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Fin de cet événement Mai 2015 - Date du 7 décembre 2014 au 31 mai 2015

Fil des possibles

L’exposition « Le fil des possibles » présentée à l’Espace de l’Art Concret, 20 ans après l’exposition « Art et vêtement », orientera son propos sur les manifestations du textile dans le travail de plusieurs artistes plasticiens. Une appropriation des codes du textile souvent inhérente au process même, nous confrontera à des oeuvres issues des techniques du tissage mais aussi à des oeuvres peintes, des photographies, des dessins, des installations ou encore des vidéos. Au regard de ces travaux, une sélection de tissus ethnographiques issus de la collection de Wilhelm Otten (Autriche) questionnera cette identité textile au travers du temps et des aires géographiques.

T E X T I L E e t A R T C O N T E M P O R A I N

Envisageant le tissu dans sa matérialité, Pierrette Bloch, Françoise Micoud et Ismini Samanidou s’attachent à la notion de trame et de réseau, jouant ainsi sur la sémantique de la toile. Par ailleurs, le "pattern" inspiré des techniques du batik, permet un traitement "all-over" de la surface tissée comme celle de la toile en peinture.
Chez Pascal Pinaud et Mai-Thu Perret la question du motif est traitée par le mode de la citation ; chez Hervé Graumann, il est parodié sous forme de natures
mortes « kitsch ».

De même que le texte se conçoit comme une trame de mots, le tissu, véritable enchevêtrement de fils, questionne lui aussi la problématique du lien et de la cohésion, amenant ainsi à s’interroger sur notre rapport au corps et à ce que nous en donnons à voir.

Ainsi abordé dans son rapport au(x) lien(s) et à l’appartenance, le tissu nous conduira à une réflexion sur son aspect identitaire, du groupe à l’individu, comme les peintures de tartans d’Anthony Freestone ou les « histoires de robes » d’Annette Messager.
Julien Prévieux et Ymane Fakhir s’intéressent à des phénomènes sociétaux que le textile révèle ou cache. Jérémy Gobé et Olga Boldyreff questionnent l’homme et sa place au sein du groupe.

La transmission apparait au coeur des multiples possibilités du fil...

Deux tissus pour rituel de guérison - Début du 20ème siècle. 53 x 43 cm et 52 x 48 cm Laos nord-est Province de Houa Phan, ethnie Tai Daeng Collection Otten, Hohenems, Autriche © Günter König, Ruggell, FL

La Fondation Wilhelm Otten

Historique

La Otten Kunstraum à Hohenems (Autriche) est une initiative pour la promotion de l’art. Ses projets sont financés par des fonds privés.
Le bâtiment de la Fondation Otten, réalisé par l’architecte Arno Bereiter, invite au calme et à la contemplation. Plusieurs expositions temporaires y sont présentées qui engagent des dialogues entre les oeuvres des différents courants du XXème siècle. Le lieu compte également un parc de sculptures ainsi qu’un ancien réservoir d’huile
ouvert au public pour recevoir des oeuvres in situ de grande ampleur.
Issu d’une famille d’industriels du textile, Wilhelm Otten possède une profonde connaissance de l’histoire et des techniques de ce medium. Il a commencé à acquérir il y a 35 ans d’anciens tissus d’Amérique Latine, d’Afrique et d’Asie collectés à l’occasion de ses nombreux voyages. Ces tissus ont été réalisés à partir de fibres et de colorants naturels, grâce à des techniques de tissage complexes et sophistiquées.
Au cours des années 1990, Wilhelm Otten a collectionné en parallèle des oeuvres d’artistes constructivistes, concrets et minimalistes. Cette collection s’enracine dans l’avant-garde russe du début du XXème siècle et compte aujourd’hui plus de 400 pièces.
Wilhelm Otten : « Je suis reconnaissant des expériences qui m’ont été offertes au cours de projets artistiques, lors des rencontres avec les artistes et autres personnalités du monde de l’art, je voulais intégrer ce trésor dans la Otten Kunstraum dans l’idée de partager le plaisir de l’art avec d’autres, dans un endroit stimulant ".
Cette collection de peinture moderne et contemporaine abstraite fait donc écho à la collection de textiles noneuropéens. Le point commun de ces deux ensembles réside dans la priorité donnée aux principes formels. Depuis octobre 2008, la Fondation Otten, conçue comme un lieu de rencontres, offre un regard sur la collection de tableaux de la famille Otten.
En 2010 la troisième exposition de la Otten Kunstraum, intitulée "La Beauté comme Nécessité - Tissages et Peintures de la Collection Otten", a mis l’accent sur la comparaison entre ces deux domaines de l’art. En 2013 a été mis en ligne un site internet distinct pour la collection de textiles sous le nom de "Collection de
Textiles Otten" dont le but est de créer une coopération entre les institutions et les collectionneurs. Ce site participe également à une meilleure connaissance de l’héritage culturel et esthétique du textile tribal.

Elaboration de la collection de textiles

Cachemires et motifs Paisley
Wilhelm Otten a commencé par acquérir dans les années 1970 des fragments d’anciens châles du Cachemire puis des pièces complètes. Grâce à la rencontre fortuite avec l’héritière d’une agence de design, il a pu enrichir son fonds
avec des pièces textiles des 19ème et 18ème siècles. Ces pièces à l’ornementation islamique sont devenues la base de la collection Otten.

L’Afrique
Dans les années 1980, les textiles d’origine africaine (Showa, Royaume de Bakuba, Congo central) sont venus enrichir la collection.

Asie du Sud-Est
Une partie importante de la collection provient de l’Asie du Sud-Est. Ces tissus sont notamment des ikats d’Indonésie, du Laos, du Cambodge et de Thaïlande, que Wilhelm Otten a pu découvrir lors de ses nombreux voyages en Asie.

Amérique
Les textiles les plus récemment acquis sont originaires du Guatemala et du Pérou. Ponchos et rubans, tissés dans des motifs et couleurs chatoyants, sont d’une grande richesse pour la découverte des peuples d’Amérique latine. Les ponchos réalisés par les femmes des tribus Aymara illustrent le savoir ancestral du tissage et de la teinture resté intact dans les villages des Andes. Ces vêtements sont produits pour les familles ou les membres des villages mais jamais pour le marché.
Le chef d’oeuvre de cette collection d’Amérique latine est un cushma de la période Nasca (environ 600 ans après JC.).


Pierrette Bloch

Née en 1928 à Paris, vit et travaille à Paris.
Pierrette Bloch se place d’emblée dans la voie de l’abstraction. S’en tenant à un petit nombre d’axiomes, elle a recours aux matériaux pauvres (encre de Chine noire, papier blanc, collages) et aux motifs réduits (point réalisé par l’empreinte du pinceau, ligne, tiret). Explorant les limites entre le dessin et la sculpture ainsi que les rapports de videet de plein dépendant de ses gestes spontanés, Pierrette Bloch part à « l’aventure ».
Dans ses oeuvres à l’encre de Chine, Pierrette Bloch confronte le noir et le blanc à travers des traces, taches et giclures. Cela permet des dessins scripturaux et rythmés, le travail d’encre sur papier — blanc, ivoire, noir et gris — formant une sorte d’écriture.
A côté de cet art de l’encre, une part importante du travail de Pierrette Bloch, dès 1973, est consacrée au nouage, au tressage, où le matériau est à la fois support, matière et dessin. A partir de 1979, elle réalise des lignes de crin tressé, affirmant un parti pris d’horizontalité parfois porté à une échelle presque monumentale.
Les crins, comme les encres, sont caractérisés par un mouvement répétitif, comme tricotés et ininterrompus. Les points et mailles se font alors échos, tel un murmure de l’artiste.
L’artiste se consacre à la sculpture de crin vers 1984, écriture retranscrite dans l’espace, ondulant et prenant le pas sur les points qui laissent place à la ligne.
A cette oeuvre, tout à la fois objet et forme, vient se nouer depuis 1992 le déploiement de compositions en lignes de points d’encre sur papier. Cela constitue aujourd’hui les uniques productions en séries infinies auxquelles se consacre l’artiste.

Olga Boldyreff

Née en 1957 à Nantes, vit et travaille à Nantes.
Née en France de parents russes exilés, Olga Boldyreff a construit une oeuvre aux influences multiples. Revendiquant son appartenance à une double culture, elle place ses origines russes et son identité composée au centre de son processus de création : la question identitaire interroge étroitement la création artistique.
Olga Boldyreff voyage pour nourrir ses recherches et développer une esthétique de la mobilité. Passant indifféremment de l’écriture à la peinture, du dessin à la sculpture, de la performance à la photographie, de la radio à la vidéo, des conférences aux lectures théâtralisées, elle tente de concilier l’art populaire russe aux formes de l’art actuel (postminimalisme, antiforme, art conceptuel, arte povera), soucieuse d’élargir ses terrains d’investigations en associant aux pratiques traditionnelles des beaux-arts des matériaux et des techniques non conventionnels (broderie, tricot,
crochet, tricotin, pyrogravure…). Le fil de coton ou de laine est le matériau de prédilection d’Olga Boldyreff. Brodant des tableaux, fabricant des cordons de tricotin lui permettant de réaliser des dessins muraux ou devenant par assemblage d’étranges robes ou des sculptures, ces fils sont au sens propre comme au figuré ceux de l’histoire de l’artiste. Le tricotin, que l’artiste emmène dans tous ses déplacements, lui permet de pratiquer son art dans tous les lieux, dans les trains, dans les gares mais également de ne pas donner tout de suite forme à ses cordons. Elle peut les faire et les défaire, les arranger en fonction du lieu qui les accueille.
Son oeuvre pose les questions de frontière et de métissage et se structure autour de trois grands axes : la quête, l’amour, l’attente, exprimés dans une dimension à la fois intime et monumentale.
Les Invisibles - Les robes d’Olga Boldyreff s’interrogent sur les enjeux d’une création hybride, entre art majeur et art populaire pour aborder le question du positionnement de l’individu dans notre société.
« Lorsque j’ai commencé à fabriquer "Les invisibles", je me suis souvenue qu’enfant j’entendais souvent dire que les réfugiés doivent être invisibles. J’avais l’impression qu’il fallait rentrer dans les murs pour ne pas déranger... Plus tard comme artiste, j’ai pensé à tous ces gens que l’on croise sans voir. Voilà pourquoi j’ai choisi la couleur blanche pour ces figures, la cordelette est blanche aussi juste rehaussée de rose sur la figure. »

Olga Boldyreff - Les invisibles, 2004 - 2005 Fil de coton tricoté Installation, dimensions variables Chapelle Saint-Tugdual, Quistinic, 2005 - L’art dans les chapelles Collection de l’artiste © F. Talairach

Ymane Fakhir

Née en 1969 à Casablanca, vit et travaille à Marseille.
Ymane Fakhir est engagée dans une pratique de la photographie, qui croise procédés documentaires et incursions fictionnelles. Son travail s’inscrit dans un territoire extensible qui tente des passerelles entre la France et l’aire méditerranéenne, et en particulier le Maroc, son pays d’origine. Elle décrypte les phénomènes sociaux ou religieux liés à la culture arabo-musulmane, notamment la place de la femme, son devenir, son émancipation et les normes appliquées dans le mariage traditionnel.
L’artiste au travers de sa propre expérience nous révèle certains de ses aspects sous forme d’inventaire documenté comme dans le "trousseau". Lorsque sa fille a eu 8 ans, la mère d’Ymane Fakhir commence à lui constituer un trousseau : notices des artistes / des bijoux aux torchons, elle rassemble tout ce dont Ymane aura besoin, une fois mariée, lorsqu’elle entrera dans une autre famille, un autre clan. Tous ces objets renvoient à la maison telle qu’elle doit être tenue par toute femme, alors même que leur accumulation forme un univers clos que la jeune mariée sera condamnée non seulement à habiter, mais à perpétuer. Ymane Fakhir nous révèle cet univers de l’intime sous un éclairage neutre, aseptisé : « Cette universalité fait perdre à l’objet sa provenance, et permet ainsi plusieurs interprétations ».

Anthony Freestone

Né en 1961 à Paris, vit et travaille à Vincennes.
Anthony Freestone peint à l’acrylique sur des panneaux de bois des images fidèlement reproduites en peinture.
Le « modèle » de chaque tableau est une source imprimée, fortement codée. L’image initiale est convoquée, utilisée pour elle même, mais aussi, et surtout, pour toutes les références et les sens qu’elle véhicule. Anthony
Freestone revendique lui-même l’activité de copiste dans la construction de son travail. S’appuyant sur cette méthode, il interroge les notions d’origine et d’identité. Parti à la recherche de l’histoire de son nom (« pierre de taille » en anglais) son attention va se tourner vers l’Ecosse et ses historiques batailles de clans.
Les noms, les territoires, les signaux identitaires que sont les fameux tissus écossais, les tartans, deviennent des objets de peinture. Ainsi depuis 1991 Anthony Freestone peint, suivant un protocole, des motifs de tartans,
respectant l’ordre alphabétique des clans auxquels ils se rapportent. Face à ces peintures de format carré qui jouent avec la thématique de la grille et de la composition strictement orthogonale, nous glissons entre figuration et
abstraction sans que nous puissions définir là où la démarche de l’artiste se situe exactement. L’artiste a réalisé à ce jour près de 80 toiles issues de cette série.
Ces motifs de tissu écossais reproduits peuvent faire partie d’ensembles articulés, celui des polyptyques narratifs, qui fonctionnent sur le principe de l’assemblage. Leurs sont associés textes, portraits, éléments de cartographies…
Anthony Freestone relie, combine et tisse. Les liens ne sont jamais matérialisés, explicités. Mais on retrouve l’Ecosse et son histoire, Duchamp, Warhol, Freud, Leiris, Caroll…
« Je travaille sur les liens entre des lieux, des personnes, des époques et des oeuvres. Il ne s’agit pas de rapprocher des éléments radicalement différents, de jouer sur l’incongruité ou la surprise, mais de tenter de montrer les correspondances entre des choses ni tout à fait proches, ni absolument éloignées, sans que l’on puisse précisément dire si ce tissu de relations mène ou non à quelque chose. » Anthony Freestone, catalogue de son exposition au Musée des Beaux-Arts du Havre, 1994.

Anthony Freestone - Drummond of Perth, 2013 Peinture acrylique sur bois 38 x 38 cm Collection de l’artiste © droits réservés

Jérémy Gobé

Né en 1986 à Cambrai, vit et travaille à Paris et Tourcoing.
Le travail humain et les gestes qu’il instaure sont le point commun à toutes les créations de Jérémy Gobé. L’artiste prolonge souvent des éléments naturels – oursins, papillons, coraux – par des biais manuels – tricot, dessin, sculpture
– afin de créer des objets hybrides et pleins de poésie. Ses projets commencent à partir de rencontres multiples et fortuites, ses oeuvres prenant forme en fonction de ce qu’il trouve sur son chemin, tissus abandonnés ou objets trouvés, auxquels il (re)donne une certaine noblesse. Le travail de Jérémy Gobé se met donc en place suivant un processus de vie, à la fois humain et matériel. Par ses rencontres, il capte une histoire pour la raconter autrement ou retient une matière pour la faire revivre. Cette démarche, tournant autour de l’objet récupéré et de l’autre, se double souvent d’un apprentissage d’une technique, qui le pousse à remettre sans cesse en cause sa
propre pratique. À travers une oeuvre principalement textile, il manipule, sculpte, sublime le tissu afin de lui redonner une certaine noblesse.
Transmission et mémoire caractérisent l’oeuvre de Jérémy Gobé. En métamorphosant les matériaux, souvent industriels (tissus des Vosges, sangles de tapissier…), il prolonge le vivant , garde la marque du temps et le témoignage
d’une histoire.
L’Adresse - À la fois installation et vidéo, l’oeuvre recompose à partir de chutes de tissus la production d’une usine désaffectée. Ces oeuvres sont conçues à partir de chutes de feutres qui lui ont été offertes par les employés d’une
usine de feutre se trouvant près de chez ses parents. Cousues et enroulées, ces chutes deviennent des formes organiques en hommage aux employés licenciés.
Un travail d’une grande délicatesse sur la matière qui pose aussi la question de la trace ainsi que du geste humain. Ce qu’il reste après la faillite.

Jérémy Gobé - L’Adresse - étude graphique, 2013 Pierre noire sur papier 50 x 65 cm Collection de l’artiste © Jérémy Gobé

Hervé Graumann

Né en 1963 à Genève, vit et travaille à Genève.
Les travaux d’Hervé Graumann sont intimement liés à la question de la représentation dans le monde des médias digitaux. L’une des caractéristiques est de traduire dans un code binaire des informations de natures et de provenances
diverses. En 1993 dans son programme informatique Raoul Pictor cherche son style. L’artiste amorce une mise à mal de l’aura de l’oeuvre d’art. Raoul Pictor, est un peintre fictif qu’Hervé Graumann représente telle une image d’Epinal avec son
béret et sa palette et qui travaille dans un atelier virtuel. En 1997, le dispositif acquis par le Fonds Régional d’Art Contemporain Alsace était composé d’une imprimante et d’un écran sur lequel s’exécutait le programme. Pour sa version en ligne, sans qu’une imprimante soit nécessaire, la « peinture » est directement montrée à l’écran, tandis
que l’installation propose l’impression directe. Aujourd’hui, l’oeuvre a évolué avec la technologie, en version « mobile », sous forme d’application pour smartphones, l’atelier est devenu interactif, l’utilisateur clique sur les murs pour changer la tapisserie, une section documentation autour de l’histoire de cette création est proposée.
A l’opposé de cette pratique, les « Patterns » (modèles, patrons) sont réalisés par la main de l’artiste même, à partir d’objets industriels manufacturés hétéroclites. De prime abord, chaque oeuvre issue de cette série se présente comme une composition ornementale, une répétition du même motif. Ces oeuvres se déclinent sous forme d’installations ou bien de photographies de celles-ci. Ces dernières ne sont en aucun cas assistées par ordinateur, c’est d’ailleurs tout l’enjeu de ce travail dès lors que la réalisation informatique est possible. Qu’il s’agisse de photos ou bien d’installations, après le choc des perspectives graphiques c’est l’abolition des registres entre les objets qui nous invite à établir des connexions.
« On parle d’art numérique comme on pourrait parler d’art en plâtre ou d’art en bronze. Cela ne m’intéresse pas vraiment. Pour représenter un écran d’ordinateur, je préfère utiliser une petite toile montée sur châssis et y planter des punaises colorées. »

Hervé Graumann- Regular Parade, 2003 Ilfochrome marouflé sur aluminium 109 x 114 cm Collection de l’artiste © Hervé Graumann

Annette Messager

Née en 1943 à Berck, vit et travaille à Malakoff.
« Je crois que c’est lorsqu’on est le plus personnel que l’on communique le mieux avec les autres ». Annette Messager débute dans les années 70 un travail fortement inspiré par la vie quotidienne et les arts dits « mineurs » en faisant intervenir dans sa création toutes sortes de gestes allant de la collection à la broderie en passant par le détournement de photographie. Elle invite ainsi au métissage et au mélange des genres. Son travail se caractérise notamment par la fragmentation et la succession d’assemblages.
Elle explore les régions secrètes et nocturnes de l’enfance, de l’identité sexuelle, de la difficulté et de la liberté d’être femme dans un monde d’hommes en expérimentant diverses pratiques artisanales traditionnellement attribuées aux femmes. Elle cherche ainsi à sortir d’une certaine norme sociale et des goûts établis.
De l’origine de son travail où elle envisage son activité comme l’interprétation de rôles (Annette Messager collectionneuse, truqueuse, amoureuse, femme pratique, colporteuse, artiste...) à ces dernières années où elle livre ses visions plus sombres du monde, un théâtre de l’intime se construit, qui est aussi un miroir collectif et grossissant de nos comportements, désirs, angoisses… Annette Messager a su transfigurer son approche autobiographique en un monde imaginaire, ambigu et inextricable, dans lequel chacun peut se reconnaître.
Dans les Histoires de Robes, Annette Messager indique très clairement que son oeuvre est vue par le prisme du féminin. Des photographies de fragments de corps sont accrochées sur la robe qui devient alors le support de la reconstitution du corps socialement morcelé de la femme : le ventre de la mère, les seins de l’objet sexuel, les mains de la ménagère…ainsi qu’une relique des temps forts de la vie sociale (robe de bal, robe de mariée…) Par la multiplicité d’images entrelacées dans les robes, l’artiste suggère la nature fragmentée de la mémoire et de l’identité,
soulevant ainsi des questions sur la construction du genre.
L’accumulation d’objets est présentée dans une boîte surmontée de verre, qui rappelle les présentations d’oeuvres dans les musées, tout en suggérant l’idée d’un reliquaire, les images individuelles pouvant être considérées comme des offres de dévotion.

Annette Messager - Histoire des robes, 1990 Robe, photographies noir et blanc coloriées, ficelle et épingle sous vitrine 30 x 130 x 8,5 cm N°inv : 91030413 - Collection FRAC Languedoc-Roussillon. Dépôt au Carré d’Art de Nîmes © Carré d’Art, Nîmes

Françoise Micoud

Vit et travaille à Paris.
« Je crée avec la technique de la dentelle aux fuseaux. Elle permet un jeu subtil entre les vides et les pleins. Je travaille mes dentelles aux fuseaux selon deux axes : l’un est géométrique, rigoureux, très structuré, l’autre, dont les formes sont plus libres, a pour sujet la nature mais revisitée, retraduite, souvent improbable ».
« J’aime travailler en alternance soit des dentelles très géométriques, très structurées, comme les Dentelles de Silence, soit des dentelles plus libres comme les feuilles. Ce sont mes deux fondamentaux. » Artiste plasticienne de renommée internationale, Françoise Micoud s’inspire de la nature pour créer des oeuvres
originales confectionnées à partir de dentelle et papier.
Ses créations sont à la fois structurées mais toujours libres de forme. Ce contraste saisissant donne des pièces uniques et iconoclastes. Ses oeuvres, qui empruntent à la poésie et à la nature, épousent toutes les formes, jouant ainsi de tous nos sens. Poète, elle joue également avec les mots. Tel le sculpteur qui transforme la matière pour lui donner vie, elle transforme les mots, n’hésitant pas à baptiser chacune de ses créations de noms enchanteurs tout droits sortis d’un univers imaginaire. Mais à travers eux, l’on devine le profond attachement de l’artiste à la nature et à la botanique.
Si la dentelle est sa matière de prédilection, Françoise Micoud possède une âme d’exploratrice, toujours avide d’expériences nouvelles. Ainsi, contre toute attente, associe-t-elle à la dentelle le papier, produisant, à partir d’empreintes, des oeuvres dont le côté léger et fragile le dispute à la magie des formes nées de cette subtile association.

Mai-Thu PERRET

Né en 1976 à Genève, vit et travaille à Genève.
L’ensemble du travail de Mai-Thu Perret se développe autour d’un récit fictif et fondateur The crystal Frontier, qui met en scène un groupe de femmes échappées de la société capitaliste et parties vivre au Nouveau Mexique pour
fonder une communauté utopique : « New Ponderosa ». Cette communauté serait inspirée de Llano del Rio, une communauté socialiste fondée en 1914 dans le Désert de Mojave. Du mobilier, de la vaisselle et des vêtements, objets nécessaires au quotidien de la communauté seraient fabriqués artisanalement par les femmes. Par ailleurs, elles consacrent aussi une partie de leur temps libre à la création d’oeuvres d’art. D’autres pièces de Mai-Thu Perret – installations et sculptures – sont plutôt une évocation ou une représentation de la vie de la communauté.
Formellement les oeuvres de Mai-Thu Perret renvoient à la fois au constructivisme, au Bauhaus ou au futurisme, des mouvements qui ont mis l’art au service de la construction d’une nouvelle société. Comme l’explique Thomas More, l’intérêt que porte Mai-Thu Perret aux avant-gardes artistiques n’est pas non plus nostalgique des valeurs qu’elles véhiculaient, mais constitue avant tout un répertoire de formes qu’elle réinvestit et contribue à son tour à densifier. Donner à voir les productions d’une communauté imaginaire, ou illustrer les épisodes de son histoire dans une démarche de fiction documentaire, permet à l’artiste de prendre ses distances par rapport à l’acte de créer, de remettre en question la notion d’auteur et le fétichisme de l’oeuvre d’art qui lui est lié. Dans ce sens, le travail de Mai-Thu Perret est pleinement inscrit dans son époque.

Le papier peint exposé présente un motif créé par Mai-Thu Perrret, lui-même repris d’un dessin pour tissu datant de 1924 créé par Varvara Stepanova (1884-1958) membre du groupe constructiviste dès 1920. Figure féminine de ce mouvement, aux côtés de son mari Alexandre Rodchenko, Varvara Stepanova s’employa à investir de nombreux champs artistiques pour en révolutionner les pratiques. Par cette citation Mai-Thu Perret convoque à la fois le modernisme et le souvenir d’une artiste engagée pour la reconnaissance de son travail et celui des constructivistes.
Ce mouvement, en incarnant une utopie sociale et artistique, a oeuvré dans les champs des arts appliqués, à l’image des femmes qui composent le récit imaginaire The crystal Frontier.

Mai-Thu Perret - Wallpaper, 2008 (vue détail) Papier peint à motifs géométriques. Edition Wallpapers by Artists, Dijon. Dessin de Mai-Thu Perret Impression mécanique 1000 x 53 cm Collection de l’artiste © droits réservés

Pascal Pinaud

Né en 1964 à Toulouse, vit et travaille à Nice.
« PPP », alias Pascal Pinaud Peintre, sans châssis, sans pinceaux, avec une grande originalité formelle et technique, réinvente la peinture abstraite à la recherche de nouvelles voies. Il produit des oeuvres au format de la toile, qui se nourrissent des ressources de la peinture en réaffirmant ses méthodes sur des matériaux ou techniques hétérogènes jouant du motif ou de l’allusion.
Le recours à des pratiques aussi diverses que la marqueterie, le canevas, la peinture de carrosserie, le dessin assisté par ordinateur et autres procédures expérimentales participe à l’exploration de situations inédites où les gestes populaires, les pratiques artisanales ou industrielles s’articulent aux discours savants de l’histoire de la peinture. Ainsi, la reprise sous forme de tableau, des 92 couleurs des fils du catalogue DMC alignés verticalement les unes à côté des autres et répétées cinq fois rappelle les études sur les effets optiques des couleurs entre elles, de l’art cinétique, tout en étant confronté à la souplesse du canevas désuet. La série en marqueterie reprend aussi l’idée du textile grâce à l’emploi de la trame : par un jeu de surface et d’alignement sur le chant de petites lattes de bois, la technique reste hautement artisanale.

La pièce présentée dans l’exposition fait partie du corpus des tissus d’ameublement. Il s’agit d’une oeuvre qui intègre trois tableaux en son sein. L’artiste a découpé dans un tissu hautement populaire, la toile de Jouy, les
motifs afin de les reprendre en peinture, y ajoutant la difficulté de les inverser de leur emplacement initial. Le principe de reproductibilité du tissu s’oppose au geste "unique" de l’artiste.
« En même temps, je m’inscris dans une démarche de récupération, dans un désir d’accommoder les restes dont je ne choisis ni les couleurs ni les formes. Je vole les savoir-faire tout en essayant de les transformer en oeuvres ».

Pascal Pinaud - Sans titre, Mai 2004 - Juillet 2005 Acrylique, gel médium sur tissus d’ameublement contrecollé sur bois.
120 x 180 x 12,5 cm Galerie Nathalie Obadia, Paris et galerie Catherine Issert, Saint-Paul de Vence. © François Fernandez

Julien Prévieux

Né en 1974 à Grenoble, vit et travaille à Paris.
Après un passage en classe prépa HEC, Julien Prévieux mène en parallèle un cursus à l’École supérieure d’art de Grenoble et des études de biologie à l’université. D’où, sans doute, l’origine de son intérêt pour l’économie et les dérives des systèmes financiers, la définition de protocoles poussés à l’absurde, la constitution de base de données, collections d’objets improbables, vernaculaires ou obsolètes qui véhiculent malgré eux un sens et des enjeux qui les dépassent. Il questionne en profondeur les technologies, décode leurs mécanismes et les idéologies qui les sous-tendent sans recourir au médium numérique, privilégiant une approche artisanale, low-tech, comme le tricot par exemple.
Infiltrant l’ordre des choses pour en éprouver les limites et les contradictions, l’artiste élabore des stratégies qui permettent la confrontation d’un individu solitaire avec un système donné. Ainsi, en adoptant la posture de l’individu confronté à des pans entiers de la société souvent déshumanisés (travail, politique, économie...), Julien Prévieux s’approprie les codes, langages et logiques de ces secteurs d’activité souvent liés à l’organisation du savoir tout en les retournant littéralement contre eux-mêmes afin d’en faire surgir contradictions et aberrations. Il développe une stratégie du contre-emploi sorte de court-circuitage des modèles et des codes auxquels il se réfère.
D’octobre à février, 2010 - Le titre est une allusion aux Révolutions russes de 1917. Au-delà de la référence historique, l’oeuvre évoque les situations actuelles de révoltes, de rébellions et de ségrégations que des sociologues anglo-saxons
tentent de modéliser grâce à des programmes informatiques afin de prévenir les troubles. Leurs motifs abstraits, faits d’assemblages de pixels colorés, reproduisent différents stades d’une situation insurrectionnelle, tels que simulés par un environnement informatique (NetLogo) qui permet de modéliser les phénomènes sociaux par des codes couleur précis : le jaune identifie les individus calmes, le gris les prisonniers et le rouge les révoltés. La figure traditionnelle du Che cède la place à des quantifications abstraites, représentatrices des conflits d’aujourd’hui, opaques, vus de loin et désincarnés. Prenant le contrepied technologique, l’artiste a recruté sur Internet des mamies tricoteuses pour confectionner des pulls qui reprennent les motifs colorés créés par le logiciel. Cette oeuvre répond à un protocole complexe croisant idéologie, sociologie, système numérique, artisanat et pratique populaire.

Julien Prévieux - D’octobre à février (Série Rebellion), 2010 Pulls en laine, cintres et patères métalliques 380 x 40 x 180 cm (l’ensemble) Production Château des Adhémar Collection Thibault Poutrel-Courtesy Galerie Jousse Entreprise, Paris. © droits réservés

Ismini Samanidou


Née en 1977 à Athènes, vit et travaille à Londres.

D’origine grecque, Ismini Samanidou étudie puis s’installe en Angleterre où elle développe une technique de tissage très personnelle. En dépassant les frontières de l’artisanat, de l’art et du design, elle mélange technologies numériques et techniques traditionnelles afin d’ explorer la manière dont le textile peut articuler le récit et l’espace. Ismini Samanidou trouve l’inspiration dans les tissus de son pays d’origine, la Grèce, aussi bien que dans les cultures et les techniques qu’elle a rencontrées dans d’autres parties du monde. Explorant les diverses techniques de tissage, elle effectue de nombreux voyages à Bornéo, en Malaisie, au Japon, au Bangladesh et au Viêtnam entreprenant des résidences et des échanges culturels avec des artisans traditionnels soutenus par le British Council et le RCA. L’environnement dans lequel elle évolue est très important quant à son approche du tissage et
au processus envisagé.
"Je suis intéressée par le textile traditionnel de cultures différentes et les histoires qui sont cachées dans eux."
L’artiste envisage son travail comme le reflet du "caractère éphémère et [de] la beauté du quotidien […]". Les surfaces architecturales, les paysages naturels, parfois érodés sont des sources d’inspiration qu’elle tente de reconstruire en formes tissées.
Mélangeant culture et politique, l’artiste fait du tissage un lieu d’expression de l’identité locale où se nouent des liens entre récit, espace et histoire. Elle crée des connexions entre différents peuples et cultures portant ainsi un éclairage précieux sur cette technique intemporelle.

Ismini Samanidou - Drawings/Weavings, 2010-2014 (vue détail) OEuvres sur papier comprenant : 5 longues pièces tissées main 30 x 280 cm chacune / 11 petits carrés tissés, 10 x 10 cm chacun / 4 pièces tissées sur une machine à ruban / 1 pièce tissée hexagonale / 1 film Collection de l’artiste © Ismini Samanidou

ARTISTES

Pierrette Bloch, Olga Boldyreff, Ymane Fakhir, Anthony Freestone, Jérémy Gobé, Hervé Graumann, Annette Messager, Françoise Micoud, Mai-Thu Perret, Pascal Pinaud, Julien Prévieux, Ismini Samanidou. En lien avec les tissus de la collection Wilhelm Otten.

Artiste(s)