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Fin de cet événement Novembre 2015 - Date du 22 novembre 2014 au 2 novembre 2015

Univers Cocteau

De son acte graphique, Jean Cocteau donne toute la mesure dès 1923 en écrivant dans une dédicace à son ami Pablo Picasso : « Les poètes ne dessinent pas. Ils dénouent l’écriture et la renouent ensuite autrement. »
Chaque année, un accrochage renouvelé des collections du musée permet de rendre compte du génie pluriel de Jean Cocteau. La lecture de son oeuvre, éminemment complexe et d’une richesse de pensée et d’expression considérable, ne peut se concevoir qu’en prenant sa source dans l’inspiration poétique de l’artiste. Ainsi, ce quatrième parcours depuis l’ouverture du musée en novembre 2011 propose une vision croisée entre ces mondes dans lesquels il évolue. L’obsession de l’endroit et de l’envers et la figure du double sont omniprésentes dans son oeuvre et représentent le fil d’Ariane d’une pensée totalement maîtrisée, s’inscrivant dans la globalité de l’acte créatif.

Ce nouveau parcours est l’occasion pour le musée Jean Cocteau collection Séverin Wunderman de s’appuyer sur la richesse de la recherche scientifique actuelle autour de l’oeuvre de l’artiste et s’inspire ainsi de l’ouvrage de David Gullentops - professeur à l’Université de Bruxelles et directeur des Cahiers Jean Cocteau - et Ann Van Sevenant, « Les Mondes de Jean Cocteau », Non Lieu, Paris, 2012. L’accrochage des collections autour des « Univers de Jean Cocteau » sera accompagné par l’exposition « Jean Cocteau, passeur de lumière » conçue par Sandra Blachon et Juliette Philippe avec la participation de Christian Rolot, Audrey Garcia et Pierre Caizergues de l’Université de Montpellier III, dépositaire d’un important « fonds Cocteau ». Comme chaque année, Pascale Lyautey de la Maison de Jean Cocteau à Milly la Forêt, ainsi que Ioannis Kontaxopoulos, auteur de nombreux ouvrages et commissaire d’expositions autour de l’oeuvre de Jean Cocteau, participent également à ce travail commun.

"Vivants nous avons beau, toute notre existence
De la terre au soleil mesurer la distance
Et pour ne point mourir faire nombre d’apprêts ;
Nous lisons un côté de la page du livre ;
L’autre nous est caché. Nous ne pouvons plus suivre,
Savoir ce qui se passe après.
[…]
Rivale de Vénus, qu’on me roule et me couse
À jamais dans les draps où votre ange m’épouse ;
Qu’il ne me quitte plus, je suis fils de roi.
Et qu’à l’envers couché, sentant son aile contre,
Il me parle de vous, mais jamais ne me montre
Tout ce que je laisse à l’endroit."

Jean Cocteau, « L’endroit et l’envers »

Univers 1 - Perception

« Parmi la liste des griefs qu’on m’impute, je relève une prédilection maniaque pour les yeux ou « complexe de l’oeil » s’il me fallait employer le jargon de l ‘époque. Il est exact que l’oeil m’attire à plus d’un titre. D’abord parce qu’il me sert à observer le monde extérieur, ensuite parce qu’il dénonce le monde intérieur et ne me trompe guère si la personne qui ouvre imprudemment cette double petite fenêtre ne s’avise pas d’en dépolir les vitres ou d’en fermer les persiennes. J’ajoute que l’oeil me plaît à cause de sa forme de poisson (…) et parce que le signe de reconnaissance des catacombes possédait le double privilège d’être symbole de ce qui sonde les âmes et de ce qui nage aux grandes profondeurs(…). Je saluais cette découverte [anamorphose] comme une bonne note accordée à mon complexe de l’oeil et comme une passerelle significative construite entre l’univers connu et l’univers inconnu, entre tous ceux qui veulent apprendre à lire la langue illisible. »’
Textes épars in Cahiers Jean Cocteau n°9, Gallimard 1981

La première séquence du parcours, intitulée « Perception », traite à la fois d’un système visuel et d’une organisation spatiale pressentis par Jean Cocteau comme de réelles structures de sa création poétique et plastique.

Ce « théâtre intérieur » articule la composition de ses oeuvres graphiques de manière beaucoup plus concrète que nous le propose la lecture de son travail d’écriture poétique. Cette séquence reprendra à la fois les oeuvres graphiques et cinématographiques permettant une visualisation de cette organisation.
Dans les profils qu’il dessine, l’oeil est dirigé vers le lointain, évoquant ainsi l’existence d’un monde invisible ou secret. Et quel que soit le type de regard, la perception donne lieu à la création d’un univers. Ainsi, l’oeil-poisson devient la mer ; l’oeil-étoile s’intègre dans une constellation et de nombreuses formes géométriques ou architecturales se multiplient également dans son oeuvre plastique.

Jean Cocteau, Planche illustrée extraite de l’ouvrage Le Secret professionnel,1925

Univers 2 - Endroit / Envers

« G touchant G sans en avoir l’R. Selle et faix de mon âne archi-tranquille. » (Opéra)
En miroir, imbriquée ou coordonnée, la figure du double est omniprésente dans l’oeuvre poétique et plastique de Jean Cocteau. Elle se manifeste, dès ses premiers écrits, par des jeux de mots, des analogies, des calembours et même des poésies « à lire dans une glace ». Le poète commente ainsi ses jeux de mots si controversés : « Opéra est un appareil distributeur d’oracles, un buste qui parle, un livre oraculeux. Je fouille. Ma bêche rencontre une forme dure. Je la découvre et la nettoie. » (Opium)
Dans son oeuvre plastique, la thématique du double puise son inspiration dans les principes de la chambre photographique, bien connus du poète. Deux aspects d’un même visage, deux êtres mêlés en un seul, un autoportrait scindé en deux. Dans son ouvrage « Maison de santé », il dévoile un travail entre rêve et inspiration.
Le double ne se restreint jamais à la simple duplication ou inversion d’image ; dans l’oeuvre du poète, la duplication sert à souligner une existence parallèle ou un dédoublement de la réalité. Les nombreuses statues qui peuplent son cinéma, d’Orphée à la Belle et la Bête, témoignent de l’existence d’un monde parallèle à celui des hommes. L’hermaphrodite du Sang d’un poète menace de « Danger de mort » l’inconscience de ce phénomène. Dans sa création cinématographique, Jean Cocteau l’illustre par différents procédés telle la réversion d’images qui permet un véritable aller-retour dans le temps et l’espace.

La figure emblématique du vitrier, que l’on retrouve dans le poème Théâtre procède de cette même réflexion :
La vie est à l’endroit
La mort est à l’envers
Les animaux de l’arche
Ne savent pas prier
Toute ma ville en marche
Derrière un vitrier
Leçons de trompe
Fleur
Souffleur (vous êtes trop sévère)
Si le décor est à l’endroit
Tout le complot est découvert
Si le décor est à l’envers
Elle épouse le fils d’un roi.

Jean Cocteau, Orphée (vitrier)

Univers 3 -Intermédiaire

L’oeuvre de Jean Cocteau s’intéresse aux personnages évoluant entre deux mondes : ainsi, le dormeur entre présence physique dans un monde et existence mentale dans un autre. Mais celui qui excelle dans le passage d’un monde à l’autre et qui entretient une relation privilégiée avec l’invisible, est l’ange. Dans l’oeuvre graphique de Jean Cocteau, cet ange ressemble souvent à son modèle canonique et porte des ailes.
Apparaît ensuite, pour la première fois dans la pièce Orphée, puis dans le poème L’Ange Heurtebise, illustré par Man Ray, ainsi que dans les réalisations cinématographiques Orphée et Le Testament d’Orphée le personnage de l’Ange Heurtebise, dont les ailes sont remplacées par des vitres. Figure désincarnée représentant Raymond Radiguet, dont la mort subite en 1923 avait plongé Jean Cocteau dans un abîme de douleur, l’Ange Heurtebise mène les vivants vers l’autre monde.

Certains anges, chez Jean Cocteau, optent pour un exil sur terre afin de préparer « la révolte des anges », chute des anges assimilée à la condamnation de l’homosexualité. D’autres, déchus, bagarreurs, engagés dans une lutte avec la police ou « athées et révolutionnaires » assument leur présence terrestre.

Jean Cocteau, Planche illustrée extraite de l’ouvrage Maison de santé, 1926

Univers 4 - Spiritualité

Dans un triangle isocèle
Jadis je m’étais inscrit
L’inscription était celle
D’un signe de cri écrit.
S’inscrire dans un triangle
Suppose un arbre aux bras forts
Debout sur un lit de sangle
Comme sont couchés les morts.
[…]
A qu’il est dur de se taire
Après avoir trop parlé
Qu’il est doux de s’en aller
Par les couloirs de la terre.
Approchez-vous je l’ai !
Alors il s’aperçut que
Le lézard sur une allée
Fuyait abandonnant sa queue.

Énigme (Gallimard, OEuvres poétiques complètes, p. 601)

« La vie est la première partie de la mort. » Chez Jean Cocteau, l’approche du double est multiple et couvre l’essentiel de son travail écrit et graphique. Ce renvoi permanent à l’ombre, l’utilisation du reflet paradoxal, font partie de sa réflexion philosophique. Héraclite, et sa célèbre confrontation de l’arc et de la lyre, Pythagore et sa mystique des nombres, sont également des références récurrentes du poète. De la même manière, son approche religieuse s’inscrit dans une réflexion à la fois détachée, mystique et ésotérique.
« Plus ma route s’écourte, plus l’idée de mort me semble facile et plus il me semble rejoindre l’état de nullité qui était le mien avant de naître. » (Journal d’un inconnu)
Cette séquence développe le thème de la religion mais aussi de l’ésotérisme, de ce que Cocteau appelle les marges de la « science officielle » qu’il pressent exactes et vérifiables par une époque dont l’évolution scientifique confirmera les postulats. Ainsi son Hommage aux savants, réalisé pour l’Exposition internationale Terre et Cosmos en 1958, salue des scientifiques longtemps incompris puis célébrés.

Jean Cocteau, Planche illustrée extraite de l’ouvrage Le livre blanc, 1930

Univers 5 - Amours

« Je n’aime pas dormir quand ta figure habite,
La nuit, contre mon cou ;
Car je pense à la mort laquelle vient trop vite
Nous endormir beaucoup.
Je mourrai, tu vivras et c’est ce qui m’éveille !
Est-il une autre peur ?
Un jour ne plus entendre auprès de mon oreille
Ton haleine et ton coeur.
[…]
Puisse durer toujours une si grande joie
Qui cesse le matin
Et dont l’ange chargé de construire ma voie
Allège mon destin. […] »
Amour

Deux thèmes majeurs se mêlent dans l’oeuvre de Cocteau, l’amour et la mort. Son inclination pour la relation humaine, les rapports entre vivants et morts ou bien entre un monde et l’autre, imprègnent constamment son acte poétique et créateur. La conception platonicienne de l’amour et de l’amitié, le mythe de l’androgyne, l’implication de Cocteau dans la déclaration de son homosexualité marquent fortement son inspiration poétique et plastique.
La cinquième séquence, la plus intime du parcours, s’ouvre sur l’oeuvre majeure dans le positionnement personnel et sexuel de Cocteau, le Livre blanc. Une sélection de dessins érotiques confirme cette vision de « l’amour sexuel », miroir de la dualité de l’être humain, aller-retour constant du poète équivalant au désir de réconciliation et d’unification de l’être, mais aussi prise de conscience de sa duplicité.

Univers 6 - Espace temps

« Les soucoupes volaient à la terrasse du Café de la Rade. Les garçons n’y pouvaient rien et disaient que ce n’étaient pas des soucoupes mais des mirages. Terrible vol silencieux de soucoupes que les consommateurs se lançaient à la tête, qui ne touchaient personne et disparaissaient silencieusement vers l’est. […] Les photographes prétendaient avoir des preuves. Mais lorsqu’ils développèrent les preuves-épreuves, aucune soucoupe n’avait été prise par leurs appareils. » (Appogiatures, éd. du Rocher 1953)

Si Jean Cocteau, à cette époque, s’intéresse à la science fiction, à l’actualité des « soucoupes volantes », à la conquête de l’espace, aux phénomènes paranormaux, ces thèmes s’intègrent cependant toujours dans une réflexion à la fois ouverte vers la science, mais ne s’attachant en aucune manière aux limites qu’elle impose, le poète prenant alors, le relai du scientifique.

La « dégravitation », expression que Cocteau utilise, symbolisée par le poids de plomb qui monte vers le ciel reflète une vérité désormais universelle, l’homme n’est plus le centre de l’univers. Dans son Testament pour l’an 2000, il déclare ainsi : « J’ai toujours conservé grand espoir dans la dégravitation ».
Jean Cocteau souhaite affirmer et travailler la poésie comme une « science exacte ». De la série des Astrologues de 1954 (série réunie dans son intégralité grâce à la collaboration de la Maison Jean Cocteau de Milly-la-Forêt) à L’Âge du Verseau, réalisé avec Raymond Moretti en 1962-63, les oeuvres présentées dans cette séquence sont le reflet des préoccupations de l’artiste tant dans son travail écrit (Le Chiffre Sept en 1952, Paraprosodies ou Dialogues en 1958) que pictural.

Jean Cocteau, Astrologue, 1954

Univers 7 - Au Bastion, Monstres et mythes

La fascination de Jean Cocteau pour la catégorie du monstre renvoie aux dimensions monstrueuses de l’homme, comme aux dimensions humaines du monstre. Ces expressions de l’inconscient, probables réflexions sur l’humanité et la normalité du poète présentent ce qui n’est pas envisageable au premier abord. Le monstre, mis au banc de la société, n’est pas nécessairement l’image qu’il présente. Fruits de l’amour de Cocteau pour le marginal, les formes qu’il adopte renvoient aux grands mythes de l’homme. Il s’agit donc surtout pour le poète, à travers la figure du monstre, d’une réflexion sur la normalité et d’un goût particulier pour l’hybridation.
Le Sphinx meurtrier qui confronte l’homme aux énigmes de la vie et de la mort, le Centaure, déchiré entre ses sentiments bestiaux et humains, la Licorne, animal qui adopte les traits d’un visage humain chez le poète, le Faune symbolisant l’impulsivité de la nature et la solitude, et bien entendu la Bête, capable de transcender la mort par amour, seront présentés au Bastion.

Dans l’imaginaire de Cocteau se développent ces êtres hybrides, croisements de l’homme avec l’animal, mais aussi avec le végétal ou l’objet. Mandragore, hibiscus, rose et autres végétaux figurent ainsi également dans ce « bestiaire monstrueux ». Les porte-chandeliers humains de la Belle et la Bête ou l’Oracle du Testament d’Orphée en sont les émanations.

Jean Cocteau, Étude pour la Belle et la Bête

Photo de Une : Détail : Jean Cocteau, Antigone Feutre noir sur papier
n.d.

Horaires d’ouverture
Exposition ouverte du 22 novembre 2014 au 2 novembre 2015
Tous les jours de 10H00 à 18H00
Fermé le mardi et le 1er janvier, le 1er mai, le 1er novembre et le 25 décembre

Tarifs
Tarif plein : 8 euros
Tarif réduit : 6 euros
Le tarif réduit est applicable, sur présentation d’une pièce justificative, aux étudiants, aux enseignants, aux familles nombreuses et aux personnes de plus de 65 ans.

Artiste(s)

Jean COCTEAU

Né le 5 Juillet 1889 à Maisons-Laffitte, et, mort le 11 Octobre 1963 à Milly-la-Forêt. Il commença ces oeuvres artistiques avec la poésie, il se fit remarquer par le tragédien Édouard de Max, qui organisa une matinée poétique avec un récital de poésies de Cocteau. Il eut une vie mouvementée, alternant (...)

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