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Fin de cet événement Janvier 2016 - Date du 2 décembre 2015 au 2 janvier 2016

Mia Madre

Film de Nanni Moretti

Depuis plus de trente ans, Nanni Moretti narre son « journal intime » cinématographique avec un vague maquillage de fiction. Même dans « Habemus Papam », où Piccoli jouait un Pape qui a un sentiment d’inaptitude par rapport aux attentes qu’on porte sur sa fonction, Moretti parlait de lui.
Dans « Mia madre », il est double. D’une part, il interprète un second rôle de frère dévoué et protecteur, et, d’autre part, il se dissimule sous les traits de son actrice principale, Margherita Buy qui joue une cinéaste obsessionnelle invectivant tout le monde sur le tournage de son film politique. Elle est d’autant plus énervée et angoissée qu’elle vient de vivre une rupture avec son compagnon, que sa mère en fin de vie perd la boule et que sa fille en pleine crise d’adolescence la déconcerte. Comment faire face à ce trop-plein d’événements ?

D’autant que s’ajoutent les problèmes de tournage de son film sur un patron qui largue des ouvriers. La cinéaste y dirige un célèbre acteur américain (John Turturro) qui lui en fait voir de toutes les couleurs : cabotin capricieux et narcissique, il est incapable de dire son texte, ce qui oblige à recommencer inlassablement les mêmes scènes. John Turturro est désopilant, exubérant à souhait. Il introduit le comique du film et le spectateur passe de façon inattendue de l’émotion au rire. Jamais au cinéma tragédie et comédie ne se sont si bien accordées.
Jonglant narrativement avec la réalité et l’imaginaire, Moretti montre de belles séquences de rêves de la cinéaste qui cauchemarde en parlant à sa mère morte. Au réveil, son appartement est inondé. Inondé de larmes peut-être. Une remontée de souvenirs s’infiltre dans sa tristesse flottante et s’insinue afin de signifier les états d’âme qui l’envahissent tel ce sentiment de culpabilité d’être à côté d’elle-même et non face à une réalité qui l’assaille de toutes parts. Réalité, fiction et fantasmes s’enchaînent et se mêlent. Ainsi, cette sorte de rivalité inéluctable entre frère et soeur lors d’un deuil familial, tandis que tous deux se soutiennent aussi mutuellement. Une multitude de petits détails expriment l’ambiguïté de leurs sentiments. Leur mère était prof de latin très aimée de ses anciens élèves qui viennent la voir, et Nanni Moretti raconte que cela arrivait à sa propre mère, également professeur de grec et de latin. L’émotion est alors à son comble, surtout sachant que c’est suite à son décès qu’il a conçu ce film lié à sa propre histoire. Il voulait y parler de la transmission, de ce qu’une génération lègue à la suivante. Giulia Lazzarini, actrice de théâtre bien connue en Italie, interprète la mère avec beaucoup de sensibilité.
Moretti montre combien la cinéaste engagée est désorientée tandis que ses certitudes volent en éclats et que la réalité est aussi envahissante. Comment pourrait-elle ne pas douter de ses capacités ? De même que son alter ego féminin (bravo pour ce choix !), Moretti aurait pourtant bien tort de douter. Force est de constater qu’il fait montre d’une maîtrise admirable en gardant toujours la juste distance avec le pathos. Dans ce film très personnel, il n’a jamais été autant en pleine possession de son art en abordant ses trois thèmes de prédilection : politique, cinéma et vie privée.
Palme d’or en 2001 pour « La chambre du fils » et Prix de la mise en scène en 1994 pour « Journal intime », il semble vraiment incompréhensible que ce film – notre préféré de la compétition - soit reparti de Cannes les mains vides. Le cinéma italien n’avait vraiment pas la baraka cette année !

Sortie en salles le 2 décembre 2015

Photo de Une : Margherita Buy dans "Mia Madre" © Alberto Novelli

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