| Retour

A.R. Penck (Ralf Winkler)

Evénements liés à l'artiste

A.R. Penck, à découvrir à la Fondation (...)

« Si l’art est l’un des moyens les plus perspicaces et les plus justes pour comprendre la psychologie humaine, pour mettre en lumière la vérité d’un individu, il peut, également, tenter d’exprimer non plus l’identité d’une personne mais celle d’une « humanité », d’un groupe d’hommes confrontés au temps ou à l’Histoire. L’art prend une dimension légendaire (...)

Fin : Juin 2017 Voir l'événement

Né Ralf Winkler à Dresde en Allemagne de l’Est en 1939, l’artiste est marqué très jeune par le bombardement et la destruction quasi complète de sa ville en février 1945. Les images de ce désastre resteront dans sa mémoire et influenceront sa vie et son oeuvre.

C’est à l’âge de 10 ans qu’il peint ses premiers tableaux et aspire à devenir sculpteur. Après quelques cours de dessin publicitaire et une formation en autodidacte au début des années 1950, Ralf Winkler produit des portraits comme des autoportraits. Il s’initie
à la sculpture et s’intéresse à l’écriture et à la musique. L’art est pour lui une voie essentielle pour assumer l’héritage d’une expression qui ne cesse de jouer et de dérouter les discours.

Dans ses portraits, le peintre travaille sous le report d’oeuvres de Rembrandt ou de Picasso.

Il abandonnera plus tard toute dimension psychologique de l’individu pour une forme synthétique plus à même de représenter les tribulations d’une humanité définie, par une mobilité permanente : celle du corps, de la pensée, portés par un esprit musical et chorégraphique.
Dès la construction du mur de Berlin en août 1961, Ralf Winkler réduit sa palette aux valeurs noir et blanc pour des raisons d’économie financières et picturales. Il commence à peindre ses premiers Weltbild (tableau-monde) représentant des hommes schématiques de différentes échelles brandissant des écriteaux.
Ces peintures marquent une évolution vers un style qui se reconnaît à partir d’une « réduction des moyens ». «  L’élément figuratif demeure cependant, car toute la théorie ou la philosophie dans laquelle je me situais alors se rapportait à la figure, à l’image de l’homme, aux processus en rapport avec les hommes », explique t-il. Peu à peu s’exprime dans son oeuvre cette ambition de formuler une expression qui va se dépouiller d’un certain nombre de savoir-faire, de modes de représentation, pour chercher une manifestation de sa vision qui se situe avant toute composition, avant la langue, avant tout modèle constructif. Ralf Winkler s’interroge sur les questions mathématiques et sur la notion de l’espace. Il s’intéresse de plus en plus à la cybernétique (science de la régulation de systèmes complexes) et à la théorie de l’information (probabilités et statistiques).

À partir de 1964, Ralf Winkler occupe pour la première fois un atelier seul à Dresde, commence à peindre des grands formats et débute sa série des Systembilder (tableau-système).

Refusé dans plusieurs écoles d’art d’Allemagne de l’Est, il forge seul son style qu’il baptise Standart, radicalisation et formalisation du Systembild dans sa production picturale et graphique, qui se traduit par un répertoire de signes, un essai de classification systématique des actions et interactions visuelles. Le concept
contient des possibilités d’associations de sentiments et de mots : « standard » (stendardo, étendard), « situation » (Stand, constater, circonstances ou situation) et « art » (artificiel, manière). Dès 1965,les allusions aux peintures des grottes ornées sont abondantes : pictogrammes de chasseurs armés de lances, références à l’art rupestre, présence de figures qui renvoient à l’archaïque. La nature de son oeuvre et son rapport au temps marquent sa spécificité : le temps historique est nié par un retour au « primitif » et celui de la création s’abolit dans la répétition de formes.
À travers les principes de son Standart, Ralf Winkler veut trouver les caractères d’un langage primordial et universel conçu sur le modèle des langages informatiques, dans lequel le signe central est celui de l’homme.

En 1968, à l’occasion de sa première exposition personnelle à la Galerie Hake de Cologne organisée par Michael Werner rencontré en 1965 grâce à Georg Baselitz, Ralf Winkler prend le nom d’A.R. PENCK, choisi en référence au géologue et spécialiste de la période glaciaire Albrecht Penck dont l’approche fut déterminante pour sa peinture : « Le nom [a.r. Penck] fut pour moi le symbole d’un concept que j’avais développé pour la première fois et qui était en relation avec l’information. [...] Ce recours à l’archéologie a fondamentalement enrichi et influencé ma peinture  ». Le refus qui lui est notifié en 1969 d’accéder au statut de membre du Syndicat des Artistes (VBK) l’oblige à n’envisager ses activités artistiques que sous le mode de la clandestinité. En collaboration avec Michael Werner, ses oeuvres parviennent en plus grand nombre à l’Ouest. Dans le même temps, A.R. Penck commence à écrire ses réflexions théoriques sur sa notion de Standart qu’il continue de développer. Dans les années 1970, sa palette de couleurs change : l’artiste crée des oeuvres très colorées dans lesquelles apparaissent toujours les références expressionnistes mais auxquelles s’ajoutent des citations cubistes. Si son Standart fait penser à l’art du paléolithique, il peut également se rapprocher de celui de Picasso, Kirchner ou Klee. Sa quête originale se nourrit d’un savoir artistique faisant de lui un « néo-expressionniste » très savant et efficace.

Sa situation d’artiste non-conformiste – il est aussi musicien – contraint A.R. Penck à s’expatrier.

Il passe à l’Ouest le 3 août 1980. Installé près de Cologne, il devient une figure de proue d’un expressionnisme renouvelé, sa notoriété et son influence deviennent de plus en plus grandes. Dans sa nouvelle série Standart-West, A.R. Penck reprend et développe la problématique du Standart. Les figures des tableaux possèdent toujours leur caractère graphique, mais elles perdent leur « plate naïveté ». C’est une affaire d’espace : à l’Ouest, l’espace est plus dense, plus concentré qu’à l’Est. A.R. Penck travaille sur des toiles de plus en plus grandes dans lesquelles le sens de la composition se traduit de plus en plus par une saturation de la surface. Il produit des oeuvres spectaculaires mêlant grands dessins symboliques, bestiaires exotiques ou éléments du cosmos dans des constructions rythmées par des entrelacs ou des emboîtements de lignes et de couleurs. Les pistes et les territoires y sont multiples et l’art, l’écriture, la peinture et la philosophie dialoguent par cette extraordinaire énergie graphique qui, à la faveur du « graffitisme », est remise en lumière, notamment aux États-Unis, par des oeuvres comme celles de Keith Haring ou, plus encore, de Jean-Michel Basquiat à qui A.R. Penck rend notamment hommage dans un triptyque exceptionnel.

Les peintures des années 2000 d’A.R. Penck sont le reflet d’une nouvelle maturité plastique qu’il utilise, en toute liberté, pour exprimer sa pensée. Dans une oscillation permanente entre abstraction et figuration, ses dernières investigations picturales sont la manifestation tout autant de ses sentiments que d’une culture et d’une philosophie qu’il ne cesse d’enrichir. Les surfaces se remplissent de lettres et de signes géométriques, dans des compositions qui, bien qu’abstraites, renvoient par le rythme et la couleur à une poésie vitaliste, à un réel que nous cessons d’imaginer. Penck, également actif en tant qu’écrivain, sait que son public tentera de déchiffrer ses emblèmes allégoriques.

Dans le prolongement de sa recherche sur les signes communicatifs et universels, A.R. Penck trouve, d’abord, un point d’accomplissement dans la peinture.

La force expressionniste se traduit désormais dans une gestuelle plus contrôlée que celle des premières années. Elle approfondit ses conceptions théoriques sur les enjeux de l’expression picturale. Ceux-ci mobilisent tout autant l’histoire de l’art que l’analyse des systèmes d’information, tout autant la sémiotique que la création plastique ou l’écriture. Il est un peintre d’une intelligence et d’une ambition peu communes, qui travaille son langage de pictogrammes et de symboles abstraits, afin de mieux élucider sa manière de créer et de partager les significations. Son langage se fertilise avec le temps, grâce à des images qui se conçoivent comme des entrelacs, comme des rébus ou des puzzles.

Ses personnages et ses formes vont alors au-delà de tout symbolisme pour exprimer matériellement l’humanité commune. Par cette position, il « dessine » une utopie active et poétique qui cherche à se situer au début de la peinture. Il ne s’agit pas cependant de primitivisme car « Primitif est un mot qui ne convient pas à son oeuvre, il tente plutôt de s’installer dans un état « premier » théorique et pratique. Ce que nous vivons devant ses oeuvres est ce mouvement premier d’un monde en train de
naître, non pas pour dire le début d’une histoire, mais pour vivre l’élan permanent de cette naissance », souligne Olivier Kaeppelin. Plus que la matière, c’est l’esprit de la matière qui compte chez A.R. Penck. Le dessin joue un rôle majeur, par sa simplicité, sa vivacité, son trait. Il nous invite, non pas à la possession mais à la « Promesse d’un espace » (1) sans cesse renouvelée à partir d’un paradoxe : « l’éternité du mouvement avec ses mondes, le passé et l’avenir » (2). Son oeuvre nous propose non pas le chemin de l’évidence, de la re-connaissance mais bien celui des énigmes, parfois des oxymores, et à coup sûr, de la poésie, cet art qui dit « oui et non » en même temps.

Paradoxalement cette poésie plastique emploie un graphisme précis mais qui, comme dans les grottes et les cavernes produit un monde d’ombres projetées dans le royaume de la lumière, grâce à un jeu très contrasté de noir et blanc ou, au contraire, grâce à d’extraordinaires éclatements et jaillissements de couleurs comme chez Joan Miró ou Jean-Michel Basquiat. Certains des signes d’A.R. Penck semblent être les éléments d’un alphabet pour la description de ce nouveau monde, d’autres sont des graphes, des « unités scripturales imprononçables ». A.R. Penck lance ses lignes sur des pages blanches. Elles tracent des liens qui circulent entre les figures, les corps et les gestes. Elles sollicitent les cinq sens. Elles nous livrent à la fois une énigme et une représentation familière. À travers elles, c’est tout un peuple qui traverse l’oeuvre d’A.R. Penck, une humanité naviguant sur ce fleuve de peinture, depuis les grottes de Lascaux ou de Chauvet jusqu’aux murs des villes contemporaines où les mains des
grapheurs vont, à leur tour, tracer des signes, des figures et des noms. A.R. Penck a l’ambition de peindre les formes, les langages et les tribulations de l’humanité, il les peint depuis la préhistoire jusqu’à aujourd’hui.

1 - Titre d’un tableau de Penck
2 - In Ainsi parlait Novalis, Arfuyen, 2016, p.75.

Biographie présentée par la Fondation Maeght à l’occasion de l’exposition consacrée à l’artiste du 18 mars au 18 juin 2017.
Photo de Une : L’artiste DR

pub