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Triptych : The missing door, the lost room and the hidden floor, par le Collectif Peeping Tom

Dans le programme d’Anthéa, on appelle ça de la danse. Bien sûr le talent des danseurs du Collectif belge « Peeping Tom » n’est pas remis en question, ils sont même tous exceptionnels et très talentueux dans l’art chorégraphique, mais l’ensemble du spectacle est loin d’avoir la légèreté souvent prêtée à la danse. Ce qu’ils présentent pourrait être le pire cauchemar parmi ceux qui laissent des angoisses durant plusieurs jours, pourtant c’est splendide, magnifique, fascinant, véritablement envoûtant !

Les spectacles des Peeping Tom (« voyeur » en anglais) ont toujours été audacieux, mais là, cette fois, dans « Triptych », l’audace est à son comble, encore plus grande en dépassant leurs limites habituelles par l’innovation de ce que peut représenter un spectacle de danse.

Conçu et mis en scène par les talentueux Gabriela Carrizo et Franck Chartier, ce triptyque réunit trois pièces courtes sur la difficulté des êtres à s’atteindre. Entre chaque partie, la salle s’éclaire tandis que le décor est changé à vue par tous les interprètes. L’action semble se passer dans le huis clos d’un navire où l’on peut perdre facilement l’équilibre alors que tout va de travers : objets et/ou individus qui tentent de survivre à l’invasion de l’eau. (De plus en plus inquiétante, la montée des eaux est bien à l’ordre du jour, non ? )

Imprévisible, chaque événement prend le public par surprise : la peur circule sur scène et parmi les spectateurs qui ne peuvent que s’angoisser de l’étrange rêve qui défile sous leurs yeux.

Bien que la danse soit la séduction même, elle est ici fascinante en exprimant une peur indescriptible avec des mots : elle remonte loin dans l’origine de tout être terrifié par ce qui l’entoure dès sa venue au monde.

Dans ce kaléidoscope de visions envoûtantes, on pourrait dire que c’est l’univers de David Lynch que Pina Bausch aurait mis en danse et c’est troublant  : beau et parfois amusant, tout en restant toujours inquiétant et énigmatique jusqu’à tutoyer le fantastique. Et bien sûr le surréalisme montre son nez....

Cet étrange univers onirique se transforme comme par magie : tout se déplace sans cesse dans la banalité ensorcelée d’habitudes du quotidien. Des portes résistent à fonctionner et quand elles s’ouvrent c’est sur du vide. Ou sur des penderies envahies d’individus qui, libérés, occupent tout l’espace... Une bourrasque balaie les danseurs d’un bout à l’autre de la scène, et va même jusqu’à dévêtir une danseuse. C’est bluffant !

Théâtre dansé ou danse théâtralisé, les Peeping Tom savent aussi emprunter au cinéma ses effets spéciaux pour créer des images cauchemardesques comme cette tête qui se balade sans corps en poussant des cris insolites. Dans ce récit déstructuré et syncopé où chaque scène débouche sur un cauchemar, tout doit être impeccablement minuté pour que les corps désarticulés s’accordent à la musique très diversifiée mais souvent envahie de sons stridents et stressants ou de bruits assourdissants. La danse est impeccable, savante, soulignant chaque son incongru autant que chaque stridence ou craquement.

Dans ce labyrinthe mental, peu à peu des plantes grimpent aux murs et l’eau monte du sol, renforcée par des bidons descendus des cintres en déversant leur eau à laquelle s’ajoutent celle de larmes. Par la fenêtre, les vagues sont hautes, menaçantes, avant d’être elles–mêmes dominées par un incendie. L’eau et le feu en même temps sur scène : rien n’arrête l’audace des Peeping Tom !

Caroline Boudet-Lefort

Visuel de Une : (détail) TRIPTYCH - © Louis Clément da Costa

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