Il se préoccupe de Dieu et du monde, ce qui rejoint sa
biographie : parce que PAUL DETERS a étudié la théologie à
l’université de Munster avant d’étudier l’archéologie et l’art. Il
travaille essentiellement sur des grands formats qui rappellent des
pans de mur et accentuent encore plus l’impression de puissance et
d’agressivité de ses dessins. Il se consacre aux icônes modernes mais
celles-ci ne sont pas le reflet de visages divins mais d’instruments de
violence. Les armes, motif récurrent, sont mêlées à des images
bibliques augmentant l’impression d’insécurité de ses motifs. Ses
dessins n’affirment rien ils sont simplement la transcendance d’une
certaine réalité.
Interview de Gesine Reinicke critique d’art
Gesine Reinicke : La VILLA CAMELINE [ MAISON ABANDONNEE ] est
un endroit intéressant pour exposer…, cela t´amène-t-il pour la première fois
dans le Sud de la France ?
Paul Deters : Loin de là, je connais très bien ce coin, mon ami et moi avons de
la famille ici et sommes souvent venus, généralement au printemps. J´aime
cette légèreté que l´on trouve ici. C´est aussi ce que je retrouve dans mes
tableaux, une légèreté et une joie de vivre ludique, même si parfois je traite
des sujets lourds.
GR : Oui, tes tableaux jouent souvent avec les contrastes, des formes résolues,
presque abstraites où l´on retrouve néanmoins toujours quelque chose de
grave, où se manifestent des questions existentielles. Tes oeuvres nous parlent
pareils à des commentaires pointus sur notre époque. Je n´irais pas jusqu’à
employer le mot terme de caricature ou de BD, mais tes tableaux gardent
malgré tout le sérieux des thèmes et des formes, un humour graphique.
Comment vois-tu cela ?
PD : Cela me réjouis d´entendre cela, car je suis un artiste qui désespère de ce
monde. Avec mes moyens de dessinateur, j´expose des faits. Je viens d´une
famille catholique, cela m´a beaucoup marqué, bien sûr aussi comme champs
de débat intellectuel. Dans mes tableaux a lieu toujours aussi un travail avec
moi-même mais ce qui me préoccupe principalement est la condition
humaine dans ce monde. C´est pourquoi mes dessins poursuivent toujours
des thèmes concrets, avec toujours une dimension politique et sociale. Je ne
produis pas de message direct vers l´extérieur, mais l´art qui ne tient pas
compte des débats sur les medias publics je veux dire qui tourne uniquement
autour de choses immanentes à la peinture, ca ne m´intéresse pas. Je tente de
capter des sujets de la rue dans mes tableaux, le Sound pictural de notre
temps pour ainsi dire, mais aussi la société dans laquelle nous vivons, décrire
ce qu´elle refoule : la jalousie, l´obsession de l´argent et du pouvoir etc… un
peu comme chez Chabrol.
GR : Penses-tu que l´art peut influer sur la société ?
PD : C´est un très vieux débat. L´idée d´art politique émerge toujours,
comme par exemple dans le courant Fluxus des années soixante. C´est un
sujet intéressant pour les commissaires d´expositions. Je ne crois pas que
l´art, du moins l´art pictural ait une telle force. Regarde comment les progrès
techniques, la révolution dans les modes de communications via internet ont
changé le monde – on peut le voir en Afrique du Nord en ce moment. Je crois
que la force de mes tableaux réside dans autre chose. Dessiner est pour moi
un processus guidé inconsciemment par le corps – c´est la main qui dessine.
Le contrôle et la perte de contrôle doivent rester en équilibre. C´est un
processus dans lequel je ne sais pas où ca va aboutir. C´est la raison pour
laquelle je ne peins pas à l´huile, ce serait trop lent. Le tableau veut sortir en
une journée, d´une traite. Lorsque ca réussi, j´ai rendu une chose implicite
explicite. C´est pas si peu ! L´observateur peut le percevoir – c´est pour ainsi
dire une prise de conscience d´enjeux complexes. Je m´arrête là sinon ca
devient tout de suite métaphysique.
GR : Tu veux parler d´une dimension spirituelle de ta vie de dessinateur, audelà
des aspects politiques et sociaux. Comment en es-tu venu à l´art, à la
peinture ?
PD : Le chemin entre la théologie et l´art ne fut pas sans détours. Le talent
manuel j´ai l´ai hérité. Mon père était dentiste et il était prévu que j´hérite de
son cabinet. La théologie fut une fenêtre vers un nouveau monde. Je me suis
concentré autant que j´ai pu sur des thèmes touchants à l´art. Dans l´étude de
la liturgie je me suis intéressé au Living-Théâtre de New-York et j´ai écrit
mon mémoire sur le développement iconostase dans l´art byzantin. C´est
intéressant dans la mesure où ce que je fais aujourd´hui est souvent décrit
comme des icônes modernes. Après mes études de théologie j´ai étudié
plusieurs semestres l´archéologie et l´art, entre autre à Rome.
GR : Ca c´est la théorie … et la pratique ?
PD : J´ai toujours dessiné ou peint, depuis l´âge de douze ans. Justinien et
Théodora (la mosaïque du couple impérial à San Vitale, à Ravenne, du milieu
du sixième siècle) était au dessus de mon lit et aussi une croix. Je m´y
connais bien en histoire de l´art et je trouve qu´il n´est pas nécessaire d´avoir
une formation académique en art – les études d´art n´ont un sens que dans la
mesure où l´on s´implique durant ces études là dans un milieu où les contacts
sont très utiles. Aujourd´hui, la façon dont on se vend occupe une place
majeure dans les études. Lorsque j´ai commencé ma carrière, il y a vingt ans,
je n´étais connecté à rien ni personne. Lorsqu´on me demande si je vis de
mon art, je réponds toujours oui. C´est à double sens. Je suis
économiquement relativement indépendant, mais de toutes façon, il s´impose
à moi de faire de l´art – c´est ma vie.
GR : J´ai parcouru ta biographie artistique, ta vie en image pour ainsi dire. Je
suis impressionné par les facettes différentes. Quatre phases différentes de
ton oeuvre et à chaque fois un nouveau langage des formes.
PD : Merci, merci ! Il faut bien voir que tout ca s´est fait au cours de
nombreuses années. On évolue et de nouveaux thèmes se trouvent. Je suis
allé de la figuration vers la déconstruction et de l´art abstrait vers le figuratif
– et je comprends mes travaux d´aujourd´hui comme une synthèse du
figuratif et de l´abstrait. S´il faut toujours se répéter et rester sans cesse dans
la même forme de langage pour créer son branding, je m´en passe ! J´aimerais
faire le plus possible d´expériences nouvelles. Je ne comprends pas comment
d´autres collègues peuvent sans arrêt produire la même chose. Pour certain, le
succès commercial est une malédiction. De même qu´il m´est impossible de
concevoir comment certains peintres très productifs laissent peindre ce qu´ils
dictent. Ca ne fonctionnerait strictement pas avec mes tableaux – impensable !
GR : Comment vois tu le côté commercial de l´art, le marché de l´art ?
PD : Oui, que se passe-t-il sur le marché de l´art ? Bonne question ! Le
problème est que ce n´est pas un vrai marché. Il ressemble de plus en plus à
la bourse où quelques acteurs riches de par leurs achats et ventes, de par leur
influence sur les critiques - les commissaires d´expositions, qui seraient dans
ce cas les analystes – créent des valeurs spéculatives. Le critique d´art
américain Jerry Saltz va même jusqu´à dire que le marché de l´art est encore
plus amoral que la bourse, et qu´aujourd´hui les acteurs du marché de l´art
qui pestent haut et fort dehors contre les usances sans scrupules, dans les
coulisses ont fait les plus gros profits. Je ne veux pas être si négatif. De par
les prix exorbitants de certaines oeuvres d´art on constate aussi que l´art est
devenu une question d´intérêt quasi général. Mais selon moi, les spéculants
achètent des horreurs à des prix exorbitants.
GR : Paul, y-t-il des artistes qui sont pour toi des références ?
PD : Tu veux dire s´ il y a des artistes que j´admire ? Bien sûr. De nombreux
collègues nomment Francis Bacon – j´ai eu moi aussi une phase où j´ai
beaucoup étudié sa vie. Il était très sociable et connaissait plein de monde.
J´aime les conversations en tête à tête, en groupe je suis très en retrait. Je suis
très observateur. J´aime Picasso, en particulier le Picasso des années trente
dont l´évolution des formes est plus intéressante que celle de Bacon, et j´aime
beaucoup Matisse et Leger. Je ne sais pas si j´ai des artistes comme référence
pour moi-même ? Je suis bien sûr influencé par ce qui fut peint et dessiné
avant moi en particulier l´art antérieur au christianisme et l´art byzantin, l´art
pré gothique, et la Renaissance, et là en particulier Mantegna et Uccello.
Degas m´est très proche, et j´adore Philip Guston et Jean Fautrier. Durant
mes études, le courant Fluxus fut très important, par exemple John Cage,
Beuys et Ben Vautier.
GR : Qu´est ce qui t´inspire pour dessiner ?
PD : Les images de la télévision de la BBC et de CNN, les influences
littéraires également, j´adore les poèmes de Inger Christensen, j´aime Cioran,
Gottfried Benn, W. H. Auden, et le chercheur en neurologie Detlef B. Linke
et beaucoup d´autres. Je lis énormément. Je pense à tout ce que je vis, j´ai
vécu, à ce qui m´intéresse, et ce que je regarde, ce à quoi je réfléchis se
traduit dans mes tableaux. C´est pourquoi mes travaux sont si personnels.
GR : Oh oui, c´est également comme cela que je les ressens. J´ai l´impression
que je te suis encore plus proche de par tes tableaux, même si c´est un plaisir
de discuter avec toi, comme maintenant. Pas seulement avec tes dessins,
également avec ta parole tu soulèves des questions intéressantes. Je te
remercie ! Pour finir j´aimerai savoir quels sont tes plans pour cette année ?
PD : Dessiner et encore dessiner ! Toujours avancer vers ce qui est
imprévisible. Sinon ? Au mois de mai j´ai une exposition dans la galerie Glass
à Berlin. Après Tel Aviv. Depuis deux ans mon ami s´occupe du marketing et
de la vente. Ca me plait beaucoup. Nous n´aurions rien contre le fait d´être
encore plus connus et d´exposer plus.
Biographie
Studies of theology in Münster and Innsbruck,
of archaeology and arts in Bonn, Rome and Berlin
Studio in Copenhagen, Denmark
Lives and works in Berlin,Germany