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« Une vie plus une vie » : Notre existence disséquée au scalpel

Maurice Mimoun est un chirurgien réputé dans le domaine de la chirurgie réparatrice et esthétique. Cannois de cœur par sa famille, il exerce à l’hôpital Saint-Louis à Paris.
Son ouvrage nous parle des grands thèmes de notre existence qu’il dissèque au scalpel : le corps, la douleur, l’amitié, la peur, la fatigue, la fidélité, la trahison, la vieillesse et la mort…

Professeur Maurice Mimoun

Extrait : "...l’homme était ouvert comme un livre "

Que peut-on lire chez un individu ? Le physique est-il une carte de visite qui ne ment pas ?

L’homme ouvert comme un livre, bien sûr ! Tout y est écrit, mais rien n’est évident, c’est la complexité du roman.

La carte de visite est un moyen rapide de se présenter. Vraie ou contrefaite, vous en êtes maître. Pour le physique, c’est différent. Vous ne vous fabriquez pas, vous ne pouvez être un faux. Quoi que vous fassiez, vous êtes vous-même. Vous pouvez vous parez, vous maquillez, voire vous faire opérer, votre corps de base est là. Il vous est livré à la naissance, vous ne partez pas d’une page blanche et toutes les modifications que vous lui infligerez vous caractériseront.
Le corps et le visage disent la vérité, c’est nous, souvent, qui ne savons pas les lire.
Je suis toujours amusé de l’étonnement de ces patients opérés, retrait d’une bosse sur le nez par exemple, dont la famille ne s’aperçoit de rien. Au plus, quelques simples réflexions comme « Tiens, ta nouvelle coupe te va bien » ou « Tu reviens de vacances ». La surprise atteint son paroxysme quand un vague cousin ou un copain pas vu depuis des mois détecte tout de suite le changement.

Quelle en est la raison ?

Elle est élémentaire. Plus nous connaissons la personne, moins elle est corps. Quand je rencontre quelqu’un pour la première fois, je vais le reconnaître et le caractériser par sa taille, la longueur de ses cheveux, leur couleur, la forme de son nez, la volume de ses seins, sa corpulence…
Si depuis longtemps je suis au courant de sa vie, de son métier, de ses goûts, de ses qualités, de ses travers, le corps s’efface dans un tout beaucoup moins définissable : l’être. Et le physique de l’être peut être radicalement différent du corps qui l’abrite. On dit que l’amour aveugle, c’est vrai…

Extrait : « Arrêtez de vieillir n’est pas rajeunir »...

En tant que chirurgien, vous veillez quelque part à arrêter le temps ?

Si vous aimez la vie, vieillir est la seule manière de continuer à en profiter. Simplement, il ne faut pas patauger dans la vieillesse. Le chirurgien esthétique peut aider comme d’ailleurs tous les médecins dans cette quête : se maintenir en forme.
La question n’est pas d’arrêter le temps, mais d’en savourer tous les instants.
La coquetterie est une source de vie.

Les liftings : à quelles interrogations répondez-vous de la part de vos patients ?
— quelles sont leurs attentes ?
— quelles sont les argumentations les plus fréquentes ?
— le lifting est-il devenu courant ? Le bistouri est-il un passage obligé ? Comment évolue, selon vous, la chirurgie esthétique ?

Nous vivons beaucoup plus vieux qu’avant. Certains assument leurs rides, d’autres veulent les atténuer. C’est une question intime et nul n’est naturellement obligé de rien.
Cependant, de plus en plus de personnes ont la tentation du lifting. Mais le lifting fait souvent peur. On voit encore trop de femmes et d’hommes transformés en ovni ou en poupée Barbie.
C’est la crainte principale. Contrairement à ce que l’on croit, la majorité des patients sont raisonnables. Les caricatures à grosses lèvres et visage tiré comme la peau d’un tambour sont des catastrophes qui ne devraient plus exister. La première préoccupation d’aujourd’hui est de rester naturel. Naturel, c’est le maître mot. Effectivement, ils veulent faire un peu plus jeune, mais surtout, ils désirent paraître en forme. Certains parlent de propreté, de lutte contre le laisser-aller, de manière de se présenter, de politesse de soi-même. J’estime que dès qu’un lifting se détecte, il est raté. La chirurgie esthétique moderne, c’est celle qu’on ne devine pas. Ne pas en faire trop ! Il y a certes une compétence technique très pointue dans la réalisation de ce geste, mais cela ne suffit pas. On peut être un virtuose et jouer un morceau qui sonne faux. Le résultat final dépend de la sensibilité de l’opérateur. On ne peut nier le côté artistique de l’acte. C’est pour cela qu’on doit choisir son chirurgien comme on choisit un peintre, selon sa sensibilité.

Extrait : « ... insidieusement, la laideur avait resurgi... les yeux de Rania ne corrigeaient plus la réalité qui tuait toute amorce de désir... peu à peu la laideur gagna la partie »

Qu’est-ce que la beauté selon vous ? Et quel commentaire faites-vous à propos de cet extrait cité ci-dessous, en quoi pourriez-vous remédier à cette laideur dont parle votre héroïne ?

La beauté ne se mesure pas. L’idée d’une norme qu’il nous faudrait attendre est une horreur. Tous beaux, tous pareils ! Aucun intérêt. Remettre les gens en accord avec eux-mêmes procède d’une autre ambition. Le chirurgien doit aborder l’être pour modifier le corps.
Dans mon roman, Rania tombe amoureuse d’un homme laid, mais très cultivé, spirituel, intelligent. Tout se passe pour le mieux, jusqu’au jour où sa laideur resurgit et empêche Rania de prendre son plaisir. Elle n’y peut rien. Elle ne peut plus jouir. Est-ce le corps qui était en jeu dans cette inhibition ? L’analyse est compliquée. Ce refoulement lui arrive au moment où un autre homme l’attire. Le voile de l’amour masque les imperfections. Lorsqu’il se retire, la laideur reprend le dessus et fournit une raison à la rupture. Peut-être qu’un prétexte ? Décidément, je ne sais pas répondre à cette question...
On confond souvent : tu es beau et tu es désirable.

Préfacé par Milan Kundera. Une vie plus une vie, Albin Michel, 15€.

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