Ensemble cette femme de 89 ans, aux cheveux en bol bicolore blanc et violet, et cet homme de 34 ans ont parcouru la France dans un camping-car photographique, et, au hasard de rencontres faites ici et là, ils ont pris des photomatons d’inconnus de la France profonde.
Ensuite ils ont mis en scène des collages muraux des photographies agrandies de ces sympathiques Français anonymes dont le cadre de vie est conté en résumé, avec bienveillance afin de montrer leurs « signes intérieurs de richesse » : syndicaliste, fermier, facteur, serveuse...
Les photos géantes sont collées sur les façades de leurs maisons : ferme d’un éleveur solitaire, village fantôme, ou encore coron du Nord.
Ainsi le duo d’artistes rend hommage à la poésie de métiers raréfiés à l’heure d’internet, tel un carillonneur qui fait l’éloge de la musique du clocher.
Agnès Varda voit de plus en plus flou, tandis que JR, hommes d’images, a une bonne vue, mais il cache ses yeux derrière des lunettes de soleil, ainsi son regard nous échappe.
Malgré leur manque de vue, ils gardent un regard amusé et ironique sur des situations souvent insolites, mais aussi un regard tendre sur ces vies qui pourraient sembler banales. Avec ces photos géantes, ils font des héros de gens soi-disant petits.
Dans cet hommage rendu au hasard, rien n’est prévu d’avance, ni organisé. Ce duo trans-générationnel se déplace à tâtons, sans faux-pas. L’énergie et la mélancolie se mêlent au cours des étapes de cette virée tout en finesse et poésie. Malgré des personnalités aux antipodes et des démarches qui semblent fort différentes, ces deux originaux, par leur association artistique, donnent un film des plus amusants, qui, sans rien dire d’essentiel sur la France, développe un message qu’on pourrait résumer par : « tous sont différents et chacun est unique ». Car, chacun a une histoire particulière.
On s’amuse aussi du look incongru de Matthieu Chédid en charge de la musique.
Par son talent, il ajoute du rythme et de l’humour à un film qui n’en manque pourtant pas.
Si la virée de « Visages, villages » évoque celle des « Habitants », le documentaire de Raymond Depardon, ce n’est que par le choix de l’Hexagone, car l’intention est totalement différente. La réalité n’a pas la même place dans ces deux films. Loin de toute sociologie, « Visages, villages » est un film-mémoire qui prouve combien le cinéma est l’art du temps.
Le cinéma est une mémoire du temps qui passe : des instants éphémères peuvent devenir éternels.
A la fin, le duo va s’écarter hors de France pour aller en Suisse tenter de rencontrer Godard. C’est celui-ci qui exprimera le dernier mot, pas vraiment inattendu !
La complicité créatrice (et grandissante) entre les deux réalisateurs - et l’angle d’où ils racontent leurs rencontres - donne un film malicieux et touchant de deux extravagants.
A voir absolument ! On se régale !
Caroline Boudet-Lefort