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CHAPITRE 66 (PART IV) : Jean Brandy « Aux lumières de l’Olympe »

Le rôle des mythologies

Dans le cadre des Samedis de Carros organisés par l’Association des Amis du CIAC avait eu lieu, le samedi 17 novembre 2007, à la Médiathèque André-Verdet de Carros (le-Neuf), une visite commentée de l’exposition « Mythologie-peintures de Jean Brandy », avec, dans la Salle Izzo, pour lancer le débat, quelques propositions de France Delville et Frédérik Brandi sur le thème : « Le rôle des mythologies dans l’Histoire des Arts plastiques… et surtout dans l’œuvre tellurique et poétique de Jean Brandy ».

Héphaïstos et les Cyclopes

Mon intervention pouvait se résumer ainsi : Si, fin des années cinquante à Nice, Jean Brandy, d’origine corse, né à Bourg en Bresse, tôt ramené dans le Sud par ses parents, ex élève des Beaux¬-Arts de Nice et membre du « Groupe des peintres de vingt ans », expose avec Raysse, Chubac, Gini, Roualdès, Richard, il va faire toute son œuvre hors « mouvements », fût ce celui de l’Ecole de Nice, qu’il considère probablement comme l’un des « discours dominants » si on en croit l’une de ses Notes d’atelier : « Dans l’évolution esthétique actuelle, il faut que l’artiste trouve la place de la peinture figurative. La recherche de pointe ne se situe pas (ou plus) dans le monde de l’objet. Et pour cause, cet art est devenu officiel ».
Jean Brandy va donc « prendre le contre pied » et « travailler sur des bases immuables », les forces telluriques de la Provence, le Fossile, son « extension par symbole », et la Mythologie grecque. Et cela grâce à un matériau parlant : le sable, manifestation du devenir de la matière, matière alchimique par excellence.
A y regarder de près, Jean Brandy rejoint des buts qui ont habité l’histoire européenne des Beaux Arts à chacune de ses ruptures éthiques et plastiques lorsqu’un retour à l’art grec portait un désir de ressourcement. A la Renaissance d’abord, comme prise en compte de l’homme réel, sur la terre, contre la représentation du divin au service du pouvoir de l’Eglise. Tout cela bien sûr à travers des questionnements purement picturaux.
Lorsqu’au XVe siècle Filippo Brunelleschi invente la perspective, les règles et rapports mathématiques vont avec des idéaux laïcs, classiques et rationnels. Et les peintres se mettent à utiliser parallèlement les deux mythologies, la chrétienne ancien et nouveau testament et la grecque, les dieux et héros grecs offrant une métaphore du destin humain en même temps qu’un paganisme porteur d’érotisme, de forces primordiales, que l’entropie cyclique des civilisations finit toujours par dissimuler sous du maniérisme. Ainsi Girlandaio, Michel Ange, Raphaël, Peruzzi, Giorgione, Titien, Véronèse, entre autres, n’ont pas été avares de Vénus, Cérès, Junon, Psyché, Bacchus, Flore, Léda, Cupidon, Danaé, faunes et nymphes. Ensuite, long défilé de ceux qui vont utiliser ces figures à des fins d’idéologie personnelle (esthétique et éthique), Carrache, Watteau, Boucher, Fragonard, Canova, David, Hamilton, les Symbolistes, Gustave Moreau, et l’art Nouveau, Klimt, et même Brancusi, et les Surréalistes, Brauner, Picabia, Chirico, Masson, Bataille, Picasso avec Apollinaire, Picasso sans Apollinaire, inventeur de nouveaux mythes (cf la « Minotauromachie ») et, dans les années 60, Jiri Kolar et beaucoup d’autres, moins connus. Puis les mythes modernes, Andy Warhol et ses Marilyn, et les empreintes de mains et de pieds d’Yves Klein et Claude Pascal. Et les Cachets d’Arman, fossiles de la société de consommation. Cachets, fossiles, traces, archéologies diverses et croisées = éternel retour selon Nietzsche. Mais Niki de Saint Phalle, Nivèse et Gilbert Pédinielli avec leurs propres Marilyn, et Rose Marie Krefeld avec Frida Khalo, et Yves Hayat avec son Olympia, Henry le Chénier avec ses Crucifixions, est ce pour, aujourd’hui, exorciser la mort, invoquer la survie ? A travers l’utilisation, aujourd’hui, par de jeunes artistes, de tous les mythes planétaires « détournés » et « cités », quelle visée éthique et esthétique ? Jean Brandy a montré un chemin. Sa très belle œuvre est un guide silencieux, que nous avons intérêt à écouter, telle la harpe d’Orphée.
Car il a choisi, lui, le parti du solaire, du magnétique, du sensuel, d’une violente feutrée qui mène à l’amour, jusqu’à ce Chemin de Croix, son envers, métaphore d’une possibilité de dépassement. La libération ne vient-elle pas de l’irruption des contours de la prison ? Quand se « dessine » ce qui asservit ? Toute l’œuvre de Jean Brandy est un dépassement-par-la Beauté. « Tous mes tableaux sont des ouvertures que je trace dans la tour obscure où je suis prisonnier ». Ouverture sur la splendeur du monde, sans nul doute, dont Jean Brandy a été un medium. (France Delville)

L’enlèvement d’Europe

L’honnêteté que son talent lui a donnée…

Mais revenons à ces témoignages fort intéressants qui, dans l’après coup, instituent à l’artiste une certaine place dans l’Histoire. Tel celui de François Bret, peintre, et directeur des Beaux-Arts de Marseille :
C’était dans les années cinquante. Je venais d’être nommé professeur à l’Ecole Nationale d’Art Décoratif à Nice. Jean Brandy était un élève charmant, souriant, passionné, qui aimait profondément la peinture, qui travaillait avec la volonté de toujours chercher et qui très tôt s’est détaché avec quelques-uns de ses camarades de la même promotion pour amorcer la constitution d’une nouvelle « école de Nice » composée de créateurs qui devaient suivre des chemins divers. Lui est resté fidèle à la Peinture et il a pris la place qui très tôt s’est manifestée : celle de l’honnêteté que son talent lui a donnée. (François Bret)

Héra réchauffant l’oiseau

Et Yves Séméria :

La gravité du langage fait graves toutes les choses du monde. Et le questionnement de celui qui s’inquiète de cette pesanteur, se referme soudain comme un piège inévitable. On ne cesse jamais d’errer dans l’illusion du verbe. Aimer, croire, regarder, vivre même, c’est encore dire. Tel jeu de mouettes à l’orée d’une hanche nue, se fait discours. La femme et l’oiseau tombent ainsi, à leur tour, dans l’univers halluciné du mot. Mais, lorsque l’Art installe, enfin, l’œil dans le voir, l’intelligence s’ouvre dans le penser. Car, voir et penser sont la même chose.

Et Charles Jourdanet :

Jean Brandy est un artiste complet. Sa palette est pleine de hardiesse. En des gouaches largement brossées, il chante Nice, sa vieille ville, son marché aux fleurs, sa Promenade des Anglais au ciel bousculé de mistral. On retrouve cet éclat dans les céra¬miques dans lesquelles Brandy infuse toute sa passion pour la Grèce antique. Enfin, ses « maternités » sont autant d’oasis de pureté et de tendresse parmi les œuvres d’un peintre encore tout empli de jeunesse.

Hadès

Et Michel Gaudet :

Brandy évolue dans un univers aux ressources inépuisables, avec l’élégance et l’apparente désinvolture de qui domine pleinement la matière, le dessin, la couleur, bref, tout ce qui constitue professionnellement un art authentique. La personnalité de Brandy se manifeste dans un regard qu’il veut figuratif, donc apte à saisir tous les thèmes, des paysages circonstanciés et volontairement identifiables aux nus les plus sensuels, des humbles natures mortes aux bouquets baroques et somptueux où la profusion tonale engendre des colliers d’arabesques, retrouvés dans les faunes, les chouettes ou la ciselure des gravures. Blancs et noirs, teintes amorties ou vives, dosant les froids et les chauds, sont au service de cette orchestration savante. Valeur et couleur, selon les impératifs, soutiennent les masses ou le détail, sans que jamais ne soit oubliée la qualité primordiale de la conception : la sensibilité sans laquelle la poésie n’est que versification et la peinture un inutile coloriage. (Michel Gaudet)

Michel Gaudet encore :

L’hommage à Braque peint en 1956 détermine l’enga¬gement pictural de Jean Brandy. Rappeler le décor du « maître », ses blancs, ses gris, ses ocres, les fruits et les poissons qui les suscitent, situer un pichet en un sobre et essentiel impact, personnaliser l’allégeance par ces simples mots manuscrits : « Hommage à Georges Braque » en conservant cependant sa fac¬ture, tout ceci introduit une pro¬fession de foi que le chemine¬ment de Brandy ne démentira jamais. (Michel Gaudet)

Poséidon et Amphitrite

Et Albert Chubac :
J’ai connu Jean Brandy à l’époque où la poésie, le théâtre, la peinture bouillonnaient d’impatience autour de nouveaux lieux de création tels que le Provence, à Nice. J’en garde le souvenir d’un ami à la gentillesse rayonnante et d’un artiste à l’enthousiasme débordant, qui se démarquait par une rigueur, un désintéressement et une honnêteté sans équivalent dans le contexte de l’époque. Albert Chubac

(A suivre)

Prométhée

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