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EN VILLE : Le Musée Magnelli dans tous ses états

Le château de Vallauris, ancien prieuré de l’Abbaye de Lérins, abrite trois musées en un : le Musée National Picasso "La Guerre et la Paix", le Musée Magnelli et le Musée de la céramique. Un lieu à facettes qui recèle plus d’un attrait pour l’amateur d’art.

Ce château de 1568 est l’un des rares édifices de la renaissance en région, et l’un des rares aussi à cumuler « les mandats ». Il est flanqué de la Chapelle Picasso qui, sous la coupe des Musées Nationaux de France, accueille des installations d’artistes internationaux. Son corps central dépendant, lui, plus directement de la ville abrite depuis 1977 la plus importante donation Magnelli faite par la veuve du peintre ainsi que l’un des plus beaux fonds dédié à la céramique vallaurienne. « Une collection qui se partage en trois sections, explique Sandra Bénadretti, Conservatrice : l’œuvre de Picasso qui découvrit ici ce noble art, les précurseurs avec la dynastie Massier et, enfin, des travaux contemporains primés aux biennales initiées par la ville dès 1968 ».

Et Alev « creuse le vide »


Guère étonnant qu’avec un tel héritage les salles du rez-de-chaussée accueillent du 5 décembre au 1er mars 2010 l’une des plus grandes céramistes actuelles : Alev Ebuzziya Siesbye. Une exposition conçue comme un clin d’œil aux artistes modernes, Picasso, Chagall, Matisse, tous venus un jour aux ateliers Madoura de Vallauris. « C’est le seul espace du Musée Magnelli ouvert aux invitations. Dans le cadre de la saison de la Turquie en France, nous y avons installé une soixantaine de pièces retraçant l’univers de cette grande dame de la céramique ». Originaire de Turquie, Alev est passée par l’Allemagne puis par la manufacture royale de porcelaine de Copenhague avant de s’installer à Paris en 1987. Sa singularité : une pratique des origines méditerranéennes et une éducation nordique. « Un métissage qui confère rigueur et sensualité à ses créations monochromes ou ses couleurs, tels des bleus cobalts renvoyant à la mer du Bosphore et les lignes s’inspirant de la

Sandra Bénadretti Pellard, rattrape au vol un bol d’Alev Ebuzziya Siesbye ©j-Ch. Dusanter

Grèce antique », commente Sandra Bénadretti. Alev refuse les motifs, à part quelques nuages mongols ou frises de textiles d’Anatolie. Le raffinement s’exprime chez elle par l’extrême finesse des lèvres de ses contenants et leurs bases travaillées afin d’offrir une légèreté quasi aérienne. « C’est un travail préparatoire savant, des émaux à la cuisson, un combat entre elle et la matière. L’installation fut très particulière. Tout avait été rangé par vitrines dans son atelier. Quand les cartons sont arrivés, la mise en scène était déjà faite. Alev est exigeante parce que la magie de ses pièces ne s’exprime totalement qu’avec une scénographie étudiée, notamment en termes de lumière comme d’architecture ». L’exposition présente également une gamme de bols blancs et noirs qui évoquent, eux, l’attirance de l’artiste pour la céramique chinoise époque Song, ainsi qu’un florilège de ses commandes pour le design et les arts de la table.

La céramique des Massier à Picasso


Les arts de la table, un thème présent à l’étage supérieur du Musée où la céramique vallaurienne a élu domicile. À côté des pièces rustiques de potiers de Vallauris, des ustensiles de cuisine ou « Terrailles », s’étend la collection Massier dès la fin du XIXème. « Une famille de Vallauris qui œuvra dans ses ateliers avec une centaine d’ouvriers », précise Sandra avant de poursuivre, « les Massier ont défriché la céramique artistique avec les bleus qui ont fait leur renom puis Clément, le chimiste de la famille développa une technique ancienne orientale ». Le lustre métallique donna ainsi naissance à des pièces très contemporaines, des faïences revêtues d’oxyde de platine qui rehaussèrent les vases de reflets irisés qui séduiront la riche clientèle cosmopolite fréquentant la Riviera au tournant du XXème siècle. Les créations des années cinquante figurent en bonne place (salle Madoura),
avec des œuvres de Jean Derval, Roger Capron, Robert Picault… Mais « l’âge d’or » de Vallauris resplendit dans une autre pièce où les étonnantes créations de Pablo Picasso sont accompagnées de photos d’André Villers. Avec ce fonds permanent et celui du Musée Picasso d’Antibes, la Côte d’Azur détient le plus gros butin céramiste du maître espagnol. Enfin, une autre section abrite les créations contemporaines réalisées à Vallauris par des designers en collaboration avec des artisans locaux.

Vue du Musée Magnelli ©j-Ch. Dusanter

Au dernier niveau du Musée est retracé le parcours d’un peintre aussi majeur qu’atypique. Alberto Magnelli qui, pendant la deuxième guerre mondiale, se réfugia à Grasse où il résida de 1940 à 1970, et a choisi les œuvres qui furent exposées dès la création du musée, sa veuve ayant fait don d’un important fonds allant du début du siècle aux années 70. Une œuvre protéiforme qui va du figuratif vers l’abstraction dont il fut un pionnier. « Dès 1914, Magnelli était déjà d’avant-garde avec des lignes et des aplats qui renvoient au constructivisme, cubisme, futurisme. Mais l’artiste autodidacte a suivi son propre chemin, ses origines florentines le portant d’emblée vers les peintres de la Renaissance italienne. Une influence visible dans son traitement des perspectives ». Après les exercices semi-figuratifs, une salle présente son travail des années 30.

Vase en céramique de la période Vaullaurienne de Picasso © j-Ch. Dusanter

« Suite à sa visite dans les carrières de Carrare, il livra une série de tableaux incluant des effets de matière comme la peinture sur toiles goudronnées ». Cette « période de pierre » préface la dernière de 1950 à 1970 où le peintre verse dans l’abstrait tel « le chemin lumineux » où l’économie de moyen n’a d’égale que le raffinement du style. Pour la présentation des gravures de l’artiste, Sandra Bénadretti avoue s’être inspirée de la muséographie des Musée Nationaux lors de l’exposition « Blaise Cendrars ». « J’ai trouvé aussi pertinent qu’original l’éclairage de Grégoire Gardette, une lumière posée en douceur sur l’œuvre qui offre au visiteur une lecture intimiste ».

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