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Dr Jekyll et le mystère Hyde - Collectif « La Machine »

Programmé en janvier, « Dr Jekyll et le mystère Hyde » est bien sûr reporté comme tout ce qui est culturel : quelques dates sont fixées en février pour les scolaires et en juin ce sera pour le public. Un après-midi de janvier, une représentation a cependant été donnée pour la fin de résidence de ce spectacle produit par Anthéa qui soutient fortement le Collectif La Machine.

Félicien Chauveau a très librement adapté « L’étrange cas du Dr Jekkyll et de Mr Hyde » qu’il met en scène à sa façon, avec une imagination toujours délirante. L’auteur, Stevenson, déjà auréolé du succès de « L’île au trésor », est lui-même en scène, malade à cause du roman qu’il écrit et dont il subit les expériences du personnage principal dans son combat entre le Bien et le Mal. L’intrigue fantastique, considérée à l’époque comme particulièrement étrange, était pourtant inspirée de faits réels, même si c’est un cauchemar qui en donna l’idée à son auteur, paraît-il.

Après avoir ingurgité un sérum de sa fabrication, le bon docteur Jekyll se trouve embarqué dans une double vie en se transformant en un horrible individu à la fois laid et cruel. Le dédoublement de personnalité et la lutte de l’homme entre sa part bienveillante et celle malfaisante. Voilà donc l’éternel thème qui montre un individu de qualité devenir un être monstrueux. A peine humain et habité, nuit après nuit, par une âme satanique qui prend le dessus et commet des actes innommables, il se transforme en tueur sanguinaire.

La pièce entrelace donc la vie de Stevenson, durant l’écriture de « L’étrange cas du Docteur Jekyll et de Mr Hyde » et les personnages de son roman, ou du moins les situations puisque lui-même devient Mr Hyde en s’intéressant aux aspects noirs de sa personnalité, ces instincts néfastes que chacun porte en soi à doses plus ou moins importantes. Il n’est ni tout à fait Dr Jekyll ni tout à fait un autre., c’est-à-dire lui-même La nature humaine est multiple, parfois avec une profonde dualité mentale et une guerre perpétuelle entre les deux tendances dans les domaines du Bien et du Mal.

Malgré sa femme, Fanny (excellente Irène Rèva), qui tente de protéger la tranquillité de l’auteur pour qu’il avance dans l’écriture de son livre, son père vient le voir, suivi aussitôt par son médecin. Bref, une nombreuse troupe de comédiens s’agite sur scène et le spectacle évolue entre l’auteur et ses écrits dans un dosage subtil de trafics de sentiments sur fond de magouilles, offenses, revanches.... Ainsi, dans cette ténébreuse découverte, le père (Laurent Grappe) de Stevenson et son médecin (Claude Boué) tiennent-ils des rôles essentiels, essayant d’entrelacer le maelström d’émotions et de comprendre le lien étrange qui attache Jekyll à Hyde. Stevenson engage avec son père et son médecin une « discussion anormalement normale »... et il parle de « lancer une mode  » en permettant à chacun de découvrir ses mauvais aspects. Chaque comédien endosse plusieurs rôles, parfois dans la vie de Stevenson et parfois dans les personnages de sa fiction, ce qui ajoute à l’ambiguïté du double, sans cependant égarer le spectateur.

Avec son infini goût de l’enfance qui reste encore présent chez lui, Félicien Chauveau (interprète de Stevenson) orchestre de tragiques situations grâce à ses fantasmes qui trouvent leur salut dans son imaginaire.

Aussi créatif qu’émouvant, « Dr Jekyll et le mystère Hyde » électrise et réjouit, tant le style farceur du récit est habile et son sens du détail affûté. Le spectacle révèle des trouvailles visuelles bouleversantes, pour en venir à des scènes sanguinolentes on ne peut plus gore.

L’adaptation est habile pour plonger dans les méandres du fantastique. L’horreur s’installe peu à peu. Dans le rôle principal – à la fois Jekyll et Hyde - Guillaume Geoffroy est au mieux de sa forme avec son indéniable talent de mime. Tous les autres acteurs interprètent plusieurs rôles : ainsi chacun de l’entourage de l’écrivain devient-il personnage de sa fiction. Chacun est double à l’intérieur de soi : à la fois bon et mauvais, tout est question de dosage. Dans un angle de la scène, un contrebassiste souligne l’action de notes mélancoliques, parfois même inquiétantes...

Pour la scénographie, Jean-Baptiste Nallino a imaginé, comme unique décor, un genre de roulotte mobile en tubes et en grillages, montée sur roulettes. A la fin, elle se transformera magiquement en un magnifique voilier ! Décidément le spectacle regorge de trouvailles...

Caroline Boudet-Lefort

Photo de Une. (détail) DR Kentin Morgan

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