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FEUILLETON : Et si l’Ecole de Nice nous était contée ? - Chapitre 16 - Par France Delville pour Art Côte d’Azur

Le mardi 15 février 2011, de 15 h à 18h, à la Médiathèque Louis Nucéra, Nice, seront projetés un certain nombre de films de Jean-Pierre Mirouze sur Arman, César, Ben, Raysse etc., manière d’apporter de nouveaux outils de décryptage sur la démarche d’artistes de l’Ecole de Nice, et du même coup sur le « phénomène » Ecole de Nice, terme de Jean Mas dans une lettre ouverte récente en réponse aux nouveaux bruits selon lesquels l’Ecole de Nice n’existerait pas, ou serait chose de peu, ce qui évidemment n’est pas pour gêner Jean.

Sa lettre est tellement drôle et pleine d’esprit que je la livre volontiers à la lecture !

Lettre de Jean Mas sur l’Ecole de Nice

« Les polémiqueurs, les laissés-pour-compte, les râleurs… la concurrence ! Enfin à tous ceux qui disent que l’Ecole de Nice n’existe pas, cette lettre n’est pas pour vous, elle s’adresse aux curieux, à ceux qui découvrent notre monde de l’art, pour un éclairage. (1) Un jour un Jésuite m’expliquait que Dieu n’existait pas, parce qu’exister veut dire être dans un lieu. Dieu étant omniprésent, il ne pouvait se trouver dans « un » lieu. La première occurrence de l’Ecole de Nice, c’est Nice, lieu comme surface initiale d’expressions et de manifestations, Nice comme point central de rencontre dans l’espace côte d’azur. Donc amusons-nous : unité de lieu : Nice, pour le temps : 1960-2010, pour les actions : des centaines d’expositions (intitulées Ecole de Nice en France et à l’international) et une multitude d’écrits, de catalogues, de livres, de photos (2), de conférences faisant état du « phénomène » (3) (entendre : fait nous-mêmes). Passons à l’école et retenons ce qui est pointé dans des écrits (4) : « école vient de schola et de skolê, qui signifie d’abord loisir, repos, désœuvrement, temps suffisant pour quelque chose, l’école c’est un exercice, basse école, ma vie est mon école… ».

Ce rappel indispensable nous invite à quitter une vision étroite, quittons l’école pour mieux la retrouver dans une note buissonnière ! (5) Pour les méditerranéens que nous sommes, la rue est l’irremplaçable conducteur des fluides qui président aux rencontres. Elle est à cette époque l’internet des artistes, le transit de toutes les informations, et avec le bistrot tout circule, se décrète la naissance des revues, manifestes, actions… Des lieux de rencontres, des galeries ont forgé cette identité dès les premières années. Le sentiment de faire partie d’un mouvement, de trouver, de disputer sa forme, sa matière, a dès lors institué par affinités intellectuelles les différents départements de ladite Ecole !
Là, nous abordons le « conte-nu » des – disons - différentes approches existentielles. Pour les artistes des groupes 70 et les tenants de Support/Surface nous avions toute la littérature marxiste, psychanalytique, Telquelienne, « L’enseignement de la Peinture » de Marcelin Pleynet me paraissant avoir été un point d’orgue (sans oublier le maoïsme). Dans l’esprit de Klein, se profile toute la métaphysique de Bachelard à l’inconscient collectif de Jung, du Zen aux Arts Martiaux jusqu’aux considérations de la physique quantique. Avec Ben, Serge III et d’autres, nous retrouvons des gestes simples, une relation avec le vécu sans prétention. « L’art c’est la vie » nous renvoyait au « Sélavy » de Marcel Duchamp et à Fluxus. Des positions se marquaient, des affinités se nouaient, se jouaient, se décantaient en formant ce qui apparaît aujourd’hui comme les départements de l’école.
Haler l’école, c’était la soutenir. Elle allait bien, les discours la structuraient ! Caradec à qui l’on demandait si l’Oulipo était une école répondit : « si c’en est une, c’est une crèche ». Un peu comme ce qui anticipe le primaire mais surtout comme mangeoire, lieu d’une nourriture de l’esprit et à chacun son mais (mets)…
Le mouvement des départements animait notre école. Il arrivait de se toiser de la hauteur de ses concepts et de convenir ensuite de la vision kaléidoscopique du monde que nous proposions. Expression de la matière, des matériaux, expression de l’objet, de la forme, expression de gestes simples, de la vie, c’est tout cela l’école de Nice.
J’ai personnellement réalisé suite à commande une série d’œuvres : « Ombres d’artistes de l’Ecole de Nice », « Le Cubage de l’Ecole de Nice », « Un Peu de l’Ecole de Nice ». J’ai écrit : « Balade avec l’Ecole de Nice », « Un peu de meurtre à l’Ecole de Nice(6) », et pour finir réalisé une performance qui a consisté à brûler la crèche de l’Ecole de Nice, une façon de marquer l’histoire en l’arrêtant (1960-2010) (7). L’école de Nice a existé (8), lui succède le collège ! »

1 - Voir catalogues / 2 - Frédéric Altmann / 3 - Divers conférences / 4 - France Delville /5 – Martial Raysse / 6 - Editions Ovadia / 7 - Musée Rétif – Vence / 8 - Plus de 50 expositions en France et à l’international, des centaines d’écrits et des cris…

L’Ecole de Nice est un phénomène

Oui l’Ecole de Nice est un phénomène, d’autant plus que ce mot vient du verbe grec « phaïnestai » qui signifie « apparaître », se manifester, et Dieu sait – si ça l’intéresse – à quel point l’Ecole de Nice est truffée de « manifestes », de déclarations, de remises en questions, comme tout mouvement, tout « flux » si j’ose dire.
C’est formidable lorsque les décryptages viennent des artistes eux-mêmes, mais on ne peut enlever aux critiques, écrivains, historiens, journalistes, poètes, etc. de participer aux ruptures phénoménologiques de la culture d’une époque donnée, en les pointant, parfois en les anticipant. Mais ceux qui espèrent des garanties scientifiques quant à la définition des choses de l’art n’ont compris ni la question du langage ni la question du fantasme.

« Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais. Mais que je veuille l’expliquer à la demande, je ne le sais pas. Et pourtant – je le dis en toute confiance – je sais que si rien ne se passait, il n’y aurait pas de temps passé, et si rien n’advenait, il n’y aurait pas d’avenir, et si rien n’existait il n’y aurait pas de temps présent », constate Saint-Augustin dans ses Confessions. Sauf dans les Sciences où l’eau bout à 100 degrés - et même pas dans toutes les conditions - le penseur est obligé de saisir le réel par le négatif, et c’est ainsi qu’Arman eut la subtilité d’énoncer que puisqu’on prononçait le nom de l’Ecole de Nice, elle existait. Et ce nom ayant été prononcé des centaines, des milliers de fois, force est de constater que son invocation a bien dû servir à quelque chose, sert à quelque chose, et servira encore très longtemps. Servir à quoi ? à fixer le questionnement sur ce qui s’est déroulé dans le temps, celui de Saint-Augustin mais celui de la Côte d’Azur, un temps où quelque chose s’est passé, continue de se passer, autant par des événements que par des discours. Signifiant = image sonore : ça se voit dans la tête, sur les murs, dans les livres, et ça s’entend par les syllabes « ecoldeniss » qu’on peut écrire en holophrase, origine des langues oblige.

Mais tout de même, pourquoi aujourd’hui, après… 60 ans… puisque Jacques Lepage, s’exprimant dans l’extrait du film tourné au MAMAC en 1997, fait remonter les origines de l’Ecole de Nice à 1952 (en 1950 Jacques Matarasso avait déjà rencontré Arman, qui lui avait présenté Yves Klein, etc.), certains ont-ils encore besoin de dire qu’elle n’existe pas, ou qu’elle n’a aucun intérêt ?

Qu’elle n’ait aucun intérêt pour ceux qui n’en font pas partie, c’est évidemment la réaction quotidienne et banale de l’enfant triant le réel en éléments « bons pour moi/pas bons pour moi », ce qui s’appelle distinction entre principe de plaisir et principe de réalité. Et ce qui est banal et un peu bête d’un côté est formidablement fructueux de l’autre, car cela provoque du débat, et surtout une remise à jour régulière des soubassements des œuvres et de l’histoire dans laquelle elles sont tissées.

Et dans la même séance du MAMAC de 1997, Frédéric Altmann, Jacques Lepage, Sosno, Alexandre de la Salle, Serge III, Marcel Alocco, Pierre Pinoncelli (Claude Gilli, André Verdet et Jean Mas étant assis dans la salle) - et après projection d’une longue série d’interviews d’eux-mêmes et de quelques autres - nous offrirent un échange sur l’Ecole de Nice, les conditions de sa naissance, les conditions de son avenir. Ce qui fait parfaitement écho au film de Jean-Pierre Mirouze « Sacha Sosno sculpteur » (1996), qui débute par les conditions de naissance de la notion d’Oblitération dans l’œuvre de celui-ci. C’est jeune homme que Sosno a commencé à penser l’art de son époque, à Nice et à Paris, fréquentant des cercles de recherche variés en sociologie, philosophie, ethnologie, et… cinéma. J’ai déjà évoqué ici sa rencontre avec Jean-Pierre Mirouze. Et dans « Sacha Sosno sculpteur » les scènes épouvantables que lui et Mirouze ont pu emprunter à l’INA sont un paradigme de celles dont Sosno disait qu’elles sont refoulées par les humains, donc oblitérées : on n’en veut pas, on les rejette dans un angle mort, derrière des œillères, on se met un bandeau sur les yeux, on se bouche les oreilles, on reste muet, tout le monde connaît cette figure de la lâcheté. Mais le « indignez-vous » ressurgi aujourd’hui par la grâce d’un vieil homme dont c’est comme le testament bute de toutes façons sur le désir de n’en rien savoir (c’est la fonction de méconnaissance lacanienne) mais aussi sur l’incapacité du langage à en rendre compte. Sacha parle de double oblitération.

Oblitération 1972
« Point subjectif rouge » 1973
Haut et bas se tournent vers l’autre » 1986 bi-moteur oblitéré installé à l’extérieur de la Galerie Alexandre de la Salle, Saint-Paul, pendant l’exposition « Variations sur la liberté »

Le film de Jean-Pierre Mirouze sur Sosno illustre bien comment une brochette d’artistes niçois, à partir de trois Nouveaux Réalistes qui ont été des Nouveaux Réalistes Niçois, et non parisiens, et non suisses, ont apporté une révolution conceptuelle. Dans sa préface du catalogue « Ecole de Nice », Japon, octobre/novembre 1995, Pierre Restany déclare qu’Arman, Raysse et Klein sont trois des protagonistes de la grande mutation des valeurs d’après-guerre (Arman le Descartes prédateur du langage quantitatif, Martial Raysse le génial feu follet, Peter Pan précurseur du Pop, et Yves Klein le gourou du groupe, l’alchimiste de la voix ignée et le héraut de la révolution bleue) ». Il déclare aussi que deux activistes viendront, en quelque sorte, donner durée à l’incendie, et que ces activistes sont Ben et Sosno. Au-delà de l’ironie vitriolique de Restany, son titre Ecole de Nice/Ecole de vie ?!... dit bien l’intensité des parcours de tous ces personnages pour qui la question n’était jamais remise au lendemain... Etat d’urgence aurait pu être leur label... Dans ce sens-là activistes, pour une révolution permanente, loin d’être achevée. Le second activiste de l’école, donc, Alexandre Sosnowski, dit Sosno, est traité par Restany de « pigiste nomade venu de Riga, de correspondant de guerre et photographe, avant de devenir sculpteur de l’oblitération ».

Pour un livre intitulé « Sosno, traversée en forme de fugue » (Editions Melis), j’ai longuement interrogé Sacha sur l’élaboration de sa problématique, et le passage à l’horreur du réel a été très nettement exprimé : « En mai 62 Yves Klein et Sosno préparent un film expérimental, écrit par Klein, le ciel bleu, la mer bleue, corps nu de femme, bleu, bobine de 16mm, 120m, sans montage, Genèse in blue... Sacha se souvient, le début du tournage est fixé pour le 15 septembre... le 6 juin, Yves Klein quitte ce monde... Sosno continue de s’intéresser au cinéma, émissions sur Télé Monte-Carlo. Un film sur l’Ecole de Nice, avec Gil Raysse comme opérateur, restera inachevé. L’image travaille Sosno. En tant qu’image intacte, il lui reste peu de temps à vivre. Bientôt l’image va se faire traumatisée. Cette notion de traumatisme, c’est Sosno qui l’amène, c’est un aveu de lui Verdet, concernant l’oblitération. Et Thévoz la relèvera. Arriverai-je à me débarrasser un jour des visions de cauchemar...
L’hygiène du regard de l’art sociologique ne pouvait que rallier un jeune homme se posant, comme c’est le cas, la question du Réel. Et de son Ombre, méphistophélienne : l’image. Ce sera par une image affectée, frappée du fer rouge de l’Innommable, que Sosno commencera son œuvre réelle, et au Biafra. Auparavant, un service militaire à Toulouse le fera archéologue grâce à la découverte du plus grand gisement français de tombes gallo-romaines, en collaboration avec le CNRS, Michel Raclot et Arsène Perez-Mas. Là aussi une expérience vient à point pour rencontrer la strate, l’invisible qui sous-tend le réel, cette proto-histoire qui restera dans l’œuvre de Sosno comme une clé de la Forme. La vie est plus belle que tout, mais sous la plage, les pavés. Au-delà d’un Occident qui n’en peut plus de Jouir… de la guerre, de la famine... Les reportages de guerre (Biafra, Bangladesh, Irlande etc.) semblent forcer Sosno à un commentaire particulier du vide et du plein, des poubelles, du déchet, de la trace... commentaire commandé par la mort, la douleur, la faim... Derrière la vie qui est plus belle que tout, le début du paiement de la Dette au Tiers-Monde... Autre retour du refoulé... C’est dans la faille du Réel telle que la mort la fit apparaître à Sosno, mort violente ou par dénutrition, qu’il fit hurler sa première oblitération. Et c’est porteur de cette interpellation particulière que Sosno viendra s’inscrire entre 1969 et 1973 dans le mouvement de l’art sociologique, où par exemple Bernard Teyssèdre, Gina Pane, Juan Rabascall, Alain Fisher, Fred Forest, Serge Oldenbourg tentèrent de casser le fantasme pour en faire sortir de nouvelles révoltes contre l’ordre établi.

A Paris, Sosno réalise des performances, peintes sur toile photographique sensible, expression sensible pour dire que l’affect passe par l’image, par les pathologies de l’imaginaire, lorsqu’il est meurtrier, mais comme un rappel que l’humain est sensible, qu’il faudrait l’épargner. Cela annonce peut-être l’oblitération des ondes agressives, mais, en 1969, produit : Biafra proximité de la mort, continuité de la vie, indissociable dualité, béance inévitable qu’il faudra malgré tout tenir à bout de bras, et n’est-ce pas alors le prototype même de la sculpture, à venir, de Sosno ? L’enveloppe de la menace, qui se relève, et se relève encore, jusqu’à la fin ? En 1970 Sosno écrit encore le livret d’un Ballet, Astronomy, réalisé pour la télévision par Guy Job sur une musique de Pierre Henry. C’est à partir de 1972 que l’ancienne peinture, celle de l’adolescence, montrée à Matisse, le voisin de Cimiez, suspendue, mais insistante, trouve sa forme spécifique, contemporaine. Elle est montrée Studio Ferrero à Nice, Galerie Beniamino à San Remo, et encore à Naples, Milan, Nice, Galerie Lara Vinci à Paris... Les expositions n’arrêteront plus jusqu’au voyage en mer. Texte de Restany dans Arte 2000 (Milan, oct 72), de Lepage dans Opus International (Paris, décembre 72), de Verdet dans Polyedro (Rome)... etc.

Pendant tout ce temps il se passe bien des choses à Nice, Fluxus, Groupe 70, Support-Surface, interventions, dans la Quinzaine littéraire du 1er octobre 1971, Francis Fleur, se demandant où est l’Ecole de Nice, y inclut le roman avec Le Clézio, la poésie avec Daniel Biga, Sosno faisant des allers et retours entre Nice et Paris. François Pluchart, chef de rubrique artistique à Combat, fondateur d’Artitudes vient ouvrir Space 640 à St Jeannet, en mai 1972 Sacha vient à Nice présenter chez Ferrero de grandes photographies issues de reportages dans des pays du tiers-monde, bombées de rouge et de noir : Oblitérations. Sosno voyage, photographie, oblitère, en avril 1975 un numéro d’Opus International est consacré à l’Art sociologique, dont il partie Sosno, le manifeste du Collectif art sociologique annonce que ses ressortissants s’intéressent au rapport de l’homme à la société qui les produit. Ce n’est plus l’hygiène de la vision mais l’hygiène de l’art, terme qu’Hervé Fisher invente en novembre 71.

Tout est art avait dit Duchamp

C’est pourquoi, en 1973, à la Galerie de la Salle, Fisher pourra mettre en pièces une invitation de Jean Girodon, en enfermer les débris dans un petit sachet en plastique, sous le titre : Hygiène de l’art, La déchirure. Mais dans Opus, K. Chromski avait demandé à Sosno :

- K. Chromski - Sosno, votre premier acte de peintre a été l’oblitération d’images photographiques tirées sur toile et ayant pour thème le Biafra, le Bangla-Desh, l’Irlande, etc. pourquoi ?

- Sosno - J’oblitère pour y voir plus clair. L’oblitération est une sorte d’Hygiène de la vision face à la fantastique avalanche d’images (dont les tableaux) qui nous inondent, nous transpercent parfois. La plupart des personnes se défendent alors en s’auto-censurant, en refoulant, en oubliant. Je mets en lumière ce phénomène en l’amplifiant et, simultanément se créent de nouveaux signes et un nouveau code spécifique. Puisque je peins sur « fond de monde », je relie l’Histoire à l’histoire de la peinture, une sorte de connexion entre l’information quotidienne et l’esthétique contemporaine.

Dans le livre je l’interpelle ainsi : « J’ai été très intéressée de tomber sur les documents, photos, articles, datés, qui montrent que tu étais présent très tôt dans ce qui est devenu la Création contemporaine de la fin des années 50, lorsque s’est faite la prise en compte réaliste, comme dit Restany, de l’occident industrialisé, de ses positions plastiques, éthiques, esthétiques... Le rapport au monde de l’artiste change complètement, il s’ouvre de manière exponentielle, toutes les prises de vue sont permises si j’ose dire, on le constate dans l’exposition A propos de Nice (Beaubourg 1977), où les tendances se multiplient : Nouveau réalisme (objets/appropriation/focus sur la réalité), Conceptuel (l’idée seule suffit), Mythologie individuelle (obsession/analyse), qui désignait Jean Mas, Happening et Actions-Gestes, Support-Surface et peinture/peinture analytique et didactique, Abstraction nouvelle et divers, Art sociologique, cela c’était toi (Sosno, 1972 Oblitérations), Poésie visuelle, Fluxus/Anti-Art/Anti-professionnalisme/Musique post-Cage, et puis Esthétisme, Photo, Art naïf et Art brut... Cette liste parle toute seule, Tout est art avait dit Duchamp, ce que Ben avait repris et développé dans l’exposition avec le brio et l’énergie qu’on sait.
Raysse avait dit que la vie était plus belle que tout, mais toi, avec l’Art sociologique où tu te plaçais à l’époque, tu exprimais ta critique de la grande arnaque de l’expression, de la médiatisation, tu allais toucher au réel de la torture, de la misère, au Bengladesh, au Biafra, pour pousser un cri silencieux et déchirer les mots-paravents. Derrière le langage soft des agences de presse, tu venais dire qu’il y avait du sang, de la mort, mais qu’on n’en voulait pas. Avec le coup de poing de tes images de presse oblitérées, tu venais dire l’hypocrisie de l’Occident nanti ».

Grâce à Jean-Pierre Mirouze qui met ses films à notre disposition, nous avons donc un supplément d’information extraordinaire sur des artistes qui, n’en déplaise aux distraits, ont créé un Mouvement incontournable. Dans l’extrait de « Sacha Sosno sculpteur » présenté ici, Sosno à Carrare, dessinant l’emplacement d’un trou dans la montagne titanesque, est un morceau d’anthologie.

estampe, 2006

Jacques Lepage

couverture de « L’emploi du temps, 50 ans d’Art – 50 ans de critique » Z’Editions

Mais l’on connaît la dialectique récurrente entre faire, savoir qu’on fait, et faire savoir, et la présence rare de Jacques Lepage sur une pellicule (MAMAC 1997), juste avant qu’Alexandre de la Salle n’ouvre son exposition « Ecole de Nice. » (un point final objet de réflexion lui aussi), apporte de l’eau à ce moulin-là, comme la préface, que Jacques écrivit (en compagnie de Claude Fournet, Pierre Restany, Frédéric Altmann, Alexandre de la Salle), dans le catalogue, et qui renseigne une fois de plus sur l’une des spécificités de l’Ecole de Nice qui est de susciter une perpétuelle interrogation, comme si le point d’interrogation de l’exposition de 1967 l’avait placée pour toujours dans l’épokè chère aux philosophes :

photo qui illustre sa préface

« Chez Alexandre de la Salle l’Ecole de Nice est née avec un point d’interrogation. Cette décennie le point est final. Mais n’est ce point un abus de langage ? Certes on peut écrire que l’Ecole de Paris a succombé au cours des années 60, celle de Seattle, reprise (ou dévorée) par celle de New York dans les mêmes temps ... oui, les centres créatifs meurent, et pourquoi pas alors ne pas poser un sceau sur celui de Nice ? Mais laissons ce soin aux fossoyeurs. Certes il fut un temps fort les années 60 où le trio Klein, Annan, Raysse fournit des réponses nouvelles à la créativité, découvrant et faisant découvrir que le langage de l’art est toujours à reconsidérer. Avant eux Duchamp et Dada, et, avant Dada, Cézanne fausseront, oseront nous dire l’axe du destin, et nos Niçois rejetteront à l’académisme les suiveurs, qu’ils soient figuratifs ou abstraits, avec l’immense cheptel des individus qui peignent. Ce n’est pas à moi de répéter ce que tout le monde bégaye. Mais, ayant été pour quelque peu l’artisan de cette aventure qu’est l’Ecole de Nice, je prends plaisir à aventurer quelques souvenirs.
Dès les années 50 j’étais lié d’amitié avec ce monde microscopique qui deviendra le garant de l’Ecole de Nice. Animateur, en ce temps, d’un petit groupe de jeunes intellectuels (les), le seul à Nice, nous y regroupâmes, parmi d’autres, des peintres comme Arman, ou Ben, Raysse, Malaval, Venet, et c’est devant ce groupe qu’Arman, ou Ben, ou Eliane Radigue (la première femme d’Arnan) diront leur première conférence. Parmi les littéraires qui ont survécu au laminage du temps on y trouvait Le Clézio, Biga, Bosco, et des filles comme Michelle Cotta, qui devait plus tard présider le C.S.A. C’est de ce petit monde que surgit l’Ecole de Nice, ainsi dénommée par Martial Raysse.

Jacques Lepage et Arman, « Bidonville », Vence, été 1987, photo Frédéric Altmann

Charte de l’art

Le club mourut, mais les peintres persistèrent et, après l’ébranlement psychique qu’avaient été les années 40/45 et leur suite, inventèrent une nouvelle Charte de l’art, Charte modifiée, mais, en quelque sorte confortée par l’arrivée de Viallat qui, avec une majorité de Niçois : Saytour, Dolla, Toni Grand, Cane, frayèrent une autre voie dans la modernité, reposant une nouvelle interrogation à l’acte pictural et plastique. Et il ne faut pas oublier la mouche de tous les coches qui fera venir à Nice Maciunas et dix autres pourfendeurs de la niaiserie artistique (ou dite telle), ainsi George Brecht, Dietman, et quelques Lettristes, tout en s’appuyant sur des Niçois comme Serge III ou Mas. Cette historicité ébauchée, interrogeons nous sur le destin de l’Ecole de Nice, bête noire du parisianisme. « Un feu de paille » diront ses détracteurs. Mais il est utile ici d’évoquer ce qu’est l’art sur la Riviéra : y est réuni le plus grand nombre de Musées de France. De Picasso à Chagall, de Matisse à Léger, une vingtaine d’établissements de première grandeur. Et notons que la Côte d’Azur est le seul lieu en France, hors Paris, où il y ait des Musées nationaux (deux rien que pour Picasso). Une vingtaine de musées internationaux consacrés à l’art moderne auxquels il faut ajouter la Fondation Maeght.

L’art ici s’enracine dans un humus qui ne manque pas de ressources. Aussi, depuis la mort de Klein, il ne cesse pas de se manifester des artistes, comme Vivien Isnard ou Chacallis, qui maintiennent et soutiennent l’emprise internationale de l’Ecole de Nice. De plus jeunes aussi, B.P., depuis deux ans à la galerie Louis Carré à Paris, joue au plus juste dans l’implantation intemationale. De la même génération on peut citer Alberte Garibbo, Sonia Guérin, et, parmi les plus jeunes, Bataillard, qui anime avec quelques camarades un groupe qui tend à ressusciter l’esprit d’ouverture et la convivialité des années 60 que la convoitise de beaucoup d’artistes a détruite. Concluons qu’il me revient que les niçois, avec ou sans Ecole, reçoivent bon accueil à travers le monde, et pas seulement au Japon. »

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