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CHAPITRE 66 (PART III) : Jean Brandy « Aux lumières de l’Olympe »

Suite des « Notes d’atelier » de Jean Brandy

Dans l’évolution esthétique actuelle, il faut que l’artiste trouve la place de la peinture figurative. La recherche de pointe ne se situe pas (ou plus) dans le monde de l’objet. Et pour cause, cet art est devenu officiel.

Prendre le contre pied de ce qui est en place est à mon avis un bon chemin. Dans notre monde, où tout change avec la rapidité d’une mode, prendre le contre¬pied c’est travailler sur des bases immuables. Les fossiles et l’extension du fossile par symbole m’en donnent l’occasion.

Si le fossile me donne l’occasion de travailler sur une « constante », le but est à longue portée tant les possibilités sont grandes. Retrouver dans chaque chose ce qu’il y a de permanent au delà de l’aspect extérieur qui varie suivant les modes, les saisons, les années, les civilisations, voilà le but Prétentieux ? la création ne se fait pas à plat ventre.

Peut être est il possible par la réflexion, la synthèse, de trouver pourquoi une forme est fonctionnelle et pourquoi le fonctionnel est esthétique ; mais pas de façon superficielle du genre : l’aérodynamisme c’est beau parce que ça va vite. Une étude sérieuse partant, par exemple, de la spirale d’une coquille, nous permettrait sans doute de résoudre certains problèmes d’architecture à usage d’habitation.

« Hommage à Braque », huile/toile (1956)

Aller au cœur de la pierre chercher son sujet, c’est une façon mieux que symbolique d’aller au fond des choses.

Il ne faut pas faire vrai, il faut être vrai.

A toutes les époques les artistes ont désobéi aux règles. Il n’y a plus de règle voilà bien notre malheur et la cause de notre sagesse.

En tout et pour tout, nous ne faisons que ce que nous sommes capables de faire. L’essentiel c’est de faire l’impossible.

On ne voit bien que lorsque l’on est ébloui.

L’art qui exprime la vie est mystérieux comme elle.

Voici donc une des caractéristiques de l’émotion artistique : la transposition de la matière par l’esprit.

L’art a été dès ses plus humbles origines la réalisation des pressentiments de quelques uns répondant aux besoins de tous.

La réalité pour le peintre, c’est sa vision intérieure de l’univers.

L’art fixe l’éternité mouvante dans sa forme momentanée.

Il faut une extraordinaire ignorance de l’histoire de l’art pour oser faire de la peinture... Et l’orgueil !

L’art est un monde merveilleux où toutes les figures sont dans des rapports toujours harmonieux, ce que les Anciens appelaient le Domaine des Dieux, c’est à-dire la géométrie. A côté de la géométrie, l’Art navigue dans le monde magique de la couleur, dont le pouvoir poétique est aussi important que celui des mots.

La peinture est un art d’expression, pas de description.

C’est dans l’exercice de son art que l’artiste trouve un heureux compromis avec tout ce qui l’a blessé ou vaincu dans la vie quotidienne.

L’atelier est un lieu magique pour le peintre ; il y forge ses rêves et y gomme ses désillusions.

Tous mes tableaux sont des ouvertures que je trace dans la tour obscure où je suis prisonnier. (Jean Brandy, notes d’atelier relevées dans le catalogue de l’exposition « Mémoires de sable », édité par Jacques Simonelli, Editions de l’Ormaie)
Jacques Simonelli, écrivain, fin critique d’art, et amateur d’alchimie y avait présenté une étude très poussée de l’œuvre de Jean Brandy, sous le titre :

« Le jongleur de feu », gouache/papier

Mémoires de sable

Et avec cette exergue de Gérard de Nerval : Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres.
En voici le début :
Dès ses années de formation, Jean Brandy s’est trouvé mêlé aux débats artistiques où se formaient quelques unes des esthétiques qui allaient marquer la fin de ce siècle. Sous l’influence de Fluxus et du Pop Art, des activités collectives s’amorçaient, qui donneront naissance aux Nouveaux Réalistes et à l’Ecole de Nice. Plus tard, Support Surface allait entreprendre son questionnement de la matérialité picturale.

« Prométhée », peinture et sable/toile (1989)

Si bonnes qu’aient été ses relations avec certains de leurs protagonistes, Jean Brandy ne mentionne, dans ses carnets d’atelier, ces différents courants que pour mieux s’en démarquer, allant jusqu’à les qualifier avec une sévérité qu’à distance dément la qualité des trajectoires individuelles de mouvements « cache¬ misère ». Sa critique du monde moderne, fondée sur sa laideur et sur sa déshumanisation, implique le rejet des matériaux issus de lui qu’utilisent avec prédilection les membres de ces avant gardes (une autre voie, qui est de tirer ces matériaux de leur déchéance marchande et utilitariste, s’aperçoit mieux depuis). Cette prise de distance, qui lui fera gagner en originalité vraie plus qu’il n’aura perdu en opportunités médiatiques, se double d’une affirmation paradoxale à l’époque, et même scandaleuse :
« Le sujet existe toujours ».
Nulle concession ici à l’anecdote ; Jean Brandy sait que
« Décrire c’est détruire
Suggérer c’est créer ».
Le sujet dont il parle n’est nullement le rebattu sujet de la peinture, mais la peinture comme sujet.

« Grand nautile », peinture et sable/toile (1966-68)

En témoigne la très belle nature morte de son Hommage à Braque, œuvre d’une maturité étonnante pour un peintre de 22 ans qui venait d’achever ses études à l’Ecole des Arts Décoratifs de Nice. C’est sous le signe du peintre de Varengeville que se placent aussi ses premiers paysages. René Rousseau, peu après, le louera pour ses coloris purs, harmonisés à la lumière méridionale, la fraîcheur de ses nus et ses somptueuses compositions florales. Le bon accueil fait à ses tableaux l’inquiète plus qu’il ne le stimule. Son goût de la recherche l’amène à alterner marines, natures mortes et nus avec des peintures plus sombres, où des scènes étranges se jouent dans une clarté d’orage, proches des œuvres de son ami Vigny.

« Le cheval de Troie, dessin (1975-76)

Après un silence de trois ans, une nouvelle exposition montre un renouvellement radical de sa manière, et précise ses conclusions.
« Concilier la manière précise du Nord, le dessin au scalpel d’Holbein de Dürer, et la sensibilité voluptueuse du Sud, du Titien, de Tintoret... Je pense pouvoir concilier les caractéristiques fondamentales de ces expressions picturales par la réalisation de peintures sur sable qui allient la précision un peu sèche de la découpe et la sensibilité du « flou artistique » dans la projection de la couleur. Je voudrais peindre le poids des choses ; c’est dans la densité, le poids que les jeux de matières peuvent avoir leur pleine importance. ».

(A suivre)

Gravure sur linoleum

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