CHAPITRE 32 : MADI au Palazzo della Vicaria de Trapani - Chronique réalisée par France Delville pour Art Côte d’Azur

Il y a une raison à cela, c’est que « MADI aujourd’hui » (après toute la période « Madi maintenant » des années 80) confirme que c’est cette branche de MADI - la branche Arden Quin - qui, en marcottant, s’est refait « tronc », et que le « tronc » est là, autour de lui. Même s’il n’est plus là. Il s’agit en fait d’un tronc originaire qui préexista à la sortie de la revue « Arturo » en 1944, revue concoctée avec la complicité d’Edgar Bayley, Gyula Kosice, Rhod Rothfuss, et d’autres. Ce tronc préexista dans la tête d’Arden Quin sous la forme d’un désir de faire une révolution. De celles dont il avait entendu parler par Joaquin Torres-Garcia à Montevideo à partir de 1934. Révolution plastique, poétique, artistique, tous arts confondus.

Car, s’ils furent plusieurs, et même un certain nombre à participer à « Arturo » et, en 1946, à la fondation du Mouvement MADI à l’Institut Français d’Etudes Supérieures de Buenos Aires, aucun des autres n’aura soutenu un Mouvement MADI quelconque durant soixante-quatre années, jusqu’au tombeau. Kosice, comme je l’ai déjà mentionné, ayant poursuivi une brillante carrière d’artiste, évoquant ici et là MADI comme moment fondateur (co-fondateur), mais son « Madinemsor » ne l’a pas accompagné jusqu’à aujourd’hui comme véhicule indispensable à l’établissement d’une sorte « d’Ecole ». C’est ainsi. Chacun son « désir ».
Dans sa biographie d’Arden Quin (« Quand l’art sortit de sa cage ») Shelley Goodman décrit succintement le destin de quelques-uns des membres d’Arturo. Elle écrit (ils écrivent : Volf Roitman et elle) qu’Edgar Bayley est aujourd’hui considéré comme l’un des plus révolutionnaires poètes argentins de sa génération, que Rhod Rothfuss cessa de peindre pour devenir professeur mais ne perdit pas sa place d’un des plus originaux peintres uruguayens, qu’on connaît la célébrité de Vieira da Silva et de son époux Arpad Szenes, que Murilo Mendes est célébré comme brillant poète brésilien moderniste, que Tomás Maldonado devint professeur au Bauhaus d’après-guerre (Ulm), recteur entre 1964 et 1967, auteur de nombreux livres sur le design et l’architecture, que Lidy Prati a cessé de peindre, mais reste, d’après Arden Quin, un des plus talentueux contributeurs d’Arturo. Kandinsky, Mondrian, Torres-Garcia et Huidobro étant hors-concours.
Carmelo Arden Quin lui n’a jamais cessé « d’habiter » MADI, de le maintenir en état de marche, un peu comme un vaisseau spatial, apportant à chaque « manifeste » de nouvelles nuances. Et une phrase de Hegel me revient souvent à l’esprit à son sujet : « Aucun historien n’est capable n’envisager le passé avec d’autres yeux que ceux de son temps » (« Leçons sur la philosophie de l’Histoire »).

Oui, la multiplicité des événements MADI sur la planète, la présence de lieux MADI fixes, du Brésil au Japon en passant par la Hongrie, l’Italie, la France, entre autres, confirme que ce qu’a lancé Carmelo Arden Quin dans les années 40 en Argentine continue de sillonner l’espace artistique mondial, tel un OVNI merveilleux. Si tout « mouvement « au sens physique est sujet à l’entropie, il semble que cette entropie-là ne soit pas pour demain en ce qui concerne MADI, et le ralliement permanent d’artistes et galeristes passionnés depuis l’arrivée d’Arden Quin en France n’y est pas étranger, ni, en dernier lieu, l’adhésion au Mouvement, et l’action au sein de celui-ci, de la seconde épouse de Carmelo Arden Quin : Sofia. Sofia dont il sera question dans le prochain chapitre, car nous aurons le plaisir de la voir et l’entendre le 7 octobre à la Maison de l’Amérique Latine à Paris, pour un hommage à Arden Quin, Sofia connue par Carmelo en Argentine avant le départ pour Paris en 1948, Sofia retrouvée au long des années, Sofia épousée enfin, et Sofia qui, ayant recréé un Mouvement MADI en Argentine avec de jeunes artistes, parcourt maintenant le monde pour honorer de sa présence les vernissages MADI. C’est elle qui avait inauguré le magnifique Musée Madi de Sobral (Nord-Est du Brésil), en compagnie de Bolivar, le 5 juillet 2005.

Sofia Arden Quin inaugurant le Musée Madi de Sobral (Brésil)

Musée de Sobral

Dont ce dernier, au Palazzo della Vicaria de Trapani, vernissage de l’exposition « Geometrie di Luce », 14 artistes du Mouvement MADI : Carmelo Arden Quin (U), Bolivar (U), Jean Charasse (F), Franco Cortese (I), Reale F. Frangi (I), Sakae Hasegawa (J), Yumiko Kimura (J), Vincenzo Mascia (I), Renato Milo (I), Mitsouko Mori (J), Gianfranco Nicolato (I), Marta Pilone (I), Satoru Sato (J), Piergiorgio Zangara(I), avec un catalogue dirigé par Laura Bica, contributions scientifiques de Cristina Costanzo et Gaia Spitareli, sous le patronage de l’Ambassade du Japon en Italie. Exposition du 3 au 23 septembre 2011, avec la contribution de la Gallerie Monteleone (Palerme), MAReLIA (Bergame), la Galerie Aller Simple-Champlan (Paris), la nouvelle galerie de Catherine Topall.

Les organisateurs de l’exposition disent que l’Association italo-japonaise NAMI et la province de Trapani sont heureux de présenter l’exposition « Géométrie de la Lumière, quatorze artistes du Mouvement Madi International », au prestigieux palais du Vicaire de Trapani. Que cette exposition vise à amener la ville de Trapani à un niveau international en s’appuyant sur la participation des principaux protagonistes de MADI en Italie et dans d’autres pays comme la France, l’Espagne, la Hongrie, l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay, les Etats-Unis et le Japon, où « ce phénomène n’est pas seulement artistique mais aussi culturel ». Que MADI est un mouvement international, fondé en 1946 à Buenos Aires par Carmelo Arden Quin, qui a toujours passionné le public, a été acclamé dans de nombreuses parties du monde, et se renouvelle en permanence grâce à de nouvelles générations. La géométrie, le mouvement, l’interaction, la couleur sont particulièrement interrogés dans les compositions madi, caractérisées également par un aspect ludique, et marquées par un profond désir de liberté.
« Dans les œuvres MADI, on est frappé par le refus de l’image – déclare Laura Bica, responsable du catalogue de l’exposition - et par ce genre d’empiètement sur l’espace que pratique l’objet, tout en expansion. (…) Les couleurs, plongées dans l’espace, échappant à l’objet, deviennent elles-mêmes espace – une géométrie de la lumière – et opèrent une élimination des contours. Les couleurs sont vivantes ». « Cette exposition, continue-t-elle, est la preuve que ce Mouvement appartenant à l’histoire des années 50 se perpétue avec une force extrême dans le milieu complexe des artistes contemporains de tous les coins du monde, leur apportant une forte capacité de cohésion.

L’une des salles de l’exposition de Trapani

Bolivar faisant un geste poétique avec Sofia à sa droite

Piergiorgio Zangara, l’un des coordinateurs de MADI, s’est déclaré heureux qu’à Trapani aient pu se rencontrer des madistes venus de différentes parties du monde, afin de confirmer l’universalité et du Mouvement et de sa proposition artistique.
Confirmer, oui, car le Mouvement Madi Italien, répétons-le, est particulièrement composé d’artistes pertinents et actifs. Le très beau passage du texte « perché madi » que j’ai utilisé dans le clip pour illustrer l’exposition de Trapani appartient au catalogue de l’exposition MADI organisée par Arte Struktura à Portici, intitulée « MADI all’alba del terzo millennio » (23 janvier- 6 février 2000). Le comité d’organisation comprenait entre autres Anna Canali, d’Arte Struktura, Bolivar et Zsuzsa Dardaï, ces deux derniers ayant photographié le Musée MADI de Sobral au Brésil, sujet de l’autre clip.

Ce catalogue est un véritable état des lieux de MADI à la fin du XXe siècle, avec ses textes de Saverio Cecere, Bolivar (« Movimento Madi senza frontiere »), Ugo Piscopo (« Madi : per l’ottimizziazione dinamica delle’eccellenza e dell’eccentricita »), Froment, président du Mouvement Madi International (« L’arcipielago madi e il terzo millennio »), Lucio Solli (« Madi »), Carlo Franza ( « Futuribilita del madi »), Maria Lluisa Borras (« El arte madi, dos anos despuès de su primer centenario »), Carlo Montarsolo ( « A me anziano pittore »), Salvador Presta (« L’arte madi nel terzo millenio »), Raffaella a. Caruso ( « Se la fine di un secolo… »), Arden Quin (« Movimento Internationale Madi Francia »), Jean-Claude Faucon (« Movimento Internationale Madi Belgio », Salvador Presta (« Movimento Internationale Madi Italia »), Zsuzsa Dardaï (« Movimento internazionale Madi Ungheria »), Saverio Cecere et Octavio Herrera (« L’arte Madi in Venezuela »), Oscar d’Amico (« Movimento Internazionale MADI Stati Uniti »), montrant l’influence de MADI sur les Etats-Unis, et, finalement le texte « Pourquoi MADI », écrit par Salvador Presta, Carmelo Arden Quin, Alexandre de la Salle, Volf Roitman, Arnaldo Esposito. Plus un « Manifesto artistico dei poeti irpini, Montoro inferiore ».
Et, bien sûr des textes de la revue Arturo (1944), d’Arden Quin, d’Edgard Bailey, de Kosice, de Rothfuss (déjà paru dans cette chronique) et intitulé : « Le cadre : un problème de l’art plastique actuel ». Et aussi le manifeste « El Movil », lu par Arden Quin en 1945 chez Pichon-Rivière, et le Manifeste Madi de l’Institut français. La page intérieure du Catalogue de la première exposition d’art Madi, à l’Institut Français des Hautes Etudes de Buenos Aires (début août 1946) étant reproduite, avec ce texte :
« Nous autres madistes, prenant les éléments propres de chaque art, nous construisons, c’est à dire nous faisons une in¬vention réelle. Avec cela nous n’exprimons rien, nous ne représentons rien, nous ne symbolisons rien. Nous créons la chose dans sa seule présence, sa seule imma¬nence. La chose est dans l’espace et dans le temps : ELLE EXISTE. C’est un acte transcendant, un acte merveilleux. Notre art est humain, profondément humain, puisque c’est la personne dans toute son es¬sence celle qui CONSCIEMMENT crée, fait, construit, invente réellement ».
« Madi apparaît pour fonder un mouvement universel d’art qui soit la correspondance esthétique de notre civilisation industrielle et de notre pensée dialectique contemporaine ».
« SUBVERTIR les valeurs jusqu’à présent pleines d’expression, de repré¬sentation et de magie, en créant de nouvelles valeurs d’unité dans la musique, l’architecture, les arts plas¬tiques, la poésie, le roman, la danse. PRODUIRE une grande commotion « madique » de la réalité. TENIR EN ALERTE les sens et les disposer pour l’ordonnancement harmonieux d’une nouvelle structure esthétique, sans aucun compromis avec les allégories préhistoriques du primitivisme moderne. CRÉER un art d’esprit mathématicien, froid, dynamique, cérébral, dialectique ».

Le Manifeste de Naples est aussi présent, qu’Arden Quin écrivit à Buenos Aires en novembre 1999, et débute par une interrogation sur la « situation actuelle des arts plastiques ». Et se termine par le fait que « madi est simple, logique, nécessaire ».
La liste des artistes participants à l’exposition « MADI all’alba del terzo millennio » est impressionnante, la plupart étant encore présents dans les expositions MADI d’aujourd’hui, certains que l’on peut repérer dans l’exposition du CIAC « Concience polygonale », et l’exposition MADI du Musée de Cholet : Carmelo Arden Quin, Eva Maria Bányász, William Barbosa, Martin Blaszko, Ira Bernardini, Giuseppe Bertolio, Dominique Binet, Bolivar, Jean Branchet, Mihály Bucsko, Omar Carreño, Carlos Alberto Castro, Saverio Cecere, André Chini, Saint Cricq, Oskar d’Amico, François Decq, Istvan Ezsiás, Fajó János, Michel Jouët, Jean-Claude Faucon, Elena Fia-Fozzer, Mirella Forlivesi, Reale F. Frangi, Joël Froment, Aldo Fulchignoni, Gyorgy Galgóczy, Julian Gil, Betty Gold, István Haász, Christian Hadengue, Octavio Herrera, Lászlo Horváth, Michaël Kidner, Laszló Tomás Kovács, Josée Lapeyrère, Yves-Marie Le Cousin, Shelly Inez Lependorf, Gino Luggi, Bence Marafkó, Vincenzo Mascia, Akos Matzon, Renato Milo, Giuseppe Minoretti, Mitsouko Mori, Roger Neyrat, Gianfranco Nicolato, César López Osornio, Claude Pasquer, Antonio Perrottelli, Marta Pilone, Gaetano Pinna, Isabelle Prade, Salvatore Presta, Henri Prosi, Torsten Ridell, Hilda Reich-Duse, Volf Roitman, Antonio Romano, Giuseppe Rosa, Sato Satoru, János Saxon Szász, Rino Sernaglia, André Stempfel, Nascia Timer, Rene Ugarte, Antonio Usner, Philippe Vacher, Pier Giorgio Zangara.
Notons qu’il s’agit d’artistes venus d’Italie, U.S.A, France, Canada, Hongrie, Angleterre, Venezuela, Argentine, Japon, Uruguay, Espagne, Tunisie, Belgique, Suisse.
Des problématiques d’une incroyable diversité, mais finissant par être reconnaissables, de vraies signatures, la construction de vocabulaires très originaux.
Reale F. Frangi et Piergiorgio Zangara.

Groupe MADI « à l’aube du 3e millénaire »

Œuvre de Piergiorgi Zangara dans le catalogue du 3e millénaire

Œuvre de Reale frangi dans le catalogue du 3e millénaire

Œuvre de Jean Branchet dans le catalogue du 3e millénaire

Autour de la fin du siècle dernier, Carmelo Arden Quin s’est exprimé, comme toujours, à travers des textes de catalogues, de revues (et là nous ne parlons pas de sa poésie, de ses « épopées », de ses aphorismes, qui seront à l’honneur le 7 octobre prochain à la Maison de l’Amérique Latine à Paris, par l’entremise de l’écrivain Catherine Pinguet). Dans les textes qui vont suivre il s’agit de continuer de théoriser MADI.
Et notons la mise au point de 1998 dans la Revue MADI n°1, éditée à Budapest, Editeur Zsuzsa Dardaï, Directeur artistique : Janos Szasz Saxon, Design : Eva Banyasz : « … La géométrie est quelque chose de fondamental – tout est géométrique : la terre, le Soleil, le parcours des planètes ainsi que le lit dans lequel on dort ou on fait l’amour, la table où on mange et où on écrit, les assiettes dans lesquelles on met de la nourriture, le vase où on met de l’eau, les ustensiles de cuisine… tous ont des formes géométriques. L’organe le plus miraculeux sans lequel on n’aurait pas pu créer notre civilisation est l’œil, qui est à la fois une forme géométrique et un objet MADI plein de mouvement et de dynamisme. L’œil est, pour reprendre les mots de Léonardo da Vinci, « l’objet de la lumière ».
Les œuvres d’art, les fleurs de l’intelligence humaine, témoignent de l’évolution et des changements de l’Histoire humaine. Et quand je pense à l’enseignement de l’art même à Paris, dans la capitale de tous les arts du monde, quand je pense à cette méthode complètement académique… Pourtant c’est quelque chose de simple comme une fleur : on ne demande pas ce qu’elle symbolise. Rien du tout ! Elle existe, simplement, et c’est déjà un miracle. On ne se demande pas d’où vient ce miracle. On ne se demande pas s’il vient de sa forme, de sa couleur ou de son parfum. Et qu’est-ce qu’il signifie, son parfum ? Rien au-delà de ce qu’il est. C’est pareil avec la musique : les sons sont leur propre signification. Il suffit de penser à une fugue de Bach. C’est pareil avec l’art géométrique : il ne symbolise, ne représente, ne signifie rien. Il est une sorte de perception qui tente de discerner ce qui est l’universel »

Et celui du catalogue de l’exposition « De Madi à Madi (1946-1999) » à la Galerie Municipale d’Art Moderne de Gallarate (17 octobre-14 novembre 1999) : « Le second millénaire se termine pour MADI par trois expositions internationales, en Italie et en France. En Italie, je dois signaler la grande exposition organisée par la Galerie Municipale d’Art Moderne de Gallarate. Nous devons l’exposition aux efforts conjoints du professeur Silvio Zanella et de ses collaborateurs, du groupe italien MADI et de sa secrétaire Anna Canali et, surtout, à l’enthousiasme et à la détermination de l’historienne d’art Emma Zanella Manara, qui est l’auteur du catalogue accompagnant cette exposition. Ces dernières années ont été très actives pour notre Mouvement, tant en Italie qu’en Espagne, Hongrie et France. MADI est intervenu partout avec rigueur et cohérence, et ses manifestations ont été accueillies avec beaucoup de sympathie et d’intérêt. Chaque exposition a pu montrer un progrès constant dans la composition, l’utilisation de nouveaux matériaux, avec des formes nouvelles et originales, revêtues de tous les aspects d’un chromatisme inédit. Pour nous ceci signifie que le « concept de polygonalité » recherché par MADI est valable, pourvu que l’expérience le démontre, et que déjà lui seul constitue un événement extraordinaire dans la peinture construite ; lui seul qui peut au jour d’aujourd’hui rénover en profondeur l’art géométrique.
MADI donne sa vraie place à la dimension picturale, c’est-à-dire à la superficie, avec l’élaboration à l’infini de polygones plats, sans compter la variété des reliefs et le traitement du monochrome, qui trouve dans la forme MADI sa vraie essence esthétique ; sans oublier les coplanals. Rappelons que MADI appartient en art à ce courant révolutionnaire, cette tradition de recherche formelle qui, à travers des luttes mémorables, changea le monde culturel de ce siècle : en dessin, arts plastiques, musique, poésie, littérature, architecture, urbanisme.
Nous avons des précurseurs, ce qui doit être crédité en notre faveur.
Une de nos sources se trouve précisément en Italie.

MADI, tel un coureur olympique, reprend la flamme de la main de l’athlète qui, ayant achevé son parcours, la tend, lumière éternelle, à son successeur. Occasion d’affirmer notre admiration pour le prodigieux Manifeste « Reconstruction futuriste de l’Univers » de Giacomo Balla et Fortunato Depero de mars 1915, qui fut une vraie déclaration pré-Madi.
Au troisième millénaire, nous multiplierons nos activités, avec une organisation encore plus serrée, soutenue par des revues et éditions MADI dans lesquelles nous exposerons et confronterons nos idées, pas seulement à travers la théorie mais aussi à travers des images qui attesteront des travaux des adhérents à de MADI ; nous propagerons le LIVRE MADI dans sa forme et son contenu. Nous créerons les moyens de fortifier encore davantage notre collaboration.
Le prochain Millénaire sera MADI.
Signé : Mouvement International Madi France, Carmelo Arden Quin

Et puis il y a le « Pré manifesto di napoli » dans le catalogue de l’exposition « Madi », du 27 avril/20 mai 2001, Villa Bruno, à San Giorgio a Cremano sous l’égide d’Arte Struktura :
« Il faut s’interroger sur la situation dans laquelle se trouvent les arts plastiques aujourd’hui. Cela vaut-il la peine de nous limiter à la pauvreté figurative d’aujourd’hui, et à son manque d’événement, en comparaison avec les grandes œuvres de l’expressionnisme, cubisme, futurisme, dadaïsme, surréalisme ? Je ne crois pas. Par contre parler de la géométrie dans la peinture contemporaine nous semble obligatoire (même de façon synthétique), de par notre situation dans l’espace et dans le temps, et par le devoir qui est le nôtre de créer un espace et un temps nouveaux transformés en œuvres d’art, pour accompagner l’Histoire. En suivant pas à pas l’Histoire dans ses phases esthétiques. L’œuvre d’art survit, et subsiste, si elle est historiquement nécessaire. La plastique géométrique a été, est, parce qu’avec elle nous voyons surgir une réalité distincte et neuve créé par l’artiste avec les seuls éléments que nous offre la nature : la dimension et la couleur. Et dans ceci l’art plastique se met au niveau de la pureté musicale, de l’harmonie des plans et des volumes dans leurs dimensions respectives, qui sont les dimensions bidimensionnelle et tridimensionnelle. Comme par exemple dans le néoplasticisme, qui est, dans une construction orthogonale, un compromis entre la juxtaposition et la superposition. Les lignes noires structurent l’ensemble, font fusionner les plans blancs et de couleurs primaires, et ferment le complexe pictural. Chez Malevitch au contraire, les carrés et les autres plans s’inscrivent sur la surface. Le fond soutient mais n’intègre pas la composition, ainsi dans son œuvre emblématique « Blanc sur blanc ». Une approche similaire se produit chez Kandinsky et autres maîtres de l’art construit. En 1910 apparaissent les œuvres uniques et essentielles de Giacomo Balla, avec lesquelles pour la première fois nous voyons la sérialité géométrique pure, qui ne peut se réaliser que s’il y a une juxtaposition systématique. Balla est le grand précurseur du cinétisme.

Et bien toute cette immense révolution picturale se produisit à l’intérieur du rectangle, entité formelle absolue. Laissons l’aspect historique de l’art construit, qui nécessite les longues et rigoureuses études du spécialiste, ici ce n’est pas le cas, nous parlons, même si c’est de façon limitée, de MADI.
MADI est un événement, et comme tous les mouvements esthétiques, se fonde sur des concepts. Dans notre cas, concepts vieux comme le monde, mais qui furent laissés de côté ou oubliés. Un de ceux-ci est le concept de « polygonalité », et également de géométrie : jamais on ne l’a étudié consciencieusement, comme on aurait dû. On l’a utlisé, et on l’utilise, sans que tout ceci soit toujours présent. La géométrie, science de l’espace. Voilà ce qui nous différencie de nos prédécesseurs, auxquels, soit dit entre parenthèses, nous envoyons un gros salut pour ce qu’ils nous ont appris. La différence est qu’ils ne dépassèrent pas… ou ne purent, par blocage psychologique, se libérer de - la prison du rectangle. Ils restèrent otages du rectangle, et, sûrement, dans celui-ci inscrivirent de beaux discours plastiques, mais ils ne virent pas, en peinture, la planéité briller dans toute sa magnifique identité. Ils ne créèrent pas le coplanal et sa puissance de jeu, ils ne systématisèrent pas l’articulation et le mouvement des éléments en les intégrant dans la composition, n’introduisant pas de cette façon l’art ludique, un des concepts les plus importants de MADI Madi réalise tout ceci. MADI libère aussi, et donne un autre cours, à la plastique chromatique : il crée des monochromes formels, les seuls qui aient une vraie signification, parce qu’insérés dans un polygone inventé ; il utilise le blanc et le noir, reproduit les structures des couleurs primaires ; il peut créer aussi, pourquoi pas, avec les complémentaires, avec les valeurs, avec les couleurs vives, avec les terres, déclinant ainsi toute la gamme chromatique, ce qui laisse à chaque créateur une liberté absolue d’invention. Nos lois sont : la géométrie, les polygones réguliers et irréguliers, libres dans l’espace, qui réalisent formes planes, limpidité des couleurs et jeu esthétique, dynamisme et articulation. MADI est simple, logique, nécessaire. Il n’est pas facile de rester calme face au déversement de la laideur et de la médiocrité des arts plastiques officiels de nos jours, mais laissons à d’autres le soin d’en juger. Nous, poursuivons notre marche vers le futur, nous, peintres, sculpteurs, musiciens, architectes, poètes, MADI, tournons-nous vers le plaisir de créer de la beauté. Regardons vers l’an 2000, qui sera notre siècle, aucun doute là-dessus.
Signé : Carmelo Arden Quin

Et le « Pré-manifeste de Milan » écrit à Paris le 18 avril 2002 et paru dans le catalogue de l’exposition (mai-juillet 2002) au Musée d’Art Contemporain de Pieve di Cento, en collaboration avec le Centre d’art contemporain de Brescia, Arte Struktura :
PRÉ MANIFESTE DE MILAN
Pourquoi Madi est de permanente actualité ?
C’est parce que d’abord il s’est attaché à se libérer du carcan de la dimen¬sion orthogonale où l’or inscrivait les couleurs pour faire un objet de beauté en peinture.
C’est aller plus loin que le rectangle et donner ainsi un coup d’arrêt à un support plus que périmé dans ses possibilités. Finie la domination des seuls quatre angles.
La seconde grande « permanence » de Madi, c’est de proposer des solu¬tions aux problèmes où s’était empêtré l’art géométrique classique, c’est à dire l’immobilité. L’art constructiviste, l’art concret, etc., enfermés dans leur rectangle, n’ont jamais bougé, n’ont jamais connu la beauté du mou¬vement. En cela aussi, Madi a libéré la composition et donné indépendance et liberté totales aux couleurs primaires, aux couleurs secondaires, aux couleurs simultanées, au blanc et noir et au monochrome, structurés dans une « forme en soi » au lieu de se diluer à l’intérieur du rectangle ; Madi s’est employé à systémati¬ser des matériaux nouveaux : le plastique, l’acier chromé, le verre et le plexiglas ; et comme essence la profusion des angles et le mouvement réel dans des objets et « co pla.nals » ; immobilisme et jeu esthétique ; transparences mobiles et lumineuses.
Madi doit systématiser tout cela. Madi est toujours au commencement du nouveau. Il est en révolution perma¬nente de création plastique.
Madi a sa « constante ». Cette constante est la polygonalité au delà des quatre angles. Ce n’est pas du spirituel pris par ses cheveux pleins de parasites. C’est une chose simple et rigoureuse en sa forme et son contenu, sans aucune prétention d’un au delà faussement mystique. Madi est Lucidité et Plu¬ralité. Une présence continue de simple beauté. Madi construit continuellement le futur. Et ceci, en dépit de tous les opportunismes et compromissions de tout acabit.
Madi se veut le mouvement esthétique de notre siècle. En vérité, Madi n’a pas d’histoire, il fait en permanence l’Histoire, il fait en permanence le présent et l’avenir. Je fais appel à nos camarades du Madi Italien, qui luttent et créent en ce sens, pour qu’ils ne se lais¬sent abuser par des fourbes sans vergogne et des menteurs arrogants, qui ne font que démoraliser en vue de la liquidation de cette merveilleuse aventure qu’est le Madi.
Mettez à la porte ces gens là.
En avant ! Et bonne route aux madistes italiens.
Signé : Paris, 18 Avril 2002, Carmelo Arden Quin

Notons que Jean Charasse, l’un des artistes de l’exposition à Trapani « Geometrie di Luce » exposera ses très madistes « Parallélépipèdes » à la Galerie Le Hangart de Draguignan du 22 septembre au 19 novembre 2011.

Invitation de l’exposition Jean Charasse à Draguignan

A cette occasion Alexandre de la Salle, qui l’a beaucoup exposé dans sa galerie de Saint-Paul, lui a écrit ce texte :
« L’œuvre de Jean Charasse s’est toujours signalée par un rapport à la structure, même si, paradoxalement, dans ses débuts figuratifs, cette structure pouvait être dissimulée, codée, dans – comme leur nom l’indique - des structures élémentaires de la parenté, à l’occidentale. Et puis son ethnologie personnelle l’a mené de l’art primitif italien à des structures vraiment tribales, son goût pour l’art africain n’y étant pas pour peu : ses sculptures en forme de « Signaux » pourraient parfois être signées par des Africains du fond des forêts. Balises d’un parcours vécu dans les profondeurs d’un humanisme singulier, les différentes étapes de son œuvre mènent Charasse, aujourd’hui – et à travers une rencontre avec le Mouvement MADI - à un concept de parallélépipèdes superposés, associés comme pour mettre en acte la leçon principale, incontournable, de Carmelo Arden Quin lorsqu’il s’agit de définir un objet madi : la Pluralité. Et à partir du Plan. Spécificité de Madi, ce plan, la planéité qu’Arden Quin avait puisée dans un retour au « primitivisme » en écho avec les arts de la forêt amérindienne. Le fil n’est donc pas rompu du lien à la culture planétaire, à ses Espaces, à ses Temps. Le plan. Ici en relief, pour des formes non pas courbes, mais à leur manière sortant du mur, jouant avec le mur, ou alors, dans le vide s’exerçant à des équilibres-déséquilibres qui évoquent les prescriptions données par le 7e pré-manifeste lu par Arden Quin à Buenos Aires le 4 avril 1948 au cours d’une Matinée Madiste chez le docteur Piterbarg à Buenos Aires : montrer des choses inconnues, faire une architecture qui sorte à tous les horizons, une sculpture mobile, géométrique et délirante. « Nous ne parlerons pas des murs de l’orthogonalité. Nous ne parlerons pas des eunuques du statisme. L’art se surpasse. Quand ne l’a t il pas fait ! La peinture fait la Révolution visible. Madi fait l’art mobile. L’art recommence ».

L’ascétisme des parallélépipèdes de Jean Charasse rend encore plus évidente leur sortie du cadre, leur audace tranquille, leur improbabilité. Principe d’incertitude ou indécidabilité, ils explorent les différents avatars du côté « accidentel » de la Forme, son infinie diversité. Avec douceur, sans agressivité dans ces couleurs d’argiles pâlies par les siècles. J’ajouterai que Charasse est un artiste rare qui, à l’acmé de chacune de ses périodes, n’hésite pas, régulièrement, à franchir la ligne pour oser un nouvel Ailleurs, un nouveau caractère des Formes, une nouvelle Poétique.
Signé : Alexandre de la Salle, Cagnes-sur-mer, août 2011