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CHAPITRE 58 (Part IV) : Gilbert Pedinielli

Suite de la chronique de France Delville...

Suite du « manifeste » de Calibre 33

C’est pourquoi la mise en commun de nos individualités nous semble être une des rares issues que nous puissions envisager. Créer un lieu est une façon de conserver son libre arbitre, poser un problème que l’on ne peut résoudre seul et dans d’autres perspectives que celles désastreuses qui nous sont offertes aujourd’hui. (Extrait de ce qui est signé « Calibre 33 is it art, avril 1982)

Dans « Surprises balnéairement… » à Carros, Daniel Farioli (Capture d’image du film de France Delville)


Notons que Serge III s’est inscrit dans Calibre 33, lui qui est, avec Ben, l’un des piliers de Fluxus à Nice. Serge III qui a toujours su se décentrer. « Appareil critique » est un terme important, pour tous, et aussi, bien sûr pour Gilbert Pedinielli, dont un texte dans le même catalogue me semble aussi très éclairant (sous le titre « Questions ») :

Questions

Le besoin de trancher le cordon ombilical de soi à soi même vient il de la volonté de tuer sa mort (plusieurs fois dans une vie) avant qu’elle ne vous baise jusqu’au râle ?
De loin l’impression première de la peinture domine. TOUT est visible en un clin d’œil. De près, TOUT se complique. La difficulté ne provient elle pas d’une complexité entrevue, de la connaissance à utiliser ou à ne pas savoir (ou vouloir) éliminer les choix ? J’ai entendu dans l’assistance : il faut prendre du recul, s’élever, être en réserve de la république, se distancier etc. TOUT cela ne nous éloigne t il pas trop du sujet ?
J’en ai ras le Mossant que le verbe à postériori justifiât l’action (et de la théorie du placage). Cette dernière est binaire. Le cheminement de la création est protéiforme et multidirectionnel. L’avancement des travaux ne justifie t il pas tâtonnements, voix de tête et voix de cœur menés de front ?
Si en même temps l’art possède une fonction critique et une fonction d’intégration, encore faut il que la première puisse s’exercer aussi sur son producteur et sa production. La seconde fonction n’est elle pas devenue un héritage tendant à transformer l’espèce ?
Enraciner le quotidien afin qu’il projette une trace dans l’histoire. Est ce possible en art ? La démocratie peut elle fonctionner différemment qu’à travers un plus petit commun dénominateur ? Je pense qu’il faudrait réviser ce schéma en excitant la dialectique des idées minoritaires/majoritaires. Comment conserver la puissance créatrice des minorités, leur aiguillon ou simplement leur survie ? Comment dépasser le stade amniotique sans césarienne ?
Enfant, je voulais que toutes les montres soient à la même heure. Plus tard mon but fut de retirer les lunettes noires aux gens afin qu’ils puissent voir la vie en couleurs. Je récoltai quelques coups, mais je réussis à atteindre mon but sur tous les aveugles de la ville. Maintenant, après le règne des certitudes rectilignes tombées en désuétude, je voudrais rendre compte et défendre mes doutes avec violence, en écartant mes œillères dorées et en évitant les merdes de chiens.
Depuis cinq ans je tente une expérience picturale suicidaire. Après des années de peinture/ peinture qui se traduisaient par le savoir-faire et un ronron confortable, j’ai été amené à traiter des thèmes, des événements, des unités avec une rigueur d’approche et de conception qui correspond à l’idée même du sujet sans qu’il y ait une continuité de style de ma part. J’essaie d’éviter la répétition visuelle de ce que j’ai à dire, gommant mes propres tics et clichés, et le phénomène de « comment le dire » n’est plus immédiat.

Dans « Surprises balnéairement… » à Carros, Gilbert Pedinielli (CI)


Le marché de l’art s’est établi sur l’identification d’un individu à travers une image, la recon-naissance d’une signature et les redites efficaces de cet individu. Seule la mort de l’artiste soulage et réconforte tout le monde. Le nombre d’œuvres est relativement bien défini, la cote peut s’établir car on a l’assurance que le style est définitif. Le marché (l’idéologie qu’il véhicule ou l’inverse) ne tient que parce que les artistes installés s’accrochent à leur marque de fabrique, perpétuent et multiplient le dessin de leur nom et ce nom, attaché à l’œuvre (hier) ou non (aujourd’hui) les enchaîne à ce marché pour une projection hypothétique dans l’avenir. Cultiver son ego c’est bien, encore faut il que cela puisse faire avancer le schmilblick, disait un de mes amis.
L’artiste peut il vivre s’il n’a pas une étiquette ? Comment et quand le style devient il un mythe et/ou un bâton de vieillesse ? Comment traiter les questions soudaines, inconnues, diverses sans réduire le champ de potentialités qu’elles ouvrent ? Peut on rester fidèle à une facture, à une esthétique sans trahir l’idée de recherche permanente ? Autant de questions préoccupantes. Dans le domaine du marché de l’art ma seule certitude c’est que la chose non estampillée, non dupliquée donc non crédible (au point de vue marketing) devient difficilement récupérable (mais est ce là aussi un critère déterminant ?)
Cette réflexion, que je mène avec les membres de Calibre 33, m’a permis une plus grande liberté intellectuelle, donc une plus grande complexité de réalisation pour aborder mon travail est apparue. Finie la croyance refuge du bon sauvage et de l’innocence. Les grands thèmes passent, les références se précisent. Je les emploie lorsque je les ai reconnus, torturés et éprouvés. J’ai tenté de repousser l’objet/objet pour rechercher l’objet/sujet avec toujours en arrière-pensée l’intégration des artistes/citoyens dans la cité. (Mai 1982)
La pièce qui accompagne ce texte dans le catalogue dit : « Croquis pour un drapeau tableau. SECOUSSE TELLURIQUE EN IRAN : STARDUST. Drapeau de fer. LIT A DEUX PLACES, IL Y A ERREUR, BIRD ON WIRE.
Le lit à une place est une chaise électrique

Dans « Surprises balnéairement… » à Carros, reflets dans la flaque de la sculpture (CI)

En faisant de l’Art on peut aussi penser à autre chose

Dans ce même catalogue Serge III écrit (extrait) : « L’Art, il suffit de le faire, il faut le faire et il faut le faire. Ford ou Rockfeller disait que c’était très simple de faire fortune, il suffisait de ne penser qu’à ça et y penser tout le temps. Il est plus facile de faire de l’art que de faire fortune, parce qu’en faisant de l’Art on peut aussi penser à autre chose ». (Serge III)
Marilyn, dans le travail de Gilbert Pedinielli, je ne dis pas que c’est du même ordre que celui sur les Folles de la Place de Mai, interpellant la tyrannie qui avait tué leurs enfants, mais c’est le même travail critique. Et le mot critique vient du verbe grec qui signifie discriminer, d’où la nécessité, toujours, de démonter les mythologies. Le mythe est là pour être démythifié, mais après qu’on en ait élucidé la richesse, c’est-à-dire la nécessité, les conditions de la fondation, le Symbolique.
Calibre 33 s’éteindra un jour, mais le 1er décembre 1995, Gilbert Pedinielli et Daniel Farioli recréeront un groupe à deux : « Fiduciaire Production  », au nom duquel ils montreront, à Carros, les « Surprises balnéairement correctes du guetteur », et sur lesquelles ils écriront : « … Sur le Gerflex bleu, la plage. Cette métonymie imparable sera toujours notre horizon. Si les restes de tempêtes ont laissé quelques flaques salées, rien ne présume de leur devenir, sinon l’évaporation. Pour l’eau ce n’est pas grave, c’est une transition de phase. Pour la mémoire, au contraire, terrible sera l’oubli ! L’oubli n’est pas qu’une défaillance, c’est une dégringolade. Aussi les guetteurs veillent. Unis à la fois par l’espoir et par l’action, ils peuvent accéder à des domaines où ils ne parviendraient jamais en solitaires… (…)
- Ce n’est qu’un subterfuge, encore une plage gardée !
- Non, il n’est question ici que de finesse. Pas de simple représentation binaire du monde. C’est un endroit spécifique, où les choses posées se laissent observer, voyeuriser, imaginer, comme si elles n’avaient ni commencement ni fin. Simplement. Pour ces raisons nous avons dit que les guetteurs étaient sûrs de leur coup.
- D’œil ?
- Allez savoir !
(Farioli/ Pedinielli Avril 1997)

A Carros, le Guetteur (CI)

Fiduciaire Production

De « fiduciaire », Daniel et Gilbert donnaient l’étymologie : Adjectif et nom (bas latin : fiduciarius, de fiducia : confiance) Chargé d’une fiducie : légataire fiduciaire. Se dit de valeurs fictives, fondées sur la confiance accordée à celui qui les émet. Monnaie fiduciaire, billets de banques, jetons de bronze ou d’aluminium (Larousse Universel)
Une assez belle définition de l’art, après tout. Et de leur goût pour le bronze, pour les métaux ? Mais surtout de leur goût pour la confiance, sans laquelle…Alors ils avaient aussi créé Marcel, Etalon d’art et d’or, guetteur mythique, mis en scène dans ses allées et venues et ses surprises
Au sein de la si riche diversité des travaux de Gilbert Pedinielli, il faut bien choisir encore un thème ou deux, mais il est à fortement noter que Farioli et lui ont fondé « Fiduciaire Production » en décembre 1995, alors que Gilbert avait eu une exposition au MAMAC du 6 janvier au 19 février de la même année. Comme si le retour permanent aux routes de l’aventure ne pouvait que les tarauder… Road movies quand même, il n’y a pas de doute, Mister Palance !

(A suivre)

A Carros, le Guetteur (CI)

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