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CHRONIQUE LITTERAIRE : La Culture et le Revolver… - Par Daniel Schwall - Librairie Quartier Latin Nice

"Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver", attribué à Goering (ou serait-ce Goebbels ?) et remis au goût du jour par Pierre Dac, pourrait être le sous-titre de cet ouvrage consacré à ce qui fait la culture du quotidien : de Desperate Housewifes aux contemporary hit radios .

Le mot mainstream en lui-même vaut comme insulte ou qualificatif de qualité suivant le côté où l’on se place. Mais qu’a-t-on pour ces 427 pages ?

D’abord, ce livre n’est pas un traité, et se refuse même pratiquement à toute analyse. L’auteur ne prend pas parti, ne lance aucun débat, ne préconise ni ne critique rien. On n’est donc pas en face d’un n-ième brûlot d’intellectuel fanfaronnant la supériorité de l’écrit sur l’image ou dénigrant la télévision ou les plaisirs "faciles".

On a là tout simplement un long, très long reportage sur les coulisses des média modernes. Oui, le sujet pourrait s’élargir, et on peut tout de suite planter cette banderille-là : pourquoi le mainstream se limiterait-il à cinéma, télévision, radio, musique ? Le marketing de l’art pictural, la gastronomie et la mise en scène de l’Histoire et des Sciences dans des parcs à thème ne font-ils pas partie du même débat ? Mais comme le livre ne se prête pas à l’analyse, ne délimite pas méthodologiquement son sujet, l’objection revient à une note en bas de page : peut-être que le titre choisi est plus vaste que le sujet, mais qu’importe.

On parle donc ici de média, de produits culturels dans la mesure où ils donnent lieu à une industrie , et peut-être est-ce déjà le fond du débat éventuel : la culture mainstream ne puise-t-elle pas précisément sa raison d’être dans la nécessité financière qui la domine ? Quand la chose coûte si cher, quand elle peut rapporter autant d’argent, n’est-ce pas là justement ce qui la définit le mieux ?

Frédéric Martel déroule son bouquin comme un reportage. On se croit dans XXL ou dans un autre de ces magazines de luxe, où on n’a cure de résumer, mais où au contraire, le moindre détail croustillant est développé dans de jolies tournures et anecdotes pour donner cette impression d’arrêt sur image qui se voit en extrême inverse de la dépêche d’agence, sèche et factuelle.

C’est, ma foi plaisant, et quand on commence à s’ennuyer un peu on a toujours le loisir de lire quelques paragraphes en diagonale, histoire d’avancer à la prochaine pépite.

Car de pépites, cet ouvrage regorge.
Si on prête foi à l’auteur, la quantité d’entretiens et de voyages qu’il a eu aux quatre coins du monde pour nous ramener ce témoignage est simplement phénoménal. Et on ne peut certes pas lui reprocher de fournir une vision superficielle puisque sans prolongement politique ou doctrinal. On consomme donc ces chapitres en savourant les sujets qui nous intéressent le plus, et on apprend à chaque page quelque détail nouveau et passionnant sur comment se voient les décideurs , cette nouvelle oligarchie du pouvoir intellectuel, de Hollywood a Bollywood, de Nashville à Detroit, de Tokyo au Quatar.

Une bonne partie de l’ouvrage nous parle évidemment de Hollywood, film et TV. Mais il y a aussi de très intéressants chapitres sur d’autres mainstreams, qui nous restent encore largement inconnus, comme la lutte pour la suprématie en musique populaire entre le Japon et la Corée ou l’univers du monde arabe et d’Al-Jazirah (dont une anecdote savoureuse et pénible pour nous est l’acte de naissance : en effet la chaîne peinait à trouver un canal satellite et se l’est vue attribuer suite au retrait de Canal France International de ArabSat du fait d’une bourde de technicien qui avait laissé se dérouler en plein après-midi le porno de Canal Plus à la place de quelque magazine pontifiant ou édifiant sur le fond de la culture française - exit donc la culture francophone, remplacée par le CNN arabe).
L’occasion de constater que la France ne figure nulle part dans l’ouvrage, sauf en tant que marché, et encore ! Significatif et signifiant !

"Mainstream" est donc bourré d’informations qui vous permettent de mieux apprécier le pourquoi et le comment du monde médiatique qui nous enveloppe. Le livre ne fait pas scandale, ne cherche pas le spectaculaire, ne se veut pas définitif, et ne propose aucune solution, dans la mesure où il ne soulève aucun "problème".

C’est ce qu’on peut lui reprocher, c’’est aussi ce dont on peut lui savoir gré. C’est au choix.

Mais une des conséquences de cette retenue doctrinale est sans doute que le livre restera en retrait des grandes émissions "mainstream", qu’il manquera singulièrement de promotion et qu’il restera surtout dans le domaine du succès d’estime.
Estimable en tout cas !

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