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CHRONIQUE LITTERAIRE : La crise : c’est comme un roman - Par Daniel Schwall - Librairie Quartier Latin Nice

Michael Lewis est du milieu.
De celui des analystes, golden-boys, anges de la finance. On n’ose dire lointain collègue de Kerviel tant il semble mieux dominer son sujet, tant sa lucidité ( il est vrai documentée ex post) dénote d’avec la fragile naïveté de notre trader vedette de la Société Générale.

En 1993 il avait déjà joliment défrayé la chronique avec Poker menteur, une fresque de la haute finance telle qu’il l’a vécue, en son temps comparé au bûcher des vanités de Tom Wolfe. Abusivement, assurément, mais cela vous pose le bonhomme. Il revient maintenant avec The big short, assez mal traduit en français par Le Grand Casse.

Ce que le livre raconte c’est la crise des subprimes, la mécanique de la construction puis de l’effondrement financier qui a menacé l’équilibre du monde et qui a durablement plongé le capitalisme mondial dans le doute et la fragilité.

Il raconte la chose de l’intérieur, par des portraits savoureux et sans doute pointus de quelques acteurs du crime, leur démarche, leur incompétence, leur incroyable avidité, et par-dessus tout la légèreté avec laquelle quelques hautS dirigeants de la finance ont mené le monde et le mènent toujours. "Le mènent" est sans doute déjà une exagération coupable, tant on comprend dans ce livre combien les égoïsmes et le manque total d’éthique ou de moralité motivent et pilotent des phénomènes où personne ne se sent plus responsable de rien.

Il y a aussi dans ce bouquin des explications enfin à la portée de tout le monde sur les aberrations du système financier, considérées par d’aucuns comme des coups de maître, juste parce qu’ils rapportent des sommes monstrueuses - au moins temporairement ! Comment on s’assure pour des centaines de millions contre des risques de défaut de paiement sans détenir le moindre centime de créance, juste pour pouvoir faire fortune au cas – lui-même programmé par d’autres avidités et incompétences – où un débiteur ferait défaut. Et de multiplier ces assurances sans cause sur la même créance jusqu’à l’infini, et de les revendre à d’autres banquiers cupides, et de s’en tirer avec un blâme et d’énormes bonus quand le système s’effondre… car il faut bien que le château de cartes s’effondre pour qu’on puisse recommencer de plus belle.

La lecture est plaisante, passionnante même pour celui qui cherche à comprendre, même si l’issue est connue, et la galerie de portraits est saisissante de vérité et d’humanité (si on ose dire). Pour qui a fréquenté un tant soit peu le milieu de la banque d’affaire, le livre apparaît comme limpide et en tout cas dénué de tout contenu polémique.

Une lecture très éclairante et manifestement très très bien documentée…. Ce livre va loin au-delà des traités et des manifestes politiques. Il produit une peinture des faits, à l’américaine, sans visées doctrinaires, nous donnant simplement les clés pour juger.

De tout cela il se dégage un étonnement frisant l’aphasie devant l’énormité de la médiocrité humaine : médiocrité technique des dirigeants qui ne voient rien venir, médiocrité morale et humaine des génies, juristes et apparatchiks qui en font leur beurre quotidien. En d’autres temps on aurait crié au pamphlet marxiste. Aujourd’hui on ne peut parler que d’un diagnostic post mortem. Mais la bête est vivante….

Michael LEWIS, Le Casse du Siecle (the big short), 320 p., Sonatine, 20€

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