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Fin de cet événement Mai 2017 - Date du 8 février 2017 au 28 mai 2017

Argentic Agony, fin d’une ère photographique

Les sceptiques ont finalement cédé, suivant ceux rapidement gagnés par le vertige des horizons nouveaux. Grisés par les capacités techniques du nouvel outil, enthousiasmés par ses caractéristiques, ou tout simplement « de leur temps », les opérateurs sont passés d’une matérialité à une autre avec très peu de résistance. Les professionnels ont transposé leur savoir-faire du bac de révélateur au logiciel de traitement d’image, abandonnant la chimie non sans quelques regrets. Les amateurs ont adopté le matériel désormais disponible, les gestes induits par celui-ci, oubliant vite la contrainte des vingt quatre ou trente-six poses qui conditionnaient le souvenir des meilleurs moments de leur existence.
L’avènement du numérique, l’agonie de l’argentique.

C’est la nouvelle étape connue par l’histoire de la photographie au tournant du vingt-et-unième siècle. Quand un bouleversement survient rapidement dans une pratique aussi commune, quotidienne, universelle que la photographie, comment mesurer l’ampleur de son impact ?
La mutation technologique produit une véritable onde de choc. Si les nouvelles habitudes et méthodes des photographes sont un aspect du changement, c’est toute une organisation industrielle et commerciale qui en subit rapidement les effets.

Témoins conscients de la transition, trois photographes, Catherine Leutenegger, Robert Burley et Michel Campeau, ont enquêté simultanément sur certains aspects de cette révolution technologique et sociétale.

Les photographies composant cette exposition dressent un état des lieux objectif et distancié d’un processus désormais achevé.

Kodak City ou l’esthétique contemporaine du désastre

La photographie n’est historiquement qu’une liste permanente d’innovations technologiques et, conséquemment, de remises en cause de pratiques devenues obsolètes. La fin de l’argentique correspond, et c’est cela la nouveauté, à une crise sociale sans précédent dans l’industrie. Mais on aurait tort de ne voir dans cette situation qu’une conséquence directe de la transformation du médium. La faillite de Kodak s’inscrit comme une des nombreuses retombées de la crise financière qui a ravagé les Etats-Unis au début du nouveau millénaire.
Et, au-delà, il faut imputer à la direction du groupe une série d’erreurs stratégiques. La direction, échappant aux ingénieurs, s’est trouvée dans l’incapacité de s’appuyer sur son socle historique, la photographie populaire : « The world is moving, and a company that contents itself with present accomplishments soon falls behind ». (George Eastman).
C’est précisément dans ce séquençage qu’il faut examiner les photographies de Catherine Leutenegger. L’ancien système n’étant plus fiable, le nouveau n’étant pas établi, Rochester, la ville de George Eastman erre dans l’incertitude ou, pire encore, dans le vide. Kodak déterminait le quotidien des gens. Plus qu’une entreprise, « l’institution » engageait les actes, les gestes et les passions humaines. Kodak configurait des architectures, des flux et des vies. La fortune personnelle, c’est-à-dire la destinée, résultait de la position dans l’entreprise et de la santé financière de cette dernière : « What we do during our working hours determines what we have ; what we do in our leisure hours determines what we are  ». (George Eastman).
L’ensemble de la vie sociale de Rochester était rythmé et subordonné par l’entreprise. Les salariés du groupe n’avaient de but que celui fixé par leurs supérieurs. Ils ont découvert la société de consommation, dont Kodak était un des initiateurs. Ils y ont trouvé un modèle d’insertion sociale parfait, le meilleur des mondes. Kodak pourvoyait à tout et rien n’échappait à ses velléités de régulation. Clubs sportifs, collèges, universités, théâtre, etc. Rien ne devait échapper à la vieille maison.
Désormais, sans Kodak, la ville est orpheline.
François Cheval

Kodak City, 2007 © Catherine Leutenegger

Robert Burley

Robert Burley documente depuis plusieurs années la fin de l’argentique à travers la
désaffectation et la destruction des usines de fabrication de films. Ses images se concentrent sur le moment historique ou les changements technologiques ont irréversiblement redéfini le medium photographique. Elles traitent de la disparition brutale d’une industrie centenaire.
En 2005, Robert Burley recevait l’autorisation de photographier l’usine Kodak de Toronto, un complexe industriel dédié à la fabrication des pellicules, papiers et équipements photographiques divers. Durant un an, il fixe l’abandon et la démolition de l’usine, avant de se tourner vers d’autres fabricants dont les usines fermaient elles aussi progressivement : Kodak France, Agfa-Gevaert, Ilford, Polaroid. En 2007, il assistait à l’implosion de l’usine Kodak de Chalon-sur-Saône, ultime présence de la marque en France.
Photographe explorant habituellement les thématiques du paysage et de l’architecture,
Robert Burley s’est naturellement intéressé ici à l’aspect compact de bâtiments dont
l’architecture particulière permettait une production industrielle de masse. Les vues
extérieures présentent des structures monolithiques imposantes et sans fenêtres, dénuées de toute présence humaine et de mouvement. A travers le vide et le silence, ces tableaux photographiques évoquent les conséquences économiques dévastatrices résultant de la révolution numérique.
Robert Burley [né en 1957] est professeur à l’Ecole des arts de l’image, Ryerson University,
Toronto.
François Cheval

Film Warehouse, Agfa-Geveart, Mortsel, 2007 © Robert Burley

Michel Campeau

De 2005 à 2009, Michel Campeau part à la recherche des dernières chambres noires existant encore dans le monde. La technologie numérique a déjà supplanté depuis plusieurs années la technique argentique. Les imprimantes, cartouches d’encre, ordinateurs et autres logiciels de retouche de l’image ont peu à peu remplacé le laboratoire de développement, sa lumière inactinique, sa chimie… L’artisan tireur a laissé la place à l’informaticien spécialiste du pixel.
Tel un anthropologue, il inventorie et photographie ces lieux amenés à disparaître, tels
des vestiges quasi archéologiques d’une époque qui a construit en grande partie la
photographie. Il documente ainsi la fin d’une technologie, d’une époque qui a construit en partie la photographie. Il décortique les chambres, en montre les fragments significatifs, usant du flash et jouant de la couleur pour souligner la valeur esthétique de ces objets patinés par l’usage.
L’artiste en dévoile la beauté comme la trivialité, en montre la dimension mécanique et l’aspect bricolé. Il explore un fouillis apparent qui ne parle qu’aux seuls initiés. Armé d’un appareil numérique, pied de nez aux défenseurs conservateurs de l’argentique, il fixe l’obsolescence des lieux, la patine des objets qui en fait toute l’esthétique. Il cadre, s’approche, flashe et met ainsi en valeur des couleurs et des formes inattendues, parfois proches de l’abstraction.
Objet photographique, la série documente l’histoire de la photographie.
Michel Campeau (Né en 1948) vit et travaille à Montreal, Quebec,Canada.
François Cheval

Michel Campeau Sans titre 6778 [Niamey, Niger] série Dans la chambre noire, 2005-2009 © ADAGP

Porte Sarrazine - 06250 Mougins
Tel : 04 93 75 85 67 [email protected]
Ouvert tous les jours de 10h à 12h30 et de 14h à 18h
Entrée libre

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