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ECOLE DE NICE - CHRONIQUE 20 : L’Ecole de Nice et les maires de Nice ! (1) - Chronique Bimensuelle sur l’Ecole de Nice - par André Giordan et Alain Biancheri pour Art Côte d’Azur

Résumé des chroniques précédentes


L’art ne se conçoit pas sans son Histoire ! Depuis Duchamp et bien d’autres, « libérés » -du moins le prétendent-ils…- des contraintes classiques de la représentation et du « beau », les artistes soit interpellent, questionnent, provoquent, soit recherchent de nouvelles esthétiques plus radicales, hors des mediums traditionnels. Pourtant rien n’est « neutre » dans leurs démarches. Tout s’inscrit dans une Histoire qui en retour fait évoluer les pratiques. L’Ecole de Nice ne déroge pas à ces cheminements. Mieux très souvent, cette mouvance l’a anticipé ou favorisé. Connaître l’Histoire de l’Ecole de Nice dans tous ses ressorts fait partie intégrante de sa marche continue.

Qu’en est-il de la Ville de Nice et de ses municipalités successives d’alors ? Quelle place jouèrent-elles dans l’émergence et le rayonnement de l’Ecole ? Et notamment puisque la grande époque de ce mouvement furent les années 60-80, quels comportements eurent Jean et de Jacques Médecin , les maires charismatiques et « tout-puissants » de ces années-là ?

Fin des années cinquante

Le Laboratoire 32, La boutique galerie de Ben, début années 60 Une première exposition : « Scorbut », est montée avec Raysse, Chubac, Gilli et Ben. Nombre de jeunes artistes s’y rencontrent, font connaissance, dont Venet, Mas, Erebo, Serge III, Alocco,..,.

Fin des années 50 : Arman crée les Cachets ; il s’agit d’empreintes de tampons de caoutchouc de différentes couleurs. Ben Vautier (dit Ben) et Malaval s’associent pour ouvrir une boîte de nuit : « Le Grac », qu’ils décorent ensemble. Malaval accroche des toiles surréalistes ; au bar, Ben fait des écritures de couleur. La Galerie Longchamp, rue Longchamp, expose Gilli, Raysse, Chubac. A l’époque, leurs toiles sont plutôt abstraites, tendance Ecole de Paris. Paul-Armand Gette crée ses premières Cristallisations verbales. Elles seront exposées en 1960 à la Galerie Matarasso.
En octobre 1958, Ben change de métier ; il monte une boutique de disques d’occasion au 32, rue Tondutti de l’Escarène. Il en fait rapidement une galerie, malgré l’étroitesse des lieux. Son projet : montrer « tout ce qu’il y avait de nouveau en Art à Nice et dans la région ».

« J’avais pour principe très simple d’exposer tout ce qui me choquait, tout ce qui me paraissait contenir de la nouveauté. »
- Ben, site personnel - http://www.ben-vautier.com/

Les années 60

Début des années 60, Chubac réalise ses premières sculptures modifiables aux couleurs vives. Ben publie à la ronéo son manifeste sur le Nouveau. Il le défendra lors d’une conférence au Club des jeunes, un club de poésie à l’origine, au sous-sol d’une Brasserie de la Place Masséna. Arman lui achète sa chemise aux enchères le même jour pour 19,30 Nouveaux Francs . Il la décrète « œuvre d’art » !
Malaval crée ses premiers Aliments Blancs qu’il expose à la Galerie Chave à Vence. Paul-Armand Gette produit ses premières Calcinations qu’il destine à la Galerie Cavalero à Cannes. André Verdet expose à la Galerie Madoura. Venet s’installe à la Rue Pairolère dans le Vieux-Nice pour produire des cartons recouverts de goudron ou des tas de charbon.

- « 1960
Un jour, j’étais avec Restany et j’ai signé tous les barils descendus d’un cargo dans le port de Nice. C’était ma première accumulation monumentale. C’était des barils de vin. Bien avant la rue Visconti de Christo, mais moi ce n’était pas le barrage qui m’intéressait, c’était le tas. (Arman).
Ben écrit et tire à la ronéo son manifeste sur le Nouveau qu’il défendra au Club des jeunes dans sa conférence sur « Tout et Rien ». Ce jour-là, Arman lui achète sa chemise aux enchères à 19,30 F en tant qu’ouvre d’art. Ben est mécontent car elle lui avait coûté plus cher. C’était le 12 Novembre. Ce jour-là également, on lui vole une merde qui était dans une boîte de verre avec des trous au-dessus.
Claude Rivière, écrit un article dans Combat (du 15 août), dans lequel elle parle de l’Ecole de Nice. Elle cite, entre autres, Arman, Martial Raysse Klein, Sacha Sosnovski (Sono), Jean-Pierre Mirouze, Dubuflet et Chave.
Ben signe Dieu. Très jaloux d’Yves Klein et d’Arman, j’allais, un jour, au magasin de meubles du père d’Arman et très excité, je dis à Yves : - Tu dis que tu es le plus fort, tu t’es approprié les éléments les plus purs, les extrêmes, et pourtant, je suis plus fort que toi, car tu vois, si Dieu est partout, il est aussi dans cette balle de ping-pong et, en signant la balle, j’ai signé Dieu car il y est contenu. Et c’est Dieu qui a fait l’univers. (Ben).
Rencontre historique à Coaraze, de Robert Laffont, Giordan et François Fontan (les trois penseurs de l’ethnie occitane).
Chubac crée et réalise ses sculptures modifiables de couleurs vives. Elles contiennent un élément ludique. Elles sont faites, au début, avec du bois peint. Par la suite, Chubac incorpore aussi du plastique.
Bernard Venet faisait son service militaire. Un jour, il vint voir Ben, lors d’une permission, à son magasin et lui dit :
Bernar Venet - Tu sais Ben, je suis le peintre le plus rapide du monde, est-ce nouveau ? - Oui mais comment fais-tu ? - Je prends cinq toiles, je les mets par terre les unes à côté des autres, je prends mon pinceau, je trempe mon pinceau dans la peinture et j’éclabousse d’un seul geste de bras, les cinq tableaux en un dixième de seconde, ce qui fait deux centièmes de seconde pour chacun, il n’y a pas plus rapide que moi !
Martial Raysse signe les Prisunics de Nice et les étalages de cosmétiques. Ce qui l’intéresse, c’est la profusion colorée de l’article de série, l’afflux quantitatif des étalages, la marée de produits neufs dans les grands magasins. »


- Extrait site Ben, Ecole de Nice - http://www.ben-vautier.com/

Pendant ce temps, Klein, ses Anthropométries et ses Moncochromes, Arman crée ses premières Accumulations et ses Colères, Raysse ses Objets de Prisunic et ses Mannequin-type. Mais eux travaillent essentiellement à Paris, puis à New-York ; ils sont « embrigadés » alors par le critique Restany dans le Nouveau Réalisme. Ils se rattacheront à l’Ecole ou on les rattachera à l’Ecole qu’ultérieurement, du moins pour les deux derniers.

Arman, Malheur aux barbus, 1960 Œuvre présentée dans l’exposition « le Plein » Accumulation de rasoirs électriques dans boîte en bois et Plexiglas 101x60,5 cm (photo Séverine Giordan)
Klein, Monochrome bleu, Centre Pompidou 199 x 153 x 2.5 (photo Séverine Giordan)

Milieu des années soixante, avec le démarrage du mouvement Fluxus niçois, tout s’accélère, fédéré autour de la personnalité de Ben… « L’Ecole de Nice » commence à faire parler d’elle.

La municipalité du « roi Jean »

Jean Médecin, Député, maire de Nice

Pendant ce temps, la municipalité conduite par Jean Médecin, le père, ignore totalement ces jeunes artistes. L’intelligentsia niçoise les connaît pourtant, ce sont souvent leurs enfants… mais elle les trouve « trop remuants » et « trop avant-guardistes » à leur goût !

Le « roi jean », pourtant visionnaire et très ouvert sur l’art , n’en voit aucun intérêt électoral, d’autant plus que certains d’entre eux militent au parti communiste alors très puissant ou se rapprochent de groupuscules embryonnaires de tendance gauchiste.

La bourgeoisie niçoise a déjà beaucoup de mal à digérer Matisse, Cocteau, Chagall, Léger qui se sont installés sur la Côte et y multiplie les expositions. Que de mal ne disait-on pas alors encore sur… Picasso ! L’expression niçoise, largement popularisée « es un Picasso ! » était synonyme de « c’est du n’importe quoi » ! Où retrouver la « beauté » des tableaux de la première Ecole de Nice, celle des Bréas, ou la luminescence des oeuvres baroques des Eglises du Vieux-Nice qui avaient bercé leur enfance…

1950 est toutefois une date importante, du moins pour la suite ! La municipalité accepte du bout des doigts et sans enthousiasme, l’inauguration de la Galerie des Ponchettes, Quai des Etats-Unis. Un lobby plutôt généreux, ouvert sur la nouveauté esthétique, s’était mis en place à la libération de 1944 : l’Union Méditerranéenne pour l’Art Moderne (UMAM) , sous les auspices de Pierre Bonnard et surtout d’Henri Matisse.

« Notre gouvernement se propose de faire mieux connaître à Nice et dans notre région l’Art moderne, et particulièrement l’art moderne français, dont le rayonnement à travers le monde demeure considérable.
Ce résultat nous pensons l’obtenir par des expositions, des conférences, des publications.
Nous comptons découvrir, encourager, aider les talents nouveaux.
Mais la tâche principale que nous nous assignons c’est de contribuer à la création d’un Musée d’Art Moderne à Nice… »

- Manifeste UMAM publié en 1946

Galerie des Ponchettes dans les années 50 (photo Gilletta)

La première exposition du Comité consacrée à Matisse fait scandale ! Le public niçois est peu préparé à cet
« art dépouillé et sublimé du maître (qui) devait évidemment blesser quelques rétines. De tout temps les novateurs ont provoqué les ricanements de la foule.
L’admiration du public est toujours en retard d’un demi-siècle »

Jean Dragon, Catalogue de l’exposition Grands peintres contemporain, Palais de la Méditerranée, 1946

Ce sera cependant une exposition Matisse qui inaugurera la Galerie des Ponchettes. 38 tableaux, 23 dessins, 2 tapisseries et 5 sculptures seront réunis.

Le maire Jean Médecin marche alors sur les œufs ! Il est peu empressé de mettre en place ce nouveau Musée, tout en donnant de temps à autre quelques signes de bonne volonté.

« Il est bien évident qu’il s’agit là d’une amorce. Cette installation doit être complétée par l’expropriation des immeubles voisins de manière à donner à cette Galerie l’ampleur suffisante pour devenir un centre d’art, digne de la Ville de Nice…
Je suis persuadé que vous voudrez bien me conserver la collaboration de votre Groupement, avec lequel il nous sera permis de compléter l’équipement de la Ville de Nice. »

- Jean Médecin, discours du 23 mars 1950

Il faudra attendre… 40 ans pour le réaliser ! Ce sera l’œuvre de son fils Jacques, sous l’influence de la direction des Arts de la Ville et de quelques conseillers…

Matisse devant l’entrée de la Galerie des Ponchettes (1953)

(suite à la prochaine Chronique)

1 - Jean Médecin, surnommé « le roi Jean » ou encore « Jan de Nissa » fut élu en 1928, maire de Nice, où il acquiert une véritable notoriété qui lui permettra de régner en maître sur la ville durant 37 ans. À la mort de son père, en 1966, Jacques Médecin s’impose en successeur incontesté et remporte la mairie de Nice. Il a… 37 ans et y sera réélu cinq fois jusqu’en septembre 1990, où il démissionne de tous ses mandats et s’enfuit à Punta del Este en Uruguay.

2- Entre 1958 et 1972, le magasin s’est appelé successivement, le Laboratoire 32, puis la Galerie Ben Doute de Tout.

3- La même année, De Gaulle venait de créer les « nouveaux francs ».

4- En 1933, il crée le Centre Universitaire Méditerranéen qui fut et reste un centre intellectuel et culturel de prestige. Paul VALERY en fut le premier administrateur. Il servit de point de départ à la nouvelle Université niçoise qu’il porta à bout de bras jusqu’à son inauguration en 1965.

5- A la demande de Jean Médecin, sous les conseils de l’architecte Anselmi, la décoration intérieure a été conçue par l’architecte décorateur, Clément Goyenèche, dans un style nouveau pour l’époque, inauguré par l’exposition de 1925 sur les Arts décoratifs.

6- En novembre 1945 est créé le Comité consultatif des Arts Plastiques de la Ville de Nice sous la municipalité de Jacques Cotta, issu de la résistance. Il devenait quelque mois plus tard en 1946, toujours sous la même municipalité, l’Union Méditerranéenne pour l’Art Moderne. Son siège était 16 Boulevard Dubouchage à Nice.

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FLUXUS (suite)


En dehors de Ben, deux artistes ont surtout développé l’esprit Fluxus au moment de l’émergence de la fameuse Ecole de Nice : Georges Brecht et Robert Filiou.

Georges Brecht 1926- 2008

Le travail de Georges Brecht, né à New York le 27 août 1926, artiste éminent du mouvement Fluxus, se construit essentiellement à partir de la notion de hasard. Au départ sa formation scientifique va le diriger vers une carrière de chimiste, mais il se passionne très tôt pour un certain nombre de théories liées aux phénomènes du hasard, depuis ses fondements scientifiques jusqu’aux calculs de statistiques et aux nombres aléatoires. Il publie le texte « L’imagerie du hasard » paru en 1957 dans lequel il réalise l’apologie, à travers l’évolution de l’histoire de l’art, des artistes qui ont assumé leur création artistique à travers les lois du hasard. Depuis les peintures rupestres, de nombreux créateurs ont pu puiser leurs sources dans les réalisations fortuites, comme ce fut le cas au vingtième siècle avec les Improvisations de Kandinsky et les débuts de l’abstraction, et surtout les automatismes de l’écriture et de la peinture Surréaliste avec André Masson ou Max Ernst. Georges Brecht parle des artistes qui l’ont marqué, comme Jackson Pollock et ses Dripings, ou les imprégnations aléatoires des grandes peintures de Morris Louis.

On a pu le considérer comme le premier artiste à concevoir ce qui deviendra l’Art Vidéo, avec un projet d’assemblage de moniteurs en fonctionnement, constituant un véritable mur « vidéo » dans l’esprit des installations contemporaines. A partir de cette proposition préétablie, plusieurs possibilités de déroulement peuvent se manifester de manières aléatoires, directement issues de l’incitation de base.
La création d’Events est aussi la conséquence directe de ces réflexions de l’artiste, à la fin des années 50. A partir d’une situation initiale vont apparaître un certain nombre d’évènements ou d’actions, provoqués fortuitement, dans l’esprit de ce que produira le mouvement Fluxus par la suite. Dick Higgins organise des Public Events à Madison Square, Georges Brecht suit dans d’autres quartiers de New York avec Alan Kaprow, Al Hansen, La Monte Young, Carolee Schneemann, Dick et Alison Knowles, Yoko Ono....Et les premières rencontres vont se faire avec Spoerri, Filliou, et Ben.

En 1965 il ouvre avec Robert Filiou à Villefranche-sur-Mer La cédille qui sourit, et il participera à de nombreuses manifestations Fluxus à Nice et dans la région, notamment dans le Hall des remises en question en 1967, ouvert par Ben. Sa contribution à l’Ecole de Nice passe donc par les séries d’actions qu’il a menées, issues directement - ou indirectement - de ses théories sur le hasard.

Georges Brecht, Deux chaises, chaussure et chemise, 1984, dimensions variables, coll. particulière

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