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CHAPITRE 6 (part V) : Chronique d’un galeriste

Suite et fin de la chronique d’Alexande De La Salle de cette semaine...

Frédéric Altmann - Dans le même catalogue ludique pour la double exposition d’Albert Chubac à la G.A.C et dans ta galerie, il y avait aussi un texte de Robert Pinget, grand ami de Chubac…

Lettre d’Albert Chubac à Alexandre de la Salle
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Alexandre de la Salle – Oui : « Albert Chubac a une vie d’une intensité peu commune. Volontairement exilé dans les Alpes-Maritimes, il s’y adonne au travail depuis une vingtaine d’années. Ses passages à Paris, quelques jours par an, sont l’occasion pour lui de confronter son art à celui du monde entier. Il découvre chaque fois qu’un artiste, plus il s’isole, plus ses aspirations relèvent d’un mouvement général de l’art à une époque donnée. Aller à Nice c’est un peu, pour moi, aller voir Chubac... Et chaque été son travail me réserve une surprise. Il est passé progressivement d’une peinture figurative, quoique déjà transposée, à une abstraction plus pure, plus élémentaire. Il nous propose aujourd’hui, après un travail archarné de plusieurs saisons de solitude, des objets colorés qui refusent de se laisser peindre. Chubac a donc dû renoncer à la toile et poursuivre dans le bois, dans le métal et dans le plastique, ces formes exigeantes. Qu’on ne les imagine pas contournées ou barbares, elles sont simples comme la lumière du Midi, et, comme elle, aiguës. Et je ne m’étonne plus que le soleil ne se satisfasse pas d’une surface plane, il lui faut des volumes à animer. C’est lui en définitive qui a triomphé de la peinture. (Robert Pinget)

Chubac à Art Jonction en 1989
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Exposition Chubac à la galerie Alexandre de la Salle
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Frédéric Altmann – Et aussi René de Montaigu, grand collectionneur : « Les artistes sont apporté une nouvelle dimension à l’esprit humain : l’art est le luxe de la pensée et récompense notre vie intérieure. Tout artiste véritable nous donne quelque chose : il ajoute à nos rêves. Il en est ainsi d’Albert Chubac, qui sait marier la rigueur du nombre d’Or à la joie des couleurs dont il extrait un trésor inestimable, la gaîté. Ses formes, joyeuses comme l’enfance, alliées à une extrême précision, sont l’essence même de son génie : il rend heureux celui qui pose le regard sur son travail. Merci Albert Chubac ».

Alexandre de la Salle – Je suis d’accord que le travail d’Albert rende joyeux, c’est sans doute pour cela que mes murs ont été en permanence recouverts de ses œuvres, et mes sols les supports de ses sculptures, je revois avec bonheur des photos de ma galerie pleine de ses couleurs, de ses formes, il ajoutait vraiment de la lumière à la lumière. Mais c’est vrai qu’on a envie aussi de citer tous les amis qui ont écrit sur lui, comme Gonzalo de Semprun (Nice, 10-2-89) : « Pour bien comprendre la démarche de Chubac, sa continuité, sa cohérence, il faut visiter son atelier, ce chef-d’œuvre de pagaille apparente, ce lieu où une foule d’objets posés çà et là devraient se nuire et se contredire, se porter ombre et tort les uns aux autres, et qui, pourtant, invitent à la fête des yeux, au charme d’un monde radicalement différent, ludique, qui a effacé, avalé, gommé, toute la rigueur de l’effort et même son austérité, qu’on n’ose qualifier d’implacable car c’est à l’opposé de ce que Chubac veut vivre, et pourtant... (Gonzalo de Semprun)

Deux sculptures monumentales d’Albert Chubac devant la galerie Alexandre de la Salle, celle de droite étant permanente
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Bobines d’Albert Chubac au printemps 1991
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Et André Verdet (Saint-Paul, 22-7-89)
Une pureté lumineuse
Le génie de la simplicité
Un ordre à la fois
Rigoureux et poétique
Un chant de formes
Où la couleur atteint
A son acmé musical

Dans le catalogue de mon exposition « Ecole de Nice. » (1997) j’ai encore écrit sur lui, annonçant son exposition de collages de 1998 :
« Albert ! L’ami Albert a reçu le Sud en partage, ses espaces, ses lumières, ses rythmes lents, la mer, les plages, beauté à l’état pur, permanence dans l’impermanence. Il est le chantre d’une liturgie de l’homme en une sorte d’éternelle vacance où les parasols, les chaises longues, les toiles blanches, bleues, sont comme l’incroyable métaphore des temps heureux. Sa magie est simple, sereine, mais l’équilibre, le jeu, y règlent rigoureusement la partie. Il est incontestablement l’un des meilleurs abstraits construits européens de sa génération, ils sont de plus en plus nombreux ceux qui le savent. Lui qui aima tant ses voyages outre Méditerranée m’a souvent dit qu’il aurait dû partir avec stylos et papiers, regarder les gens vivre, et écrire des nouvelles. Rétrospective ici, l’année prochaine, de ses quarante ans de collages. Chubac for ever...

Et Avida Ripolin en juin 1989 :

« Il n’est rien de plus simple, et de plus impalpable, quoique de plus perforant, performant, vital, qu’un rayon de lumière, et Chubac est décidément un grand architecte de la lumière, nouveau géomètre pour des temps où les corps, leur habitat, leurs totem commencent à être reconnus pour ce qu’ils sont en réalité : des couloirs à photons. Heureuse invasion chubaquienne de segments colorés de pensée pure... Chubac nous fait vivre à midi, sous la chaleur blanche de l’équateur, plus d’ombre au tableau, seule la roue silencieuse et savante d’une juste clepsydre sonne l’exactitude dans un silence au silence pareil ».(Avida Ripolin)

Mais un poème de Raphaël Monticelli est, sur Chubac, indispensable :

villanelle d’Albert Chubac
en forme de salut à la naissance du jour

couleur qui ne masque pas elle est
zone durcie par la lumière
poussée par les regards les regards des regards

onde ultime d’un monde mouvant comme
dialogues de silences
couleur qui ne masque pas elle est

rien ne s’équilibre tout se pose
dans le chant de l’air et du vent
poussé par les regards les regards des regards

l’à plat est voile et bateau
navigateur des étendues calmes
couleur qui ne masque pas elle est

yeux nageurs ils ne se posent pas
marcheurs promeneurs ils errent
poussés par les regards les regards des regards

guetteur des naissances du jour
quand le monde se désestompe
ta couleur y masque pas elle est
poussée par les regards les regards des regards

Je trouve que c’est très bien dit, très bien senti, ce poème de Raphaël dans le « Chubac » des Z’éditions, je ne sais en quelle année, il n’y a pas de date. Mais on y trouve aussi cette phrase d’Albert Chubac, entre autres :
« Je fais du géométrique par simplicité, on n’est pas pris par les formes mais par l’esprit… »

Fin.

Albert Chubac et Alexandre de la Salle à Aspremont
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