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MC FINE ARTS : La collection d’art dissidente

La peinture russe et l’art moderne ont entretenu des rapports aussi fructueux que méconnus. C’est l’une des raisons qui a poussé Georgy Khatsenkov à créer une collection unique qui fait revivre ces peintres expatriés au moment de la Révolution russe.

Il n’y a qu’un an que la Galerie MC FINE ARTS a ouvert ses portes à Monaco, pourtant l’engagement de ses propriétaires pour l’art remonte à plus de trente ans.

(c) H.Lagarde

C’est le temps qu’il aura fallu à Tatiana et Georgy Khatsenkov pour rassembler près de 5 000 pièces, retraçant la grande et la petite histoire des peintres russes en exil. Une diaspora qui, en se mêlant à Paris aux artistes français, participa à l’éclosion des avant-gardes de 1900 à 1970. Georgy est originaire de Moscou où il fut journaliste. Lorsqu’il arrive en France il est surpris d’y découvrir autant d’artistes russes méconnus dans son pays alors que la plupart participèrent à l’émancipation de l’art moderne en Europe. Afin de réparer cette injustice, de l’Hôtel des ventes Drouot en greniers, il suivra la piste de ces œuvres dissidentes et de leurs géniteurs. « Si certains entrèrent par la grande porte des musées comme Chagall ou Kandinsky, beaucoup d’autres restèrent en coulisses ». C’est de tous ceux-là que parle la collection Khatsenkov tout en tournant les pages de l’histoire de l’art, à commencer par celles écrites dans le Paris à l’aube du XXème siècle.

Montparnasse : La petite Russie

« Beaucoup de russes émigrèrent avant et après la Révolution à Paris, où ils se mêlèrent à l’école de Paris si bien que l’on peut dire que le vrai pays natal de l’avant-garde russe c’est la France ! ». En 1905 avec l’arrivée de Staline de nombreux artistes préfèrent la fuite à un asservissement moral et esthétique. Curieux des nouvelles tendances, ils se réfugient dans la capitale des arts en pleine effervescence : « L’œuvre de Cézanne qui inspira à Moscou en 1910 la naissance du mouvement le Valet de carreau, mais aussi Picasso, Ingres, Matisse ou les futuristes italiens agirent comme un aimant ». Certains de ces émigrants, sans le sou font le chemin à pied comme Nadia Léger. Mais tous amènent avec eux leur personnalité et les traditions de leur pays. C’est à Montparnasse que se cristallise ce nouvel élan créatif et notamment dans l’atelier de la peintre russe Marie Vassilieff, atelier qui devient la cantine de ces déracinés. « Elle les a nourri en évitant de donner de l’alcool à Soutine » commente en riant Georgy. C’est dans cet ancien atelier devenu le Musée de Montparnasse qu’une partie de sa collection fut d’ailleurs présentée du 21 juillet au 31 octobre 2010. Une exposition qui dans le cadre de l’année France Russie dévoilait la pluralité de talents de ces « Artistes russes hors frontière ».

Nadia Khodassievitch -Leger 1904-1982 Nature morte à la poupée Huile sur toile_1957

« Si ce patrimoine culturel est aujourd’hui reconnu via Kandinsky, Chagall, Malevitch ou Lempicka, il restait à faire découvrir toute une frange d’œuvres demeurées en marge des projecteurs » explique Georgy. Il confia au Musée quelques 80 toiles d’artistes aussi différents que Pougny, Gontcharova, Larionov, Annenkov ou Sonia Delaunay qui avant d’embrasser l’abstraction se distingua en créant des vêtements aux motifs colorés et géométriques.

De Cannes à Nice

Vera Rockline 1896-1934 Nu assis avec un miroir Huile sur toile circa 1920

En visitant l’exposition Frédéric Ballester (Directeur des expositions du Centre d’Art La Malmaison à Cannes) décide de faire profiter de ce panorama unique aux azuréens et rassemble à la Malmaison une soixantaine de toiles autour du Nu. Un thème largement exploré par des artistes dont la sensualité se libère au contact de la vie parisienne. La beauté charnelle est alors au cœur des fêtes du Montparnasse nocturne, du Moulin Rouge aux bals organisés par l’Union des Artistes Russes au Café Bullier où chacun est libre de se dénuder ou de se travestir. L’exposition cannoise prolongée jusqu’au 27 février a invité à ses cimaises une majorité de femmes peintres démontrant que celles-ci n’ont pas été que des muses, mais de talentueuses créatrices qui contribuent à l’âge d’or de la peinture. Sérébriakova dont les nus s’alanguissent, dans une palette chaude. Marie Vassilieff qui célèbre le corps dans son trait cubiste respectueux des proportions ou encore Véra Rockline.

Boris Chaliapine 190 4-1979 La Sabine Huile sur toile 1974

« Tous ces artistes invités sur la Côte d’Azur font sens, car après Paris, poursuit Tatiana, la Riviera fut l’autre refuge de ces russes. On trouve des pièces du Château de Valrose au Musée Chéret qui abrite la plus grande collection de tableaux de Marie Vassilieff. Riabouchinski a même ouvert en 1926 une galerie à Monaco ». C’est à ce grand mécène russe que l’on doit en 1908 l’exposition de « la Toison d’or » à Moscou qui confrontait déjà l’élite des peintres russes et français.
« Nous avons d’ailleurs participé à une rétrospective de cette exposition à l’occasion de son centenaire » souligne Tatiana. Car en exhumant ce pan de l’histoire de l’art, la collection Khatsenkov est devenue une référence. Georgy en faisant la lumière sur ces peintres russes participa à faire grimper leur cote : « il y a quinze ans ces toiles étaient accessibles, certaines peuvent aujourd’hui dépasser le million d’euros ». Ainsi parmi les bonnes pioches de ce passionné : Serge Ivanoff dont les œuvres influencèrent les hyperréalistes, Yvan (Jean) Peské qui fut le meilleur ami de Renoir et d’Apollinaire. Il était originaire de Kiev où Tatiana et Georgy préparent une exposition au Musée National russe.

Vue de la Galerie MC FINE ARTS
(c) H.Lagarde

Car la collection, dont une partie est visible à la Galerie MC Fine arts, a la bougeotte. « Elle devrait être montrée encore à Cannes en 2011 pour un chassé-croisé entre peinture et théâtre ». En fin d’année elle regagnera son « berceau d’adoption » parisien pour dévoiler cette fois les toiles abstraites de Pierre Grimm. Mission accomplie pour le couple collectionneur ? « Une majorité de russes viennent à la galerie et à nos expositions, ravis de pouvoir redécouvrir les œuvres de ces artistes que les plus âgés ont parfois connus personnellement ». Frédéric Ballester met à nu la collection « Je connaissais le travail de Jean Digne à la direction du Musée Montparnasse. Mais quand j’ai découvert cet accrochage puis la richesse de la collection Khatsenkov - en deux jours Georgy a dû me montrer quelques 1 500 pièces - j’ai dû faire un choix qui s’est orienté rapidement vers les nus. D’abord parce qu’ils étaient peu présents dans l’exposition parisienne. Ensuite parce que cet exercice périlleux pour l’époque témoigne de la part de cette génération de créateurs d’une incroyable liberté, non seulement à l’égard de la morale et de la religion, bon nombre étant d’origine juive, mais aussi des codes de la peinture. Aussi j’ai choisi parmi toutes ces œuvres d’avant-garde 60 nus qui entraient particulièrement en résonance avec l’art contemporain comme ceux de Marie Vassilieff, Sonia Delaunay ou Serge Ivanoff dont les baigneuses aussi épanouies qu’indifférentes aux regards renvoient à la naissance d’un naturisme hygiéniste dans les années 20. L’exposition a connu un tel succès que nous l’avons prolongée en insistant sur la médiation. C’était indispensable pour prendre la mesure de cette collection qui vient combler la méconnaissance que nous avions de cette diaspora artistique. Georgy se bat pour réhabiliter ces chef-d’œuvres oblitérés par la période révolutionnaire, un patrimoine qui a même échappé aux russes. Les toiles s’étant éparpillées en Europe mais aussi Outre-Atlantique. Aujourd’hui il a réussi à constituer une collection unique qui, avec celle des Ballets Russes, offre un second souffle à la peinture russe ainsi qu’un éclairage nouveau sur l’Art moderne et même contemporain ».

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