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CHAPITRE 59 (Part III) : Magie des années 60

Jean-Pierre Mirouze, toujours présent dans l’Ecole de Nice

Et c’est Jean-Pierre Mirouze qui nous a indiqué, à Frédéric Altmann, Alexandre de la Salle et moi, l’adresse d’Eléna Palumbo-Mosca en Italie, et, avec Nivèse, nous sommes allés l’interviewer.
Jean-Pierre Mirouze, j’en ai parlé dans cette chronique à l’occasion de la commémoration de l’Ecole de Nice effectuée par Alexandre de la Salle de juin à décembre 2010 au Musée Rétif de Vence à l’invitation de Mireille et Philippe Rétif, car il était évidemment présent, car il a filmé l’exposition, ainsi que les deux happening de Pierre Pinoncelli, et des extraits de son film, intitulé « 50 ans de l’Ecole de Nice au Musée Rétif » se trouvent dans les Chroniques 4 (sur Malaval), et 9 (sur Pierre Pinoncelli) d’Alexandre de la Salle.
Alexandre de la Salle qui avait donc fédéré l’Ecole de Nice, selon le terme d’Arman, en 1967 dans sa galerie de la Place Godeau à Vence, Yves Klein était présent dans l’exposition, comme il sera présent dans toutes les commémorations, tous les dix ans (Ecole de Nice !, Ecole de Nice…, Ecole de Nice. Et « 50 ans de l’Ecole de Nice »).

Yves Klein dans le film de Jean-Pierre Mirouze


Dans sa préface au catalogue de l’exposition à la galerie de la Salle de mars-avril 1967, intitulée « Ecole de Nice ? », Pierre Restany écrit : … Il n’y a pas de fumée sans feu, me direz-vous et certes un fait s’impose : des personnalités de l’envergure d’un Klein, d’un Arman, d’un Raysse ont joué un rôle capital dans la remise en cause des valeurs de notre après-guerre, et elles étaient authentiquement niçoises… (…) Ceci dit, Yves Klein s’est affirmé à Paris contre Paris et c’est évidemment sur la capitale qu’il a fait porter la majorité de ses efforts. Vis-à-vis d’Arman d’abord, puis de Raysse, Klein a joué le rôle d’une tête de pont parisienne. Leurs carrières respectives ont pris ensuite les dimensions internationales que l’on sait. L’idée d’une École de Nice (exposée en permanence aux Ponchettes) était chère à Yves Klein qui la cultivait comme un paradoxe familial. Martial Raysse fut pour beaucoup dans cette première cristallisation du mythe… (Pierre Restany. Paris, Janvier 1967).
Et dans le chapitre 12 de ma propre chronique se trouve un extrait du film de Jean-Pierre Mirouze sur Arman : « The day after », dans le chapitre 13 un extrait de « Hygiène de la vision », sur Martial Raysse, musique Pierre Henry, dans le chapitre 14, un extrait de « A la vie à la mort », Ben à la Galerie Templon, dans le chapitre 15, César (Télé Hachette 1980, Collection « Visions » ), dans le chapitre 16 « Sosno, sculpteur », dans le chapitre 17 : « Sanitation » (Arman), dans le chapitre 18, Commémoration Nam June Paik en 1989, dans le chapitre 19 : Hans Hartung.
Et le 15 février 2011, la Médiathèque Louis-Nucéra a accueilli un petit festival des films suivants : BEN « A la vie à la mort » : 9’50, ARMAN « The day after » (5 minutes 13), ARMAN « Visions » (44 minutes), ARMAN « Sanitation » (13 minutes 51), ARMAN (avec une séquence YVES KLEIN) « Du réel à l’imaginaire » (7 minutes 35, musique de PROKOFIEV), ARMAN « Long terme parking » (4 minutes 40), CÉSAR « Visions » (43 minutes), MARTIAL RAYSSE « Hygiène de la vision » (5 minutes 14).

Arman devant la boutique de son père, dans le film de Jean-Pierre Mirouze


Et nous l’avions ainsi présenté : « Jean-Pierre Mirouze est cinéaste, musicien, directeur artistique. Après un 1er prix de conservatoire de piano, il adhère au mouvement des « Nouveaux Réalistes » et devient assistant d’Yves Klein en Allemagne… (…) Assistant du cinéaste Jean Rouch et du compositeur Pierre Henry, il travaille pendant quatre ans au Service de Recherche de l’ORTF pour la musique et l’image - direction Pierre Schaeffer, puis est chargé de cours à l’IDHEC. Ses réalisations sont extrêmement nombreuses, citons parmi des dizaines d’autres : « Algérie Année Zéro », premier long métrage de reportage, « DIM DAM DOM », et dix-huit films pour le cinéma ou la télévision à France Opéra Films (chez François Reichenbach). Pour Télé Hachette (direction Frédéric Rossif), trois films d’une heure (« Visions ») sur l’art contemporain : Arman (prix du centre George Pompidou), César, Hartung. Il a filmé entre autres Béjart, Chopinot, Crespin, Rostropovitch, Savary, Hendrix, la collection Picasso, Agam, a réalisé des films scientifiques avec Jean Audouze, Pierre-Gilles de Gennes, Jean-Pierre Changeux et des nombreux clips culturels et scientifiques pour le Sénat - Le CNRS - l’Agence Jules Verne et les Musées Nationaux. « Les yeux de la connaissance », pour le CNRS, a obtenu la médaille d’or au Festival de New-York. Il a aussi réalisé des musiques de films devenues « culte ».

« Allure d’objet » d’Arman dans le film de Jean-Pierre Mirouze

A propos de films-culte…

… ou de musiques-culte… Dans le journal Libération du 19 décembre 2912 une page sautait aux yeux, avec ce titre : « Une B.O. d’art et de déchet ». Il s’agissait de la page « Disque », et, dans la rubrique « Vinyle », l’explication : « Trouvée dans une décharge, la musique d’un film érotico-hippie oublié révèle le parcours improbable de son auteur, Jean-Pierre Mirouze, entre ORTF et assassinat de JFK ». Et Sophian Fanen écrivait :
Si les dix dernières années ont consacré le règne des rééditions de bandes originales plus ou moins obscures, il faut bien avouer que les histoires servies avec sont souvent embellies. De grosses lumières rouges se sont pour cette raison allumées autour de l’exhumation de la musique du Mariage collectif, film érotico-hippie de 1971, connue jusqu’ici uniquement par son single Sexopolis, devenu classique du groove à la française pour tous les fouineurs de bacs à vinyles.
Et pourtant, pour une fois, l’histoire de cette résurrection est non seulement vraie, mais dépasse ce que le livret raconte et donne l’occasion de narrer la vie dingue de son auteur oublié, Jean-Pierre Mirouze, entre cinéma, télévision et musique.

Arman sortant de la mer à Nice dans le film de Jean-Pierre Mirouze


Décharge. Tout commence un soir quai d’Issy, à Paris, du côté de la déchetterie qui se trouve sous l’échangeur du périphérique. Les portes de la décharge étant closes, une voiture abandonne ses cartons sur le trottoir, où gisent « trois ou quatre disques, dont un acétate, c’est-à-dire un pressage fait en studio pour démarcher les maisons de disques », raconte Jean-Baptiste Guillot, du label Born Bad, qui édite la bande originale du Mariage collectif. « Un type est tombé dessus et a demandé à un de ses potes d’y jeter un œil. Coup de bol, celui-ci a reconnu Sexopolis et, de là, on s’est rendu compte qu’on avait retrouvé la BO entière, qui n’était pas sortie à l’époque parce que le film a fait un flop. Mon travail a surtout consisté à retrouver Jean-Pierre Mirouze ».
Pour ce dernier, aujourd’hui âgé de 74 ans, Le Mariage collectif s’avère être un moment charnière dans une carrière très remplie. Fils d’un chef d’orchestre, il apparaît ainsi à la fin des années 50 parmi les membres de ce qu’on appellera l’Ecole de Nice, aux côtés d’Yves Klein et du sculpteur Arman. « Arman sculptait à partir d’objets à l’époque ; il les cassait, les soudait », raconte aujourd’hui Jean-Pierre Mirouze, verbe précis et mémoire précieuse sur ces années. « Un jour, il m’a fait rencontrer Pierre Schaeffer, qui lui aussi s’intéressait aux objets à sa façon, afin de construire une nouvelle musique. La connexion était naturelle ».
Jean-Pierre Mirouze finit par débarquer à Paris et rejoint le Groupe de Recherches Musicales (GRM), cellule de l’ORTF où s’invente alors la musique concrète. Là, sa trace a été effacée par les ans, mais il assiste Pierre Henry et arpente « l’Egypte, le Maghreb, l’Afrique de l’Ouest » avec le cinéaste Jean Rouch. « Je m’intéressais surtout au rapport entre la musique et l’image. Mais, à un moment, il a fallu que je trouve de quoi vivre. J’ai cherché du côté de la télévision, où je me suis retrouvé à faire des habillages et des indicatifs, des petits événements sonores fugitifs. On inventait l’illustration sonore au fur et à mesure que la télévision s’inventait ».
Barbouzerie. Repéré parmi les musiciens maison capables de conjuguer ambition artistique et réussite visuelle, Jean-Pierre Mirouze est ensuite embarqué dans l’émission Dim’ Dam’ Dom’, « l’équivalent de Elle en images ». Il en sera le directeur artistique jusqu’au début des années 70, et c’est là qu’il rencontre Hervé Lamarre, qui l’embarquera dans l’aventure du Mariage collectif, mais auparavant l’associe à une barbouzerie transatlantique à peine croyable. « Je ne sais pas comment il a fait, mais il s’est procuré le film de Zapruder [le plus connu des films amateurs de l’assassinat de JFK, ndlr] en entier et m’a demandé de faire une musique pour un long métrage qu’il préparait autour, où l’on voyait bien qu’il y avait plusieurs tireurs ». Ce film, couplé à un livre titré Farewell America, est en fait une opération montée de toutes pièces entre l’équipe de Bobby Kennedy et les services secrets français afin d’alimenter la thèse d’un complot mêlant cartels du pétrole et opposants aux Kennedy… Livre et film finiront enterrés après l’assassinat de Bobby en 1968 - quant à la musique, elle semble perdue à jamais.

Arman et sa 2CV dans le film de Jean-Pierre Mirouze


En 1971, Mirouze retrouve malgré tout Lamarre sur le Mariage collectif, film lui aussi invisible aujourd’hui. « C’était un film de producteurs monté dans le cynisme pour surfer sur la culture hippie, la sexualité libérée et les communautés. Un truc mal foutu dès le début », commente Jean-Baptiste Guillot. Si seule la cavalcade de clavier sur basse funky de Sexopolis a survécu, le reste de la bande originale se révèle du même niveau et mérite une place parmi les classiques français de l’époque signés Philippe Sarde ou Michel Legrand. On trouve dans cette collection orchestrale des mélodies sublimes (Tivoli Garden), un tube romantique (Together) qui cite le Concerto d’Aranjuez et du jazz courageux (Ulla et Georgie).
Patrimoine. Quelque temps après le Mariage collectif, Jean-Pierre Mirouze quittera la télévision, où « l’étau » de la normalisation se referme lentement. Il écrira quelques comédies musicales sans retentissement, avant de réaliser des courts métrages, documentaires et émissions scientifiques. Il ne regrette pas que sa partition pour le Mariage collectif, travail de commande parmi d’autres pendant « une époque haletante », ait disparu pendant quarante ans. « Je déplore par contre la dispersion du patrimoine sonore de l’époque, des choses merveilleuses qui ont été volées dans la phonothèque de l’ORTF. Le Mariage collectif appartient à cette déchirure, mais il y a beaucoup d’autres choses qu’on ne retrouvera jamais ». (Sophian Fanen)
Je dois avouer que cette aventure m’a réjouie, moi qui aime beaucoup le film « Sanitation » que Jean-Pierre Mirouze et Arman ont tourné dans les ordures de New-York en 1972… film annonçant, rien que par l’image de la Statue de la Liberté que vient faire disparaître le niveau des détritus, le problème que deviendrait la production de déchets par un animal humain très prolifique en la matière… Qu’on ait retrouvé une bande originale de Jean-Pierre Mirouze dans une poubelle devient à mes yeux un fait mythique de plus dans le monde qui touche de près ou de loin au Nouveau réalisme et à l’Ecole de Nice…ou à Mai 68, qui n’en est pas très éloigné…
JB Guillot, lui, de Born Bad Records, écrit : « Dans notre monde moderne, tout finit, ou finira à la décharge. Ou dans un musée. Il arrive parfois qu’avant de finir dans un musée, les objets passent par la décharge. C’est un peu le cas du disque que vous avez entre les mains. Les titres qui figurent sur cette galette ont, à l’exception de deux d’entre eux déjà sortie en 45T, failli rester pour de bon à la déchèterie. Gravés en 1971 sur un acétate à quelques exemplaires, pour démarcher les maisons de disques, ces morceaux refont surface, en juillet 2010, miraculeusement retrouvés dans une décharge parisienne (Quai d’Issy)… »

(A suivre)

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