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CHAPITRE 8 (part III) : Chronique d’un galeriste...

Suite de la chronique d’Alexandre De La Salle de cette semaine...

Alexandre de la Salle – C’est bien que tu aies photographié André chez lui avec le tableau « Et nous ne savons pas quand et d’où pourrait partir le coup », il y a le tableau, et même un multiple, il devait y tenir, une forme de taoïsme, peut-être…

Frédéric Altmann – J’ai photographié André des centaines de fois, je suis en train de mettre de l’ordre dans mes milliers de négatifs…

Alexandre de la Salle – Ce taoïsme, et ce zen, auquel France Delville l’a invité à parler lors d’une autre séance filmée, en 1992 cette fois, lors de sa rétrospective au MAMAC (Verdet-Pluriel), il a dialogué devant sa caméra avec Françoise Armengaud, dont on peut dire qu’elle est pratiquement sa « spécialiste ». France Delville qui allait écrire sur lui, en 2001, « Une Parole Oraculaire », mais dont déjà, dans le « Paradoxe d’Alexandre », en 1999, j’avais mis ce texte, sous la signature d’Avida Ripoin : « C’est un chuchoteur de l’espace qui interroge, tissant et détissant parole et apparition. Amateur des vides originaires, d’Héraclite à Lao Tseu en passant par Einstein et Prygogine. C’est l’homme à la parole oraculaire qui interroge l’atome, dans les débris rêvés des champs de fouilles... rognures d’amphore où s’inscrit le rêve de Schliemann... Que reste-t-il de la Grèce : avant tout une langue pour un Temps et un Espace abstraits, pour une mémoire sans visage... L’espace en soi, en soi l’espace, l’espace se souvient-il être né, demande André, serait-il né ? Le chemin montant descendant est un et le même, est l’un des fragments supposés d’Héraclite, ruines de textes, échos d’une conscience non endormie... S’agit-il de l’espace, du temps, ou du scieur, du foulon ? Philosophes-villageois sous cieux d’Ephèse ou de St Paul, c’est toujours le même premier homme voulant mesurer l’ombre du soleil avec son ombre à lui... Exercices du regard, pour un géomètre, donne : L’espace contraint la matière à la mesure ...L’a-tome comme inseccabilité nous enseignera longtemps l’intime du monde, son cœur inaccessible. Obscur et Ouvert ? Sous le voile, offre perpétuelle au dévoilement » (Avida Ripolin)

André Verdet par Frédéric Altmann © DR
André Verdet au vernissage Tatin, avec Tatin et Liseron, années 60 galerie de la Salle, Vence © DR

A la bergère-louve Della Deiva

Françoise Armengaud a donc énormément écrit sur lui, et même sur la passion, l’amour profond, qu’avait André pour les animaux. Dans un joli livre, édité évidemment par Luciano Melis, plusieurs textes, un d’André, un de Françoise, un de Florence Burgat « sillonnent les réflexions-célébrations unissant l’univers animal au poète ». Une très belle tête de loup par André accompagne l’édition, dans laquelle André donne sa version de l’arrivée chez Nadine et lui, d’une « chienne bergère louve » :
« Elle était arrivée un matin de bonne heure dans notre jardin du Bois Saint Roch et la détresse éperdue qui semblait étreindre son regard avait l’air si irrémédiable que pour nous cette tendresse n’était pas loin de signifier l’approche d’une fatale issue.
Farouche et chavirée de peurs, gardant encore fièrement cachés les maux vécus et sans doute la proie de quel lâche abandon sur les routes éparses, Della Deiva se réfugia durant de longues et si longues heures dans les recoins ombreux du jardin comme pour nous celer son désarroi.
Combien de kilomètres combien d’interminables lieues avait elle parcourus, sans trêve, sans aucun secours, sans aucun réconfort, meurtrie dans son corps et dans son âme de bête, victime de quel abandon criminel.
Sortant enfin, aux approches de la nuit tombante, du bosquet de plantes où elle s’était cloîtrée, Della Deiva nous livra quelque peu d’elle même, de sa peur, de sa détresse, de son énigme. Et le trio d’amis formé par Nadine, par Nigel, le sculpteur anglais, et par moi même, ce trio découvrit avec stupeur et peine, alors que la bête claudiquait légèrement, que les coussinets de ses pieds étaient usés à l’extrême, rongés par les longues marches à la recherche de son ou de ses maîtres... Or le collier d’identification de l’animal avait été enlevé de son cou, geste signifiant l’abandon total... »
Ainsi commença une histoire d’amour… et de mort, car, reprise par un mal, notre chienne bergère s’effaça en silence et dignité, rejoignant ainsi le mystère de son arrivée un matin à la Catoune… » Tout un monde, celui d’André, qui fait que… sans lui… Saint-Paul…

Loup par André Verdet © DR

La chatte Flossie

Mais Françoise Armengaud partageait avec eux, André, Nadine, Nigel, cette tendresse pour la merveilleuse « animalité », comme en témoigne sa contribution dans le livre, sous le titre « Propos à l’unisson » et « André Verdet se mettre en état d’animalité » :
« J’ai connu et aimé Flossie, chatte bavarde et volubile dans son bavardage, et je nai pas manqué d’observer ses manèges ainsi que ceux de son associé et vis à vis humain ! Il n’y a pas tant d’années, le village de Saint-¬Paul résonnait le soir d’un appel réitéré et rythme comme celui d’un berger : Minette, Minette, Minèèèèeeu... D’abord léger, rapide, puis un accent grave et prolongé sur la toute dernière syllabe, voix de basse fortement nasalisée : le poète invite sa chatte à rentrer au bercail. Je me souviens aussi avec tendresse du rituel d’un jeu qui suivait immanquablement le dîner, après le biscuit nantais dont les miettes devaient impérative¬ment être déposées au pied du lit. Alors le poète entame une série de miaulottements, et la chatte se met à parler ; le poète roucoule, la chatte susurre ; le poète donne un thème, la chatte suit la cadence : c’est déjà une mélodie à deux, c’est surtout une fabuleuse complicité.

Quant à Della, que j’apercevais jadis furtivement, à la fois douce et princière, parmi les herbes odorantes, ou couchée dans l’atelier où elle trouvait sa place et longuement observait, à présent qu’elle n’est plus, j’ai toujours soin de saluer silencieusement sa trace secrète que Nadine me montra un jour en confidence les empreintes de ses pattes – les coussinets - dans le ciment de la petite route privée du Chemin de l’Obiou. Au moment de sa mort en avril A997, Nadine m’écrivait : « Nous étions liées par un fil d’or exceptionnel, son nom : DELLA DEIVA…N’était-elle pas arrivée comme une envoyée du ciel, alors que j’étais au bout de ma tristesse, à pleurer encore mon Shériff en secret… »

Et Françoise de citer plus loin, bien sûr, ces vers d’André sur le Loup : Son regard oblique/…/Porterait-il en lui/Regret d’une alliance/Ou d’un pacte rompu/Mais par qui mais par qui… »
Pacte avec la Vie, toujours, André… Alors… Saint-Paul, sans lui…

A suivre...

Couverture de « Requiem pour deux bêtes » © DR

Logo article : André Verdet par Frédéric Altmann © DR

Retrouvez la première partie de cette chronique.

Retrouvez la deuxième partie de cette chronique.

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