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CHRONIQUE LITTERAIRE : Sarko dans tous ses états

Dans l’attente de 2012, les éditeurs, les journalistes … et même les romanciers ne peuvent plus se retenir. Qu’il s’agisse de bilan, de chronique, de critique, d’analyse ou d’étude sociologique, le quinquennat Sarkozy est sous la loupe et sous le projecteur. Petite sélection de lectures croustillantes, critiques, énervées et énervantes…

C’est le romancier Patrick Rambaud qui avait ouvert le feu avec sa « chronique du règne de Nicolas Premier ». A la façon de la célèbre chronique « la Cour » du Canard Enchaîné, il s’agit d’une chronique satirique du « règne ». Lors de la première livraison, cette approche du président Sarkozy faisait encore relativement originale. Entre-temps la vision a fait flores, et le nouveau régime de République Monarchique (car il serait sans doute peu approprié de parler de Monarchie Républicaine) est devenu une analyse commune des politologues. Consécration ? Rambaud en est maintenant à sa quatrième livraison (une par année de règne) et sa plume a toujours autant de verve.

Plus récemment, l’ancien directeur de la rédaction du « Monde » et actuel directeur de Mediapart, Edwy Plenel, a en quelque sorte entamé le feu des poids lourds du journalisme critique avec « le président de trop ». Le titre affiche clairement la couleur, et le personnage ne boude pas les plateaux de télévision, où il se distingue en général assez clairement en montrant son incapacité à laisser parler un contradicteur sans l’interrompre d’invectives émotionnalisantes. Le livre est du même acabit. La France y apparaît comme une « démocratie à faible intensité », « principauté de l’entre soi et de l’entregent, de l’oligarchie arrogante et de l’irresponsabilité régnante. L’objection qu’on peut opposer à ce propos est qu’il y a là un constat qui ne date pas du président actuel. Le mérite de l’ouvrage est par contre de ne pas se borner à une mise en pièces personnelle : l’analyse, fût-elle brodée de rancœur, prend de la hauteur et vaut comme analyse politique.

Dans « Sarko l’Africain » Gilles Labarthe, qui se dit ethnologue et journaliste ( on inverserait peut-être l’ordre de priorité) se penche sur un des grands revirements de la politique Sarkosiste, concernant la françafrique, sur laquelle on a entendu un discours tonitruant et incantatoire, puis quelques maladresses spectaculaires et enfin, croit-on détecter maintenant, un certain « retour à la normale »… Dans le contexte de la guerre civile en Lybie où la France est en train de s’enliser comme les Etats-Unis se sont laissé prendre en irak et du renversement de loyauté en Côte d’Ivoire, l’ouvrage jette une lumière intéressante sur ce que politique et personnalisation du pouvoir peuvent produire .. des deux côtés de la Méditerrannée.

Le propos de « Off », émanant des activistes de « Marianne », Nicolas Domenach et Maurice Szafran, est bien résumé dans son sous-titre : « ce que Nicolas Sarkozy n’aurait jamais du nous dire ». Le titre est aguicheur, mais le contenu ne présente pas de grandes révélations factuelles.Plutôt un éclairage étonnamment cru de la personnalité émotionnelle et irascible du président. Après cette lecture, on a bien du mal à encore prendre nos institutions au sérieux, tant on imagine, en marge des éructations présidentielles, qu’il ne doit pas être le seul homme politique à jouer avec les instruments du pouvoir de manière puérile et irresponsable.

Franz Olivier Giesbert donne dans la même veine en révélant un « M. le Président » intime, fait de défauts absolument rédhibitoires pour la fonction. Son talent de romancier fait de son ouvrage peut-être le plus abouti du genre. Le Sarkozy qu’il nous montre est un homme faible, balloté, ne maîtrisant pas ses affects, se sortant difficilement de ses blessures d’amour-propre, bref, un personnage inquiétant. Giesbert crie ses grands dieux sur tous les plateaux télé que le personnage est aussi doté de grandes qualités, qui tiennent cependant dans son ouvrage plus de l’incantation ou du repiquage des fameux « éléments de language » élyséens que d’une réalité vécue ou constatée. Ce qui est le plus frappant et édifiant dans ces deux ouvrages est l’imbrication avouée ( soi-disant « assumée ») et consternante des mondes du politique et du journalisme. Comment admettre que ces deux espèces non seulement se côtoient, mais surtout se tutoient dans les sens les plus terre-à-terre et à la fois les plus figurés, se prodiguent à l’un l’autre force conseils et reproches, couchent, déjeunent, boivent et vivent ensemble, éternellement imbriqués dans des rapports de nécessité et d’envie ?

Giesbert nous offre ses aveux même pas repentants. Il sauve son propos en entrelaçant les passages les plus personnels sur la vie de notre président d’éléments de sa propre vie privée, comme si sa propre indiscrétion (qui ne manque pas de choquer, vu les rapports personnels qu’il dit entretenir avec son sujet) pouvait être compensée en s’offrant partiellement en sacrifice. Il reste un arrière-goût fort dérangeant, tant pour le fond que pour la forme.

Reste à la fin un petit ouvrage qui se démarque agréablement de ces déballages en prenant le contre-pied des déballages précédents. Michel Maffesoli est sociologue. Dans « Sarkologies » il analyse le phénomène Sarkozy… comme un phénomène. A l’écart de la politique, et en n’utilisant comme principal outil que le miroir médiatique… l’analyse est psycho-sociale et passionnante. Point de potins ici, mais une vision sur comment le président s’inscrit dans son époque, sur pourquoi, contre toute attente rationnelle, il répond à des aspirations profondes mais également occultes et largement inconsciente d’une population qui ne l’a peut-être pas porté au pouvoir par hasard… Le livre rappelle un peu les « mythologies » de Roland Barthes… et prend un peu de hauteur . L’air est plus pur, en altitude.

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