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CHAPITRE 6 (part II) : Pierre Restany sans qui l’Ecole de Nice ne serait pas ce qu’elle est...

Suite de la chronique d’Alexandre De La

Frédéric Altmann – Jean-Pierre Mirouze est en train de faire un film très attendu sur l’Ecole de Nice, d’après un scénario passionnant, et le 20 novembre 2008, il m’avait envoyé une lettre qui parle, comme tu le fais, des « commencements », de « l’acte fondateur ». Il a connu tous les acteurs de cette aventure (son scénario s’intitule « Les aventuriers de l’Ecole de Nice »), leur fait un sort à chacun, et à un moment il évoque « Claude Gilli, bouleversant de sensibilité azuréenne et de courage » qui les avait rejoint dès les premiers jours, et Robert Malaval : « Je regrette tous les jours le départ de Malaval dans les étoiles, celui qui avait su faire déborder au-delà du corps la galaxie neuronale ». Et il termine par : « Pour comprendre le phénomène de l’École de Nice et le bouillonnement artistique de cette ville, j’ai une proposition à te soumettre. Moi-même, niçois, j’ai subi l’influence exceptionnelle de ce lieu. Habitant la Promenade des Anglais, j’avais derrière moi la ville avec ses habitants au quotidien, ses immigrés de toutes cultures, ses commerces multiformes, ses boutiques de la consommation vouées à la survie, au paraître et à la mémoire de l’acquis. Devant moi, plein sud, la mer et le ciel, c’est-à-dire rien, un espace immense d’ouverture au désir et à l’imagination. Comme pour les prophètes méditant dans le désert pour préparer l’ensemencement du monde, Nice à ce privilège : la Baie des Anges est la rive magique de l’avènement. (Jean-Pierre Mirouze, Paris, jeudi 20 novembre 2008)

Alexandre de la Salle – Oui, Jean-Pierre est un poète, parce qu’il est aussi un musicien : il vibre à toutes les résonances. Et finalement Claude Gilli est aussi un poète à sa manière. Quand il dit avoir renoncé aux pinceaux pour la scie électrique, et ensuite à la scie électrique pour les escargots, c’est assez surréaliste, quoique très réaliste : il l’a vraiment fait. Dans mon catalogue de « Ecole de Nice ! » (point d’exclamation), il y avait son « Travail de 7 escargots » (1976). C’est fou ce que c’est graphique.

« Travail de 7 escargots » (1976) dans le catalogue de l’exposition « Ecole de Nice ! » 1977
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Dans ce catalogue sous-titré « École de Nice, Dix ans 1967-1977 », Pierre Restany écrivait :
« Dix ans se sont passés depuis que j’ai préfacé chez Alexandre de la Salle, alors à Vence, l’exposition « École de Nice ? » : parmi les invités, Alocco, Arman, Ben, César, Chubac, Farhi, Gilli, Yves Klein, Malaval, Raysse, Venet, Verdet, Viallat. Choix personnel d’Alexandre de la Salle, éclectique et heureux, repris à juste titre en 1977. Ce qui comptait dans mon texte de 1967, c’était le point d’interrogation. La réponse ou quelque chose comme la caricature d’une réponse, a été donnée récemment par Ben qui a présenté l’argument « A propos de Nice » du 31 janvier au 11 avril au Centre National d’Art et de Culture Georges Pompidou. L’École de Nice en programmation inaugurale à Beaubourg : Paris fait semblant de consacrer son existence, et le point d’interrogation se change en point d’exclamation ! Un point d’exclamation qui marque la dimension respiratoire du phénomène. Nice fonctionne comme un soupir-relais dans le système d’inspiration/expiration parisien. Ce phénomène respiratoire a débuté avec le souvenir mythique d’Yves Klein, l’inlassable énergie d’Arman, la flambée de gloire mythique de Martial Raysse. Arman et la section niçoise du Nouveau Réalisme ont fixé sur la Côte d’Azur un fort appel d’air moderniste. Ben y a introduit le courant Fluxus, vite enrichi de 1965 à 1968 d’un appendice en forme de cédille qui sourit. Autour du 32 rue Tondutti de l’Escarène se sont polarisés quelques écarts de comportement dont les éclats les plus sonores furent signés Pinoncelli ou Serge III Oldenbourg.

Coulée de Gilli dans l’exposition « Ecole de Nice. » (1997), Galerie Alexandre de la Salle
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Seul fait notable de la décennie 1967-1977, à part l’inepte jumelage Nice-Le Cap en 1974, l’influx imaginatif s’est transféré à l’autre bout de la rue de l’Escarène, où se trouvait l’ancienne École des Arts Décoratifs. Les élèves de Viallat en 1964, Chacallis, Charvolen, Isnard, Maccaferri, Miguel se retrouveront six ans après pour fonder le groupe 70 dont la présence dans l’actuelle exposition d’Alexandre de la Salle constitue l’atout majeur par rapport à la manifestation de 1967 - Chacallis et Isnard quitteront le groupe en 1973 - le nouveau panorama étant complété par Dolla, Flexner et Pinoncelli.

L’extension Escarène-Arts déco s’organise autour de Viallat qui vit et enseigne à Nice entre 1964-1967. Viallat c’est aussi Dezeuze, Saytour, des tas de palabres et le jaillissement au singulier et au pluriel de « Support-Surface », une aventure née en 1966 et marquée en 1970 par la scission Cane-Devade.

En fait tout se résume en dix ans à un parcours de 200 mètres dans la rue de l’Escarène. Toute l’École de Nice dans l’histoire d’une rue. Ruelle affluente l’École de Nice serait à l’École de Paris ce que la rue Vavin est à l’Ecole de Montparnasse ou la rue Saint-Benoît à l’École de Saint-Germain-des-Prés : en le manipulant à Beaubourg, le pouvoir parisien a magistralement digéré le petit os niçois.

La Côte d’Azur vit aujourd’hui dans la perspective floue d’une décentralisation culturelle reposant sur un marché local de l’art : ce qui n’est ni tout à fait vrai ni tout à fait faux, à mi-chemin entre le mythe et la réalité. Une Nice super-occitane serait-elle plus vivace ? Cela reste à démontrer. Pour l’instant toute l’ambiguïté du ferment localiste demeure et Nice et là pour affirmer que dans le midi, il se passe quelque chose de plus qu’à Lille et à Brest ; pour affirmer aussi que le midi de Nice n’est pas le Midi de Marseille. Avec quelques collègues dans le domaine de l’art contemporain, Alexandre de la Salle est là pour nous le rappeler. Et ce rappel à l’ordre relatif des choses, à la limite fluctuante de la réalité, s’incarne dans le point d’exclamation. Ouf, pourvu que ça dure, ce soupir d’ail dans l’air de Paris ! Quel signe symbolique nous réserve en 1987, la ponctuation de l’histoire niçoise ?!… » (Pierre Restany, août 1977).

J’avais moi-même écrit dans ce catalogue : « Je suis heureux d’avoir donné la parole à Pierre Restany, qui préfaça déjà le catalogue de la première exposition baptisée « École de Nice ? », que je présentai à Vence en 1967. Également à deux de ceux qui, sur place, furent les témoins attentifs et engagés de l’aventure niçoise : Jacques Lepage et Raphaël Monticelli. Après l’exposition niçoise : « à propos de Nice » - qui en fait dérapa irrésistiblement vers un gigantesque happening-Ben - j’aimerais que la mienne, avec ses oublis, ses lacunes, soit un hommage rendu aux années de collaboration et d’amitiés qui m’ont lié à ces artistes, ce dont témoigne cette longue liste des expositions que je leur ai consacrées. Aujourd’hui encore le concept de « L’École de Nice » [1] est contesté. Du dehors, et c’est normal mais aussi de l’intérieur, signe d’une incontestable vitalité : chaque nouvelle génération d’artistes affirmait sa spécificité, revendiquait sa différence, mais du même élan assurait la pérennité du mouvement. C’est pourquoi d’autres expositions s’attacheront à cerner les tendances nouvelles qui se font jour ici ». (Alexandre de la Salle)

Ecole de Nice… 20 ans, 1967, 1977, 1987

Dans le catalogue de l’exposition « Ecole de Nice… » (points de suspension) en 1987, c’étaient à nouveau de coulées de Claude Gilli qui représentaient son travail, la coulée « Traces Indélébiles », et son magnifique « Projet d’assiettes », et les assiettes ont vu le jour.

« Traces indélébiles » (Catalogue « Ecole de Nice… » (1987)
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Projet d’assiettes
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En juin 1987, Pierre Restany récidive avec son texte « Ecole de Nice », qui est un merveilleux numéro ! :
« Nous voici à la troisième édition de l’Ecole de Nice. Alexandre de la salle n’en démord pas et les artistes non plus. Ils sont tous là, les vétérans du soleil bleu d’Austerlitz, les grognards du Haut-de-Cagnes avec leur aboyeur- mascotte, le Rouget de l’Isle de Saint-Paul, l’effarant de Tourrettes, les francs-tireurs de l’arrière-pays, l’intendant du concept, le tambour-major des initiatives culturelles, le veinard du geste bien-venu, les glorieux éclopés et les grands absents… S’ils ne forment plus le carré parfait, ils sont toujours prêts à jouer les chasseurs de la garde ou plutôt les gardes de leur chasse réservée.

Deux nouveaux venus : au tambour-major s’est joint l’agent 007 (n°III) des aventures post-maciunassiennes. Ils avaient bien mérité de l’Ecole, en montrant depuis le début combien ils avaient la tripe niçoise. Et c’est tout à fait normal qu’ils aient reçu, outre l’onction d’Alexandre de Sparte, la bénédiction urbis et orbi de l’Auguste tsar de Monaco et Roquefort réunis.
Ils sont tous là, et le carré de Nice sent bon les fines herbes. Après tant de temps passé ou perdu, tant d’escalades dans les bordilles, tant de palabres à l’escarène, tant de merveilles dans la vallée du même nom, ce serait enfin le moment de dire avec Horace : « Nunc pede libero pulsanda est tellus », et d’ouvrir le banquet. A défaut d’or ou de paillettes, nous pourrions déguster les escargots du pyromane de Laghet, les pissenlits barbaro-magiques, le lapin princier à la sauce mastègue, les ravioles bronzées à la patine césarienne. Et il y aurait de quoi faire pâlir d’envie le maître-coq du Chantecler ou le Gourou-gastro de Mougins !

Bon appétit, Messieurs ! Avalez-la donc, cette école, votre école. Et si vous y mettez l’indispensable appétit, vous verrez qu’elle passera très bien.
Pour Yves Montand, et par exceptionnel intérim : Pierre Restany juin 1987 ».

A suivre...

Dédicace à Alexandre de la Salle
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Pour relire la première partie de cette chronique cliquez ici.

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