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ANTIBES – Prix Jacques Audiberti 2019 à Alaa El Aswany

Chaque année, la Ville d’Antibes attribue le Prix Littéraire Jacques Audiberti à un écrivain dont l’oeuvre est en résonance avec celle du romancier, poète et dramaturge antibois, mais également inspirée - totalement ou en partie - par la Méditerranée. Il est décerné par un jury d’auteurs et de professionnels du milieu culturel et littéraire, présidé par Didier Van Cauwelaert.

Le prix 2020 a été attribué à l’écrivain égyptien Alaa El Aswany.

Né en 1957 dans la vallée du Nil, d’une famille intellectuelle (son père est avocat et écrivain), il fait ses études secondaires dans un lycée égyptien de langue française, puis étudie la chirurgie dentaire aux Etats-Unis, où il vit actuellement en enseignant la littérature. Avant, il avait exercé le métier de dentiste au Caire, tout en commençant sa carrière de chroniqueur et de romancier.

Qu’il soit dentiste, romancier, essayiste, nouvelliste, chroniqueur engagé ou professeur de littérature, Alaa El Aswany a toujours dénoncé la dictature et la répression. Il sourit de tous les interdits subis dans son pays où il ne peut plus rentrer : il y est poursuivi par le parquet général militaire égyptien pour la publication de son roman le plus récent « J’ai couru vers le Nil ».
Publié en 2006, son premier roman, traduit dans le monde entier, « L’immeuble Yacoubian » a obtenu un succès phénoménal et a été aussitôt adapté au cinéma par Marwan Hamed. Il y raconte l’histoire d’un immeuble mythique du centre du Caire qui lui sert de trame pour parler de l’évolution politique de la société égyptienne. Il s’attache à la vie de divers personnages issus de différentes couches sociales qui habitent cet immeuble, métaphore de l’Egypte moderne rongée par les inégalités, la corruption, l’impossibilité de vivre librement sa sexualité, l’islamisme, les violences policières... Alaa El Aswany interroge : comment est-on passé d’une société moderne et ouverte d’esprit à une société souvent décrite comme intolérante ?
Il capte la vie foisonnante de l’Egypte dans toute sa diversité et mieux qu’optimistes les romans de Alaa El Aswany sont toniques, de véritables vitamines contre la corruption oppressante du régime et la répression.

Son écriture est d’une énergie formidable.

Il ne dénonce pas, mais donne la parole aux bourreaux et aux victimes en faisant voir leurs paysages intérieurs, leurs bouleversements intimes, leurs contradictions. Avec ardeur et sensualité, il porte un éclairage sur ce qu’il y a de mieux et de pire chez les individus, en faisant appel à un style d’une écriture sensuelle, très orientale, et à l’humour, des armes qui permettent de résister à tout.
Ainsi, dans « J’ai couru vers le Nil », il parle de la mobilisation de la place Tahrir en 2011, il la fait vivre par des histoires d’amour et des vies quotidiennes, des vies remplies d’espoir. Il tricote des événements ou des intrigues, mais aussi des discours intérieurs et des plaidoiries.
Il s’attache à bien parler des femmes qui sont toujours formidables, malgré l’oppression qu’elles subissent de la part de la supériorité sociale des hommes. Elles ont toujours du ressort ou des astuces pour sortir au mieux de toutes les situations, parfois dramatiques. Il y a aussi de multiples pages sur la sexualité en pays musulman et la sensualité perce à travers les lignes. Mais bien sûr, ce qui commande le tout c’est la religion avec la place dominante de Dieu dans chaque événement cruel ou bienfaisant : tout correspond toujours au désir de Dieu qui tire les ficelles de chaque destinée. C’est ce que pensent les personnages, pas forcément l’auteur qui dit qu’il « est impossible d’expliquer, aux militaires au pouvoir, la différence entre fiction et réalité ».

Alaa El Aswany est un grand écrivain, le Prix Audiberti est d’ailleurs son 19ème prix.

Lire ses romans est non seulement enrichissant sur la vie au Moyen-Orient et particulièrement l’Egypte, mais aussi un grand plaisir de lecture. Pour lui, ce n’est pas la célébrité qui importe, mais que ses écrits soient appréciés et compris comme il se doit, que le lecteur s’attache à ressentir ce qu’il voulait dire.
Pour terminer la rencontre avec lui, il a dit apprécier que son nom soit associé à celui de Jacques Audiberti qui, dans ses écrits, précise-t-il, fait preuve de découvertes et de la capacité d’y poser des questions essentielles. Quant à la Méditerranée, quel que soit son rivage, elle a la même ouverture sur le monde avec une culture qui lui est spécifique, dit-il avant d’ajouter pour résumer son regard sur la société : «  Mieux vaut une morale sans foi, qu’une foi sans morale  ».

Caroline Boudet-Lefort

Artiste(s)