Pour moi, la première fois que j’ai vu une œuvre de Pastor c’était au début des années 90 chez Chave à Vence.
Gilbert Pastor n’était pas un artiste de la galerie. Mais il y avait là, posé par terre un tout petit tableau, une scène d’intérieur, d’une présence extraordinaire. J’ai demandé de qui c’était. "C’est de Gilbert Pastor. Il vit à Aups." Alors je suis allée à Aups. Je ne sais plus dans quel ordre. Mais je sais que j’y suis allée deux fois : une fois pour l’exposition à la galerie Atys en 1994 où il y avait des paysages merveilleux. Et une autre fois où j’ai rencontré Gilbert Pastor. Il se partageait entre la rue Rosette Cioffi, une maison de trois étages où il avait vécu pendant des années avec sa mère, et sa nouvelle maison tout en haut du village, baignée de soleil, où il allait ou avait emménagé avec la céramiste Yveline Gatau.
Visiter la maison de la rue Cioffi c’était retrouver et regarder sa peinture c’était entrer dans son atelier.
Il y avait une totale continuité entre l’œuvre et la vie. Malgré la lumière de l’été, les deux premiers étages étaient très sombres. De mémoire, une pièce à vivre-cuisine au rez-de-chaussée avec une chambre-alcôve pour sa mère, au premier étage, une bibliothèque incroyable, retravaillée, comme pétrifiée, qui était devenue une œuvre d’art et sa chambre, et au dernier étage, l’atelier éclairé par une verrière au plafond. Le chevalet faisant face au mur était équipé de miroirs latéraux pour regarder le sujet qui se trouvait derrière : un décor miniaturisé comprenant un simulacre de lit avec un bout de tissu blanc dans une boîte-chambre.
Pastor n’exposant qu’exceptionnellement dans la région niçoise, je me suis déplacée plusieurs fois pour voir des expositions dans des galeries à Sausset-les-Pins, à Aix... avec toujours une immense curiosité. Jusqu’à une période récente, l’œuvre n’était pratiquement pas documentée et se découvrait petit morceau par petit morceau au fil des expositions. Il a fallu attendre 2013 pour que les éditions Unes lui consacrent une monographie avec les beaux textes de Frédéric Valabrègue et de Pastor, très éclairants sur son parcours d’homme et d’artiste.
- Corps - Gilbert Pastor
Dès sa première exposition, Gilbert Pastor a touché un cercle d’amateurs.
Vendant au fur et à mesure sa "production", il a peu documenté son travail. Qui peut prétendre connaître vraiment son oeuvre ? Les premiers témoignages insistant sur l’érotisme de sa peinture ne laissent pas d’étonner. Il y a donc eu avant le Pastor d’Aups un autre Pastor bien différent.
L’exposition à la galerie Arts 06 rue Pauliani à Nice qui a commencé avec lui et qui se termine sans lui le 29 août 2015 permet de se faire une première idée de l’œuvre en attendant le nécessaire travail de documentation et l’exposition rétrospective qui permettra de prendre toute la mesure de ce grand peintre et dessinateur qui a passé toute sa vie en Provence, entre Marseille, Mane et Aups.
Et si certains galeristes et poètes sont venus de Lyon, de Paris... pour le rencontrer, Pastor n’a vraiment fréquenté assidûment qu’en Provence, nouant des liens forts avec les multiples foyers artistiques et intellectuels disséminés dans cette région : le cercle de Forcalquier avec Lucien Henry, Pierre Magnan, Olivier Baussan, le cercle de Cotignac avec Nicolas Valabrègue, Boris Bojnev rencontré à Mane, Armand Avril rencontré dans un car, Jean-Pierre Sintive des éditions Unes rencontré à Draguignan...
- Danseuse - Gilbert Pastor
Sa mort paraît prématurée, trop tôt venue, car pour beaucoup de choses, Pastor avait commencé à vivre tard.
Inscrit aux beaux-arts de Marseille à l’âge de quatorze ans il ne devint peintre professionnel qu’à 45 ans avec sa première exposition chez Paul Gauzit à Lyon en 1977. Il lui fallut attendre 57 ans pour décrocher son permis de conduire : "je vais enfin pouvoir me déplacer à ma guise (...) je peins mes premières aquarelles, mes premiers paysages". Il découvre le bonheur conjugal à soixante ans passés. "2012 – le 15 mars j’ai eu 80 ans et encore plein de projets en tête. Il faut dire qu’Yveline déborde d’imagination ! (...) Je ne me sens pas vieillir, je peins, je dessine, je suis heureux."
Et même pour ceux qui, comme moi, n’ont fait que le croiser, sa disparition est difficile à accepter.
Car son théâtre intime est aussi le nôtre. Apparitions, effacements, réapparitions : il savait comme personne agiter les eaux calmes de la conscience pour faire remonter à la surface ces drames dont on ne se remet jamais, ces morts que l’on porte jusqu’au bout et qui corrodent la vie et le désir. "La chambre de passe n’est pas loin de la chambre funéraire" écrit F. Valabrègue et Pierre Gaudibert a justement noté que "Toute la peinture de Pastor sécrète une atmosphère à la fois poignante et troublante qui tient des enfouissements de l’enfance, des obsessions de l’adolescence et des rêves de toujours, qui allie un érotisme aigu à une secrète pudeur".
Agnès de Maistre
- Ombres - Gilbert Pastor