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Hommage à un très grand Galeriste, un Ami des Arts et des Artistes qui vient de nous quitter : Antonio Sapone : L’art contemporain ou la traversée du cœur

Antonio Sapone s’en est allé ce mardi 26 septembre 2017, il laissera de nombreux artistes orphelins de sa bienveillance, de sa passion, et de cette formidable flamme d’amour qui rayonnait de sa personne.

Toute l’équipe d’Artcotedazur lui rend hommage par le réédition du merveilleux article d’Olivier Marro que nous avions édité il y a quelques années.

Magnelli fut témoin de son mariage, Malaval un ami au cœur de la nuit, une nuit sombre qui l’emporta en 1980, Kijno un confident, Hartung, le complice des débuts, Antonio Sapone c’est toute une vie où l’exception constitue l’ordinaire, une famille à la Fellini, un clan à la sicilienne, mais surtout une traversée du XX ème siècle au-delà des mers, des hommes et de la légende…

Antonio Sapone, un personnage haut en couleur
DR

« Je suis très attendri devant tout acte de création. Mais le rôle de la galerie c’est de faire le premier pas vers ce qui va rester dans l’histoire. Aussi j’ai souhaité faire de ma galerie, une passerelle entre les artistes qui m’ont touché et les institutions ».Mission accomplie pour Antonio Sapone qui en un demi siècle après avoir quitté son île natale entre Naples et Rome est devenu le collectionneur et galeriste que l’on connaît. Marchand d’art ? le mot écorche tant ce qui il aime faire partager tient, plus du rêve, de l’amour, de la peur, bref de tout ce qui fait d’un créateur une sorte de demi dieu dont le talon d’Achille serait la vie. Ainsi plus qu’une référence dans le monde clos de l’art, l’homme du grand large reste un repère (un second père) pour tous ces amis artistes qui œuvrent dans l’ombre de leur ateliers avec parfois pour seule lumière, la chandelle vacillante du doute. Un ambassadeur qui a soutenu et continue de porter aux quatre coins du monde la parole délivrée par Picasso, Hartung, Magnelli, Giacometti, Anna-Eva Bergman, Sonia Delauney, Kijno, Vivien Isnard, Malaval et tant d’autres compagnons de route

Gaeta, l’île mystérieuse

L’île Gaeta, une muse ?

« Je suis né d’un père musicien au sud de l’Italie, un lieu chargé de légendes ». C’est à Gatea une presqu’île plantée d’oliviers et entourée d’eau qu’Antonio Sapone voit le jour et passera son enfance. Un climat propice au rêve bercé par l’épopée Homérique. Ainsi ce rocher érodé par les vagues qui a la forme d’un bateau « Chez nous ce rocher a une toute autre une histoire. On disait que lorsque Ulysse faussa compagnie à Circée qui avait transformé ses marins en cochons, la sorcière le poursuivit jusqu’au rivage mais ne parvint à pétrifier qu’un seul de ces navires. Celui qui devint ce rocher » C’est dans ce golf rattaché à celui de Naples offrant pour toute perspective d’avenir une ligne d’horizon que naîtront des générations de navigateurs « Je suis devenu l’un d’eux L’hiver, c était un désert et tous les jeunes n’avaient qu’une envie : partir comme le firent leurs aïeux en émigrant vers l’Europe ou les Amériques pour chercher fortune » C’est dans un des plus anciens instituts de navigation italien qu’Antonio fera ses études et quittera le bercail à 18 ans pour y rentrer 4 ans après. Mais il officiera longtemps en tant que commandant de la marine marchande jusqu’à ce qu’il rencontre son épouse Aika. « Mon beau père était un cousin qui portait le même nom, un artiste dans l’âme natif du même village que mon propre père, Bellona à coté de Capoux »

« Tu vas te noyer avant même de commencer à nager »

C’est grâce à Michel, ce beau-père dont la vie fut une aventure qu’Antonio découvrira et s’imprégnera du monde de l’art pour ne plus jamais le quitter « Michel Sapone est parti durant la guerre à Split en Yougoslavie. Tout en exerçant le métier de tailleur dès l’age de 17 ans il aida les partisans. Sa rencontre avec sa femme date de cette époque ». La guerre terminée, le couple retourne à Turin. Tout y étant dévasté, ils migrent vers la Riviera française. « C’est à Nice qu’il connut à partir de 1948 tous ces artistes exilés au soleil. Et comme la plupart étaient alors sans le sou, ils échangeaient leurs oeuvres contre les costumes qu’ils confectionnaient ». Magnelli, Braque, Picasso furent ses meilleurs clients. C’est ainsi, parfois au grand dam de son épouse qui aurait préféré de quoi faire bouillir la marmite que Michel commença sa collection. « Mais les amitiés qu’il lia durèrent jusqu’à la mort explique Antonio. A Nice, il a vécu de magnifiques aventures humaines avec Matisse ou Picasso chez qui il avait portes ouvertes. Il n’y avait pas d’enjeu financier, il n’a jamais vendu une pièce, juste des rapports humains » C’est ce grand ami des artistes qui joua pour son beau-fils le rôle de passeur.

la Galerie Sapone en perspective
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Quand Antonio vint se marier à Nice il décide de quitter la marine et d’ouvrir une galerie d’art. La première personne qu’il consulte fut Hartung « Tu vas te noyer avant même de commencer a nager » lui rétorque le peintre. Quant à Magnelli « C’est une jungle, ils vont te bouffer en six mois » Mais comme Antonio s’obstine, ils viennent lui prêter main forte. Hartung le conseille pour l’éclairage de la galerie qui ouvre ses portes en 1972. Pour sa fondation Antonio le conseillera à son tour plus tard « Si je dois mes premier contacts à Michel Sapone. Par la suite tout le monde m’a reconnu, même si je n’avais fait aucune école » explique le galeriste avant de poursuivre « Ma trajectoire comme celle de mon beau père me l’a prouvé. Nous avons tous une sensibilité plus ou moins exacerbée. Tout a chacun a en lui cet héritage qui lui permet d’apprécier l’art contemporain » Kijno n’était pas loin de penser la même chose lui qui regrettait toujours que la peinture ne soit pas aussi accessible qu’un simple 33 tours

Plus qu’une galerie, une famille d’artistes !

En compagnie de Georges Mathieu, 1987

37 ans plus tard toujours sise sur le boulevard Victor Hugo, la galerie Sapone en connexion avec les meilleures galeries italiennes, européennes, américaines et les musées est devenue une référence internationale au cœur d’expositions uniques. Bien qu’ayant un héritage que d’aucun pourrait envier, Antonio Sapone, n’hésite pas à prendre des risques en défendant les jeunes artistes qu’il aime et dont il suit l’évolution. « Ce que je fais à la galerie est un travail de fond. Certes, il y a peu de vernissages car les expositions temporaires ne servent à rien. Je préfère aider les artistes en achetant leur œuvres ou en leur trouvant des contacts avec des collectionneurs et des musées ». Aujourd’hui encore Antonio voyage beaucoup (cette fois en avion) de la Chine à la Russie, du Japon aux USA, pour présenter les artistes de sa galerie « Le travail n’est jamais terminé on peut écrire l’histoire, s’appeler Magnelli, il faut continuer à montrer les œuvres, à les faire vivre ». Ainsi la galerie où il œuvre avec son épouse Aika et sa fille Paola, est-il un lieu à part dans le paysage azuréen « c’est un endroit très humain, les artistes sont ici chez eux comme dans une grande famille. Je ne suis pas créateur mais nos vies se sont mélangées, nous partageons tant de choses en commun » Vivien Isnard ne dira t’il pas de son ami galeriste « Il est de l’autre rive mais c’est le même cœur » Ainsi ce navigateur au long cours qui sillonna le monde avoue avoir découvert avec les artistes d’autres horizons et des parcours de vie incroyables. Hartung qui s’est engagé dans la légion étrangère et perdit une jambe en combattant les allemands. Kijno qui, né a Varsovie où son père était premier violon parti travailler dans les mines du nord de la France. Après avoir contracté la tuberculose il rencontra l’amour dans un sanatorium en la personne d’une hôtesse de l’air, la seule survivante du crash d’un vol Paris Londres. « Ce sont des vies qui ressemblent à de grands voyages, des personnes généreuses qui cultivent le sens de l’amour, de l’amitié. Mon fils Andréa ayant un souffle au cœur nous étions allés consulter des spécialistes à Paris. Je me souviens que Sonia Delaunay qui avait alors 85 ans et était à la fin de sa vie, nous a accompagné dans tous les hôpitaux. Elle n’allait nulle part, à aucun vernissage »

Antonio Sapone au vernissage de l’exposition d’A-Sun à Pekin, 2008
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Retour à Bellona

C’est probablement pour toutes ces raisons que l’homme qui a dédié sa vie à l’art mais surtout à ceux qui le font a décidé de revenir sur la terre de ces ancêtres pour y poursuivre son oeuvre. « Bellona, c’est une terre très ancienne. Les turcs, les grecs, les français sont passés par là, les traces y sont encore vivaces » Féru d’histoire, il est intarissable quand on parle du pays, plus pudique comme peut l’être l’homme de la terre quand on évoque ses sentiments. Mais Antonio finit par s’ouvrir « A Bellona j’ai crée un centre culturel car ma conviction est qu’en Italie comme en France nous avons une sensibilité du beau qu’on contracte au quotidien avec l’architecture. Mais si pour l’art contemporain le Nord est gâté, au Sud il y a toujours un manque. Sans musées, ni galeries d’art moderne la rencontre entre le public et les artistes ne peut pas avoir lieu ». Et pourtant le créateur y est considéré comme un être d’exception, le respect de la culture du passé inscrit dans les gènes.

Une oeuvre de Kijno
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Alors pour palier à cette lacune il ouvre en 1990 une fondation au milieu d’un désert. L’image est belle, tout un symbole. Ce carrefour d’échange est devenu un lieu vivant où scolaires néophytes, et amateurs éclairés viennent aujourd’hui en nombre « En Italie ont commence très vite à parler d’art mais nous n’avons pas facilement accès aux œuvres. Alors ce lieu avec ses exposition didactiques a fonctionné rapidement » Après avoir construit un centre d’art tout neuf pour parler du passé, il a souhaité ériger, non loin de là, un autre lieu tourné lui vers l’avenir dans un monument du passé. J’ai acheté et restaure un monastère sur la colline dont la première pierre date des croisades ». En effet après maintes péripéties, cette chapelle devenue monastère tomba en ruine pendant l’assaut de Monte Cassino. Aujourd’hui Antonio reconstruit ce site de mémoire pour en faire des ateliers d’artistes. Abriter ceux qui parfois œuvrent dans des conditions précaires ? Peut être s’est il souvenu de Robert Malaval, un jeune artiste qui compta beaucoup à ses débuts et dont la toile « Poussière d’étoiles » est encore accrochée aux cimaises de la galerie niçoise « C’était un écorché vif dont l’œuvre visionnaire a inspiré d’autres artistes. Malaval était volcanique il vivait à cent à l’heure sa vie nocturne dans un petit local et lorsqu’un ami lui laissa son grand atelier ce fut un moment de grâce. L’annonce de son suicide fut un choc, j’en ai souffert beaucoup aujourd’hui encore il me manque » Conclut Antonio Sapone, un homme de coeur et de talent qui semble mener son combat pour l’art et traquer ses rêves bien au-delà de ses cimaises !

Toutes nos condoléances à sa famille et plus particulièrement à Paola, sa Maman, et son frère.

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