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Et si nous parlions roman ?

En cette période d’effervescence littéraire – comme si le roman était un phénomène saisonnier ! - il est un livre, salutaire, dirais-je autant que jubilatoire, qui remet tous ces émoustillements passagers à leur place. Alain Finkielkraut, avec « Un cœur intelligent » , revient sur neuf livres, sans doute le cœur de sa bibliothèque idéale, pour replacer le roman dans une vision plus philosophique - même parfois entomologique – de la société humaine. La manière dont les destins individuels et collectifs se croisent, se nouent, se désespèrent, voila la trame de cette relecture, de cette micro-anthologie.

C’est écrit par un homme qu’on met habituellement dans le rayon « philosophes ». Dois-je le ranger, cette fois côté « critique littéraire » ? Joyeux dilemme pour un libraire. Mais ce volume clame, lui-même sa place. Sur la table des nouveautés, des livres qui se vendent, au milieu. Puis, plus tard, sans doute du côté des livres qu’on garde pour soi, et peut-être de ceux que les enseignants recommanderont à leurs boutonneux lycéens ou ambitieux capésiens.

Mais pour l’heure, c’est un livre pour tout le monde. Un livre écrit de manière gourmande, simple, sans affect. Un livre d’une taille « normale » alors qu’il aurait pu faire mille pages. Un livre qui se lit en un dimanche… et surtout un livre qui donne envie, tellement envie, de lire et de relire.

Le propos : Finkielkraut nous raconte des histoires que d’autres nous ont déjà racontées. De Kundera à Philippe Roth, de Camus à Dostoïewski, il s’agit toujours de l’Homme, de la vie, de l’inévitable, de l’insoutenable légèreté, de l’existence. Il glisse, comme entre deux pages on mettrait des notes qui ne tiennent pas en marge, la vision qu’on peut en avoir en s’extrayant du récit : ces romans sont philosophiques, même s’ils ne voulaient pas l’être. La raison, si facile à manœuvrer est, dans ces œuvres-là, mue et fouettée par l’émotion. Notre cœur se met à penser, notre esprit ressent. L’homme pense, Dieu rit. Repenser après avoir eu le délice de se laisser emporter.

A force de vouloir être accessible, Finkielkraut aurait pu devenir didactique. Mais non. A part quelques (édifiants) renvois bibliographiques, nulle part ne transparaît le prof de lycée. Une lecture modeste, 280 pages qui se lisent facilement, un style sans effets qui s’efface derrière l’envie de partage. Dire l’indicible ? Si dire comprend aussi l’effet d’être entendu et compris, oui, alors Finkielkraut nous dit ici des choses essentielles sur l’homme tel qu’il vit et souffre avec les hommes, et mieux que dans beaucoup de traités plus savants.

Je n’ai pas lu le gros de la rentrée littéraire. J’en lirai autant que possible. Je suis libraire. On me demande conseil. Et pour l’heure, celui qu’il faut lire avant tous les autres c’est celui-là : parce qu’il vous donne envie de lire autrement. De lire en s’arrêtant en chemin, de peser les choses, d’habiter l’humanité.

Après, quand les médailles seront distribuées, nous verrons bien ce qui tient de l’impérissable et ce que le vent d’automne emportera.

Ah oui, où vais-je le mettre ? Eh bien tout naturellement sur une table rien que pour lui. Entouré des autres, qu’il ne peut pas ne pas vous donner envie de lire ou de relire : Kundera, Grossmann, Haffner, Camus, Roth, Conrad, Dostoïevski, James, Blixen.
Alain Finkielkraut, Un cœur intelligent, 2009, 280 p., Stock/Flammarion, 20€

Daniel SCHWALL
en collaboration avec la librairie quartier latin

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