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CHRONIQUE D’UN GALERISTE : Des archives et des hommes - CHAPITRE 20 (Part II)

Couverture du Catalogue de l’exposition « Ecole de Nice ? » (18 mars – 18 avril 1967), galerie Alexandre de la Salle, Place Godeau, 06 Vence

Les débuts…

La galerie que j’ai ouverte à Vence, Place Godeau le 1er février 1960, m’a permis de montrer des artistes de l’Ecole de Paris (Atlan, Bissière, Gromaire, Soutine, Modigliani, Kikoïne, Krémègne, Tatin, Sourdillon, Wols, Magnelli, Derain, Dufresne, Picasso, Yankel, Vlaminck, Kisling, et bien d’autres ... ), Tatin qui était un personnage extravagant, inoubliable, dont Breton disait : « C’est toi qui t’avances maintenant, et l’on dirait que c’est à toi qu’ils ont transmis la charge de réveiller après eux toutes les dames des fontaines de vie ». Entre Tatin et moi il y a eu une grande amitié, de la complicité. Et maintenant, des souvenirs... Et puis c’était la première fois que je consacrais ma galerie à un seul artiste !

Vernissage Robert Malaval, Galerie de la Salle, 27 août 1966, Robert Malaval, Alexandre de la Salle, Francis Mérino (Photo Jean-Jacques Strauch)

Et Robert Malaval est venu…

Robert Malaval est venu me jeter dans la jeune génération, dans ce qu’on appelle l’Avant-garde ! Je l’ai exposé et soutenu jusqu’à la fin, le rencontrant à Paris, alors qu’il était devenu un personnage un peu maudit… C’est quelqu’un qui ne s’est jamais ménagé, préservé, il est allé jusqu’au bout de son délire poétique, c’était grandiose… et dramatique ! Et donc c’est lui qui m’a présenté certains personnages qui allaient former une Ecole de Nice que, comme l’a dit Arman, j’ai « fédérée ». Le 17 mars 1967, première expo (Ecole de ?), préfacée par Pierre Restany, voici un extrait de son texte :

 : Affiche de l’exposition « Ecole de Nice ? » (18 mars-18 avril 1967) Galerie Alexandre de la Salle, Place Godeau, Vence

New-Look

« Tout ça finit par créer un volume d’activités sympathiques et jeunes. L’atmosphère artistique de la Côte d’Azur semble avoir changé. C’est de cette sorte de new-look qu’Alexandre de la Salle a voulu rendre compte. Et pour que la mesure soit pleine, il n’a pas hésité à y annexer le prince-poète de Saint-Paul, André Verdet, ce bourlingueur des mers du sud et des mers du rêve qu’a toujours été François Arnal et enfin César, notre gloire nationale et marseillaise », écrivit-il entre autres, et par la suite il a préfacé toutes mes expositions « Ecole de Nice ». Et puis en 1970, cela a été « INterVENTION » avec Alocco, Charvolen, Dolla, Maccaferri, Miguel, Osti.

Pierre Restany et Arman à la Rétrospective César de la Vieille Charité en 1993 (Photo Frédéric Altman)

Deuxième galerie : Saint-Paul

Et le 20 juillet 1974, j’ai inauguré ma nouvelle galerie, à Saint-Paul, chemin des Trious, sur la route de la Fondation Maeght, avec 10 artistes de l’Ecole de Nice : Alocco, Arman, Ben, Chubac, Farhi, Gill, Klein, Malaval, Raysse, Verdet… L’exposition était accompagnée d’une litho d’Arman.
De la première exposition de groupe « Ecole de Nice » (1967), à la dernière (1997), Arman à chaque fois a produit une litho et une affiche. Pour l’exposition au Musée Rétif en 2010, il n’a pas pu, il n’était plus là.
Pour « Ecole de Nice ! » (Ecole de Nice Dix ans : 1967-1977), la nouvelle équipe était constituée de Alocco/ Arman/ Ben/Chacallis/Charvolen/Chubac/Dolla/ Farhi/ Flexner/ Gilli/ Isnard/ Klein/ Maccaferri/ Malaval/ Miguel/ Pinoncelli/ Raysse/ Venet/ Verdet/ Viallat
La Préface de Pierre Restany finissait par : La Côte d’Azur vit aujourd’hui dans la perspective floue d’une décentralisation culturelle reposant sur un marché local de l’art : ce qui n’est ni tout à fait vrai ni tout à fait faux, à mi-chemin entre le mythe et la réalité. Une Nice super-occitane serait-elle plus vivace ? Cela reste à démontrer. Pour l’instant toute l’ambiguïté du ferment localiste demeure et Nice est là pour affirmer que dans le Midi il se passe quelque chose de plus qu’à Lille et à Brest ; pour affirmer aussi que le midi de Nice n’est pas le Midi de Marseille. Avec quelques collègues dans le domaine de l’art contemporain, Alexandre de la Salle est là pour nous le rappeler. Et ce rappel à l’ordre relatif des choses, à la limite fluctuante de la réalité, s’incarne dans le point d’exclamation. Ouf, pourvu que ça dure, ce soupir d’ail dans l’air de Paris ! Quel signe symbolique nous réserve en 1987 la ponctuation de l’histoire niçoise ?!… (Pierre Restany, Août 1977)

En 1987, « L’Ecole de Nice … » était constituée de : Alocco, Arman, Ben, Chubac, Fahri, Gilli, Klein, Malaval, Serge III, Raysse, Sosno, Venet, Verdet. Pour « Ecole de Nice. » (1997), les nouveaux « inscrits » par moi étaient Max Cartier, Jean Mas, Bruno Mendonça, Nivèse, Bernard Pagès, Guy Rottier…… même si Jean Mas était déjà présent dans le catalogue de Ben « A propos de Nice » pour l’exposition au Centre Georges Pompidou en 1977, à la rubrique fabriquée pour lui tout seul « Mythologie individuelle/analyse » : « Mas 1973 La Cage à Mouches ».

Galerie Alexandre de la Salle (Saint-Paul) à ses débuts, telle qu’elle venait d’être construite, dans l’entrée, un tableau de Seund Ja Rhee

Fins de siècle dans la région niçoise (Claude Fournet)

Dans le catalogue de l’exposition « Ecole de Nice. » (1997), Claude Fournet a écrit :
Alexandre de la Salle s’interroge sur les « fins de siècle » dans la région niçoise ! Sous les fleurs ! Et que la multiplication des espèces sur un même champ de folâtres surgeons entrecroise jusqu’à for¬mer une seconde, puis une troisième récolte fleurie. Et pourquoi pas une quatrième qui ne vivra pas dans dix ans parce qu’elle est son propre pot de terre ! Après l’effet désherbant des mousquetaires réunis par Pierre Restany, joncheurs de sol à la façon d’Attila, il semblait qu’il soit peu vraisem¬blable que l’herbe renaisse. Et ce fut pourtant une nouvelle génération, dans les années soixante dix, coriace et rhétorique avec des supports et des sur¬faces qui permettent quelques belles envolées litté¬raires et des tableaux ou des œuvres que nous regardons aujourd’hui avec un autre œil, et qui nous racontent étrangement un certain plaisir de vivre. Dans les années quatre vingt, nouvelle poussée d’herbes vives, plus ou moins figuratives cette fois. Avec des noms collés au Sud ou sur ses rivages... Dans les champs de la nicéité, les collines ont leur place celle de Saint Paul de Vence, où officie Alexandre de la Salle, semble la préférée. Bien vivante qui plaide très peu pour l’enterrement d’un cadavre composté qui n’a jamais existé ? Est ce si important ? Les réseaux se tiennent souvent dans l’après pour raconter le passé comme un futur antérieur : jeux de mots et jeux de balle dans la folie générale que la Côte d’Azur distille avec éclectisme comme si ce dernier terme était son fond de nature.
Aussi les Ecoles de Nice, si l’on veut, peuvent ressembler à un Palais des Glaces. Il suffit d’y entrer et d’en sortir et de se réjouir de rencontrer des images multiples déformées, repoussées, contournées ou dépréciées de la neuve silhouette de celui qui s’y risque la première fois.
Dans ce jeu de cendre et de soleil, à la manière du œnix, Alexandre de la Salle aura été la mémoire d’un brassage qui n’en finit pas d’exister. (Claude Fournet)

Et en 2013, au Musée Rétif, pour l’exposition « 50 ans de l’Ecole de Nice » que m’ont offert d’organiser Mireille et Philippe Rétif, les derniers venus ont été Robert Erébo, alors qu’en 1971 il avait fait partie de l’exposition « Les Paravents » dans ma galerie de la place Godeau, et que ses collages étaient exposés en permanence, et puis Edmond Vernassa, Bernard Taride, et toi, Frédéric Altmann qui, en tant que photographe, avais été présent dès le départ, mais qui, surtout, dans les années 60, au sein de la Compagnie Les Vaguants, avais participé à « l’archivisme » précoce de Jacques Lepage… toi qui, en tant qu’acteur, avais participé à des concerts Fluxus, et qui avais été aussi l’une des voix privilégiées des concerts de poèmes d’André Verdet. Cela a tissé beaucoup de liens avec l’Ecole de Nice.

Cinquante et une expositions d’artistes de l’Ecole de Nice !

Pour résumer, dans le catalogue de l’exposition « Des archives et des hommes » se trouve la liste des cinquante et une expositions que j’ai consacrées soit à des « Ecole de Nice » en groupe, soit à des expositions individuelles d’artistes de l’Ecole de Nice. Cinquante et une !

La vie est plus belle que tout !

Pour résumer à nouveau, dans le catalogue de l’exposition « Les 50 ans de l’Ecole de Nice » au Musée Rétif , j’ai écrit :
… Cette dernière exposition doit être aussi importante que celle de mars 1967 par laquelle Arman déclara en 2000 que je « fédérai » l’Ecole de Nice. Elle doit être aussi importante, mais à l’inverse : tout ce qui naît doit mourir. Quand il s’agit de « Mouvements », ce n’est pas triste. C’est même indispensable. Car c’est au-delà d’un terme, d’une dissolution, d’une fermeture, que toute chose peut renaître à l’intemporel, à l’infini. Peut dépasser. Bien sûr les artistes qui un jour ont été inscrits ici ou là sous le label de Nice n’ont attendu ni la séance inaugurale ni la dernière séance, celle qui sera mise en scène par un happening de Pierre Pinoncelli, pour commencer leur œuvre, la poursuivre, la peaufiner. Leurs recherches, ils les ont certainement commencées dans l’enfance, sans le savoir (certains le savent), et en tous cas, dans notre région, en tant que ces adolescents ivres d’une certaine lumière, d’une certaine autorisation, invitation à vivre, et, à ce titre, contestataires des arts plastiques avant eux, de l’art de vivre tout court. (…) Mais « L’Ecole de Nice » reste un riche fleuve dont les crues ont fertilisé tout ce qu’elle a touché. Il est donc aujourd’hui indispensable de la réinterroger pour mieux percevoir la nature de cette onde tenace, indicible, qui traversa les artistes, traversa le Mouvement, traversa les Alpes-Maritimes, et, au dire d’Yves Klein, à travers eux, l’Europe, et donc le monde. L’occasion m’est donnée par Mireille et Philippe Rétif, je le répète, de revenir, en amitié et en exigence, sur ce qui s’est passé ici, entre col de Vence et Baie des Anges, pour faire crépiter les étincelles de la comète qui traversa le ciel des Alpes-Maritimes dans les années 60. Que chacun puisse s’en délecter pour dire avec les précurseurs : « La vie est plus belle que tout ! » (Alexandre de la Salle)

(A suivre)

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