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Chapitre 56 (Part V) : Sur la piste des éléments

Suite et fin de la chronique de France Delville...

Papiers, patines et formes arachnéennes

Pascale Dupont, née à Lyon en 1953, vit et travaille à Carros depuis 1990, où elle est très active, intervenant en milieu scolaire (arts plastiques), et comme co fondatrice de l’Association « Oscarr ». Elle est aussi membre du collectif « stArt » (Nice). Ses expositions personnelles récentes ont été, en 2011 : « Variations énigmatiques » à la Villa Soleil (Nice), organisée par stArt qui a édité la très belle plaquette, et aussi « Cubes d’artistes » à la Chapelle des pénitents blancs (Vence). En 2009, dans un partenariat Ville de Carros/Education Nationale : une fresque pour l’Ecole Jean Moulin de Carros. En 2007 : exposition « Papiers, patines et formes arachnéennes » au Centre Culturel la Coupole la Gaude. En 2006 : exposition en Suisse. En 2005 : « Les 5l èmes hurlants » (Atelier – Carros Village), etc.

Dans l’exposition de la Galerie du Château (Vence)

Boîtes aux lettres d’amour

Concernant les expositions collectives, il y eut en 2011 : « Enfermement / Liberté », pour stArt, à La Brigue, en 2010, à la Galerie Matarasso, présentation du porte folio pour « 20 ans de stArt », ainsi qu’à la Médiathèque André Verdet (Carros), en 2009 : « Le Monde Blanc » (stArt), Galerie des Cyclades (Antibes), ainsi que « Interrogations  », à la Maison des Artistes (Cagnes), « Les Recyclacles » à Mouans Sartoux, « Boîtes aux lettres d’Artistes » à la Chapelle de Beaulieu. En 2008 : « Boîtes aux lettres d’amour » pour Oscarr (Carros), « Chemin de Noël » dans les rues du village de Carros, « A poils, à plumes, à cornes », pour stArt (MdA/Cagnes), « No Limit » Entre l’Art, L’entreprise, l’Innovation (Cari), en 2007, un ex-voto dans l’exposition « Beau comme un symptôme » au CIAC (Carros), etc.

Vue sur l’Estéron depuis l’exposition

Variation matérielle

En 2006, Michel Gaudet avait écrit : « Pascale DUPONT rompt la tradition élémentaire du matériau : toile, papier, parcheminé ou non, bois poli, couleurs industrielles... Une aventure d’exploration la conduit depuis des années vers la recherche, vers la découverte de bois usés, de planches, de cartons et de papier de chiffe. La matière première est là, rugueuse, tactile, terrienne, déjà riche de teintes ferrugineuses, d’ocres, d’or et d’argent potentiels.
On l’imagine aux aguets, prête à supputer les miracles, les trouvailles, à matérialiser des rêves. Puis le miracle s’accomplit en gestation émotionnelle ; le rustique s’affine ; la planche rude devient support ou directrice, les brisures se rythment ; l’éclat s’organise, devient précieux, offert à l’ajout d’autres matières ; les couleurs naissent, autorisant le maintien du naturel ou l’émulsion innovée... Pascale Dupont nous propose des pièces murales, des bas-reliefs, des paravents, d’abstraites sculptures. Energétiques, des verticales les assument, et comme structures et comme motifs. Elles s’assujettissent le complément d’horizontales, variées, indépendantes, exprimant imaginations et détails, textures de sinuosités parfois arachnéennes.

Plaquette stArt éditions, 2011

Cet univers est souverain, champ de stabilité avec mesures tacites mais vraies. Il offre la plénitude des harmonies sourdes où l’éclat est conquérant. Variation matérielle, certes, puisque construite et palpable, il possède l’intensité des méditations, l’aisance naturelle de la réalisation bien conçue. Un art dans l’acception du terme qu’il nous sied de contempler. (Michel Gaudet, 2006)

Personnages recueillis

Mais qu’en était-il de la figuration dans l’œuvre de Pascale Dupont il y a une dizaine d’années ? Un article de Paule Stoppa nous renseigne, c’était à l’occasion d’une exposition en décembre 2002 à la Galerie du Château (Vence), un article dans le Patriote :
« Depuis le 14 décembre 2002, Pascale Dupont a mis en place, dans la galerie du Château, et pour la seconde fois Cyril Mendjisky avait, au cours de l’été, déjà accueilli, et avec succès de tels travaux , ses toiles récentes, ses sculptures. De cette artiste, on a pu voir, en septembre, aux Collettes, une grande sculpture, « Les Pénitents », groupe de trois personnages debout, recueillis, tout entiers tournés vers eux mêmes dans leur robe de bure ocre. Le support est ce grillage qu’affectionne l’artiste, à partir duquel, maniant la terre, le ciment, la chaux, les pigments, elle donne le jour à ces figures verticales semi abstraites, en groupe souvent de trois, de six , manipulant avec délectation ces matières qui portent la trace de la paume, des doigts qui pétrissent ou nivellent, inventent et créent une patine dont on imaginait que seul le passage des siècles pouvait assurer l’existence, et de la couleur, l’émouvante tonalité. « J’aime, dit Pascale Dupont, le côté brut, affiné ensuite ». Ocres, vert bronze ou couleur terre, ces êtres haut levés, le corps sous les plis de la robe, de la bure, la face qu’on devine à peine, la tête penchée au dessus d’un cou que désignent sans interruption brutale la ligne et le volume en creux du matériau qui les composent, ces êtres d’un seul bloc sont partie prenante de la nature, des rochers, des pierres, issus de la même origine, de cette « ténébreuse et profonde unité / Vaste comme la nuit et comme la clarté ». [1] Sur les cailloux de la plage, la courbe d’un rivage, l’oblique d’une colline, celle, inverse d’un ciel nuageux, sur le miroitement de la mer, se dresse, dans sa verticalité souveraine, sa relative éternité cet humain, cet autre nous mêmes. Ni menhir, ni gisant, ni statue, comme eux pourtant chargé d’histoire.

Plaquette stArt éditions, 2011

C’est une sculpture qui accueille le visiteur. Elle occupe l’espace de la vitrine : deux per-sonnages montés sur piédestal, nus, qu’un grillage rassemble Complot, dit le titre, précédés à l’extérieur par un paravent de papier dont le fond bleu supporte un personnage blanc et nu, de trois quarts, les genoux fléchis, une barre à hauteur du sexe. Pascale Dupont a travaillé avec des modèles vivants. Le corps nu, souvent asexué, dont les courbes sont parfois accompagnées, soulignées de noir, habite nombre de ses sculptures et de ses toiles. Car, entre ces deux disciplines, sculpter, peindre, l’osmose ici est évidente. Exemple : ce couple nu dont les corps ocre, les attitudes, cernés de noir, sont pourtant de même couleur, de même matière que le fond ocre et, comme lui, taillés dans le même espace coloré, que relèvent quelques fulgurances de rouge...
Osmose encore entre peindre et sculpter, dans l’utilisation par l’artiste, des matériaux de récupération : une porte devient paravent, trois panneaux de bois de hauteur inégale et peints constituent un original triptyque où sur fond beige revient une image de femme des palettes servent à l’édification de créatures dont on ne peut douter qu’elles sont humaines, si dépouillées et abstraites soient elles. Que l’acquisition du métier de sculpteur ait conduit Pas-cale Dupont au travail volumétrique avec la terre d’abord explique sans doute sa prédilection pour les ocres, les beiges, les roux. Ce qui ne limite en rien la forte présence des bleus, jaunes et tout autre couleur qu’elle intègre à l’envi dans le travail du bois. L’artiste, en effet, s’est essayée à toutes les techniques, au travail de collage, au marouflage sur bois. La galerie du Château présente avec bonheur quelques aspects de ce travail où tout matériau, bois, papier, jute, toile, carton, tout peut devenir support et prétexte. A la délectation de la matière créée, manifeste pour la sculpture avec ciment, chaux, poudre de marbre, vernis à base de résine , répond, pour la chose peinte, l’utilisation gourmande, heureuse et variée des éléments que la nature, la production sociale, le hasard et la recherche, proposent à la créativité de l’artiste. A ce qu’elle en fait. Ainsi de ce personnage nu, sur toile, le dos tourné : des papiers peints déchirés et collés s’intègrent, participent à sa construction rigoureuse. Huit autres, dans un cadre étroit et long, horizontal, nus toujours, sont « mis en scène » sur fond bleu. On dirait d’une danse un instant arrêtée. Et quel charme, ces papiers faits main par l’artiste elle même, déchirés, broyés, collés sur bois et peints : dix coquilles d’où sortent dix personnages, superbement distribués dans l’espace étroit et long d’un cadre haut placé. Quelle merveille aussi que ce livre émouvant, papier fait main, pages irrégulières, accompagné de figures, dessins, textes, tout à la fois grimoire, missel, manuscrit, qu’on croirait nanti de pouvoirs occultes, formules anciennes, mots de passe oubliés...
Une «  magique étude  », oui, « du bonheur/Que nul n’élude  » [2] (Paule Stoppa)

Pascale Dupont dans l’exposition

Libri miraculorum ?

Au printemps 2007, Pascale Dupont avait trouvé tout naturellement sa place dans la partie « Ex-voto » de l’exposition « Beau comme un symptôme » (CIAC), dont j’avais été commissaire, mais toute son œuvre reste pour moi aujourd’hui empreinte d’une sorte d’esprit de conjuration, toutes ces pièces, diverses, faites de matières accolées, brutes et polies jusqu’à l’état de bijou, ne sont-elles pas toutes comme des libri miraculorum qui seraient tirés de la pierre, de la feuille, de la rouille, de la mue pour faire advenir une beauté apte à écarter les forces obscures, dans une transe que, peut-être, elle appelle rêve, mais n’est-ce pas, aussi, qu’ayant monté à chaque fois le décor d’un chant incantatoire, elle soit capable de laisser se produire une sorte de musique des sphères, dans une alchimie codée et exquise qui allie de manière secrète le liber et le liber  ? Livre se dit écorce, chez Pascale Dupont.

Pour relire la première partie de cette chronique.

Pour relire la deuxième partie de cette chronique.

Pour relire la troisième partie de cette chronique.

Pour relire la quatrième partie de cette chronique.

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