, les fantômes mêlés à la vie courante. Dans ses films (citons Kaïro en 2001, Shokusai en 2012), les morts vivent parmi les vivants, le temps que leurs présences s’annulent, le temps que leur corps s’estompent.

© Version Originale - Condor

Ainsi dans « Vers l’autre rive », l’homme revient pour rester un certain temps, ce temps durant lequel les morts restent auprès des vivants avant de disparaître à jamais. Dans un va-et-vient entre des passages de l’autre côté et la réalité commune du couple, le film suit le périple de la femme à travers les lieux et avec les gens qui ont marqué les trois dernières années du mari depuis sa noyade, avec des allers-retours entre son propre quotidien et celui de son mari défunt, Tokyo et la campagne, et le film circule avec la même fluidité entre les différents espaces et temps.

Ce sujet, puisé dans un livre de la romancière Kazumi Yumoto, donne l’occasion au réalisateur de prendre des distances avec la veine plutôt teintée de fantastique qui l’a souvent inspiré. Les fantômes ne sont pas forcément malfaisants et dangereux. Cette fois, les personnages existent à travers leur passé commun, leur passé manquant... Profondément humains et transformés en traversant le temps, l’homme et la femme se redécouvrent pour devenir un couple uni à jamais, tout à la fois dans les limbes et dans la réalité de leur vie commune. Si leur avenir demeure incertain, il est cependant apaisé et serein, rempli d’amour. C’est donc un film d’amour où un sursis est accordé aux amoureux, le temps de mieux se connaître, le temps d’ultimes étreintes.

Jamais, dans aucun film, l’accompagnement vers la mort ne s’est fait de façon aussi vivante qu’à travers l’histoire d’amour de ce couple. Partir et revenir, être là et ailleurs, tel est le thème poétique de ce film sans esbroufe, maîtrisé avec sobriété, prouvant que le cinéma est un art.

Acteur reconnu du cinéma japonais, Tadanobu Asano trouve le juste équilibre avec un jeu naturel pour être un revenant de l’au-delà, tout en étant dans la réalité quotidienne. Il forme un couple crédible avec Eri Fukatsu, une nouvelle venue remarquable.

Kiyoshi Kurosawa tourne actuellement son premier film français, « La femme de la plaque argentique », avec Mathieu Amalric, Olivier Gourmet et Tahar Rahim, et on ose supposer qu’il sera dans la sélection 2016 de la compétition cannoise !

Photo de Une : © Condor Entertainment

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