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Chronique 28 : Chubac pour mémoire (Part III)

Albert Chubac, un « chant de formes » selon André Verdet
Pour poursuivre sur le mode de l’exégèse poétique de l’œuvre d’Albert Chubac, voici quelques lignes fulgurantes d’André Verdet :

Une pureté lumineuse
Le génie de la simplicité
Un ordre à la fois
Rigoureux et poétique
Un chant de formes
Où la couleur atteint
A son acmé musical (André Verdet Saint-Paul, 22-7-89)

“Sans titre” Peinture/toile (Catalogue Mamac 2004)

L’œuvre d’Albert Chubac comme artisanat métaphysique
Quant à Claude Fournet, qui fut Directeur des Musées de Nice, il écrivit un jour dans Art Thèmes :
L’apprentissage d’Albert Chubac relève d’une sorte « d’artisanat métaphysique » où s’exprime, à la limite de la couleur et de la forme, le jeu miroitant de toutes les limites possibles, le renversement ou la subversion de toute définition du rapport de la couleur à la forme : dans une sorte d’enjeu (en toute simplicité) qui donne à voir de nouveau, à voir notre regard voir, à se voir regardé par l’image qui joue dans ses surfaces et dans ses couleurs, comme nous jouons inconsciemment de l’interprétation de notre désir de voir plutôt que de ce qui est vu... (Claude Fournet)

“Sans titre” (1960) Peinture/toile (Catalogue Mamac 2004)

Aller à l’essentiel
Dans son catalogue, Jean-Pierre Harter écrit :
Lorsque j’ai découvert les pièces d’Albert Chubac, passé la curiosité de découvrir des formes et des constructions toujours différentes, renouvelées dans la continuité, j’ai apprécié cette recherche de la simplicité, ce besoin d’aller à l’essentiel, sans prétention.
De son œuvre se dégage une espèce de bonheur tranquille, une sérénité amusante et gaie. Ses trois ou quatre couleurs franches et sincères, toujours présentes, nous parlent d’un homme en joie de créer...
Au fur et à mesure de cette collection, cet émerveillement a perduré, m’a confirmé dans mon choix.
J’espère vous faire partager ce sentiment d’équilibre, de concentration plus profonde qu’il n’y paraît, de silence, à travers ce catalogue qui n’a d’autre ambition que d’essayer de vous mon¬trer les multiples talents de cet artiste pur et délicat. (Jean Pierre Harter, septembre 2013)
Et, comme il se doit, il a demandé à Marcel Alocco un témoignage autorisé, Marcel Alocco et Chubac ayant vécu en se croisant et se recroisant les prémisses de l’Ecole de Nice :

“Sans titre” (1963) Peinture/toile (Catalogue Mamac 2004)

Un certain mystère ?
Il manque sur Albert Chubac un ouvrage qui permettrait de mieux saisir le parcours de l’artiste de 1947 à 2004, particulièrement les années de l’artiste en formation, et avant sa venue dans la région niçoise. Aussi toute exposition montrant quelques dizaines de toiles peu vues en leur temps, plus jamais montrées ensuite, est elle pour nous d’un apport réjouissant. Il semble n’exister sur l’ensemble de l’œuvre aucune publication issue d’une recherche, ni même d’une approche un peu approfondie sur au moins une période. Sans doute Albert Chubac n’a t il guère favorisé cette étude de l’œuvre. Il ne datait pratiquement jamais ses tableaux et ses objets et négligeait souvent de les signer. Il est peu de dire qu’il n’administrait pas sa production et n’avait aucun souci de gérer son image : photos, articles, invitations et catalogues, livres, courriers, toutes les archives qui permettent de situer un artiste disparaissaient rapidement sans classe¬ment dans la partie inaccessible de son obscure restreinte vieille bicoque.

Nous pouvons penser qu’il prenait peut être plaisir à mythifier le passé en entretenant un cer-tain mystère sur une part de ses vies antérieures d’errant. Nous pouvons aussi constater (par exemple dans les entretiens avec Armand Scholtès filmés en 2001 par Raoul Robecchi) que, pour l’Histoire, Chubac est encore plus confus que Ben. Parce que sans doute lui n’attachait pas grande importance aux événements, il les confond, les évoque à cinq ou dix ans près, et parfois inverse les chronologies.

Sculpture murale d’Albert Chubac, Galerie Alexandre de la Salle, Saint-Paul (salle de bains, photo France Delville)

Pour Albert, le bonheur était d’être près de son atelier, assis au soleil dans son jardin à contem-pler la nature et à entendre son tumultueux silence, ces bruits que l’oreille ignore quand nous n’en sommes pas attentivement à l’écoute. Ou, autre version tout aussi nécessaire pour apprécier le temps qui passe, s’installer à la terrasse d’un café, spectateur du théâtre permanent de la rue. Ou encore, en l’un ou l’autre lieu, participer à de longues conversa¬tions avec les amis dont le formidable rire si personnel d’Albert ponctuait les débats. Il l’a dit souvent, l’Ecole de Nice était d’abord un ensemble de copains, des rencontres vivifiantes par les apports d’individus aux histoires et aux préoccupations différentes, et aussi pour lui, déraciné et vite orphelin, un peu sa famille, sa parentèle étant totalement absente.

Albert Chubac aimait les gens autant que la solitude et, s’il vivait retiré, régulièrement il descendait de ses collines pour se plonger dans l’agitation citadine. Des amis, il en eut quelques-¬uns, au long cours pour la plupart ; des copains beaucoup ; et aussi quelques ennemis qui ne lui pardonnaient pas son défaut majeur : aimer dire clair et fort ses vérités, aux artistes comme aux marchands ou aux collectionneurs, ce qui évidemment ne plaît pas à tout le monde et n’aide guère à « faire carrière ». Peu lui importait, car il vivait intensément au présent, cigale parmi les cigales, aussi bien parfois cigale parmi les fourmis. Bien sûr, nous n’étions pas toujours totalement d’accord, à discuter, mais sans dispute. Nous prenions le temps de la conversation.

Exposition Albert Chubac, Galerie Alexandre de la Salle, Saint-Paul (Photo France Delville)

Ceux qui ont bien connu Albert Chubac, ceux qui ont pu constater le désordre harmonieux du fragile atelier dans lequel étaient stockés ses travaux soumis aux variations de températures et aux fuites régulières d’un toit disjoint, n’ont guère été surpris de la légèreté avec laquelle il a négligé le devenir de son œuvre. Années après années appuyées contre le mur le plus obscur, la continue accumulation spontanée de ses toiles ne fut qu’un peu remuée en deux occasions d’expositions niçoises.

Ses amis avaient tenu en ces circonstances à lui voir montrer des travaux plus anciens. Albert Chubac avait bien exposé régulièrement ses travaux plus récents sur la Côte d’Azur, principalement à partir de 1967 à Vence et ensuite dans le bel espace de la Galerie de la Salle, à Saint Paul.

Ce ne sera qu’à l’occasion de l’inventaire de l’atelier, après la disparition de l’artiste en 2008, que seront remises en circulation les toiles produites avant son installation progressive à Aspremont, complète et définitive que vers 1960. Bien que largement antérieurs, ces tableaux nous évoquent aujourd’hui par le style, en plus dépouillé et plus Zen, quelques peintures des années quatre vingt, comme celles finalement muséifiées et retournées en galeries de Keith Haring, ou encore, cet expressionnisme schématique qu’on a appelé en France « figuration libre ».

(A suivre)

Retrouvez les parties I et II, IV et V de la chronique 28 :
Chronique 28 : Chubac pour mémoire (Part I)
Chronique 28 : Chubac pour mémoire (Part II)
Chronique 28 : Chubac pour mémoire (Part IV)
Chronique 28 : Chubac pour mémoire (Part V)

Photo de Une : Albert Chubac en 1968 à la Galerie Alexandre de la Salle pendant son exposition personnelle (Archives Chubac)

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