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Biennale de Vallauris : quand les académismes sont transcendés !

Jusqu’au 30 octobre, encore trois mois pour visiter une des plus passionnantes expositions de l’été, la 24ème édition de la biennale de Vallauris. Des six lieux où sont présentées les œuvres, nous en avons retenu deux : le musée Magnelli et la salle Eden située juste à côté, qui, recevant un pays différent à chaque édition, accueille cette fois douze artistes de Corée du Sud.

La réputation de Vallauris, bâtie sur la céramique, brille davantage depuis vingt-quatre ans grâce à ses passionnantes Biennales. Cette année, soixante-cinq jeunes talents ou artistes confirmés sont présentés. La coordinatrice de l’événement, Céline Graziani, a privilégié le dialogue entre les cultures à travers un choix de quatorze nationalités. Un parcours à suivre avec délice. La sensualité du matériaux terre provoque un étonnement permanent surtout quand les académismes sont transcendés ! Au total, 150 œuvres qui manifestent l’étonnante diversité des questionnements des plasticiens sur le monde contemporain, à travers les dialogues entre les techniques, emprunts à l’artisan, à la tradition, au designer. Formes pures ou complexes, fines, translucides, fragiles comme des ailes de papillon, d’un blanc laiteux ou éclatantes de couleurs. L’esprit souffle dans cet art du feu ! 

Musée Magnelli, « Contenants » et « Sculptures »

Rien qu’au musée Magnelli, une fois passé devant les sculptures de Roger et Jacotte Capron qui sont installées sous le vénérable platane de la cour, on parcourt les salles du rez-de-chaussée et du premier étage où les œuvres mettent en lumière, notamment, les formes proliférantes et baroques du français Patrick Loughran, prix de la ville de Vallauris dans la section « sculpture », les pièces hybrides représentant le conflit entre tradition et modernité, les objets détournés de leur fonction première par l’Irlandais Brendan L.S Tang, prix de la Ville de Vallauris dans la section « Contenant », et les ventres ronds, peaux tendues et gonflées pleines de plis et de veinules de l’Autrichienne Hélène Kirchmair, Grand Prix des moins de 35 ans.? On s’attardera devant les Fleurs de lait de Marta Pichon, on se retiendra d’effleurer les tricotages nommés « Will you dance with me » en terre rouge et grès blanc du néerlandais Cecil Kemperinc. Ils sont huit pour la section sculpture et onze dans la section Contenant. 
Au premier étage le Grand Prix de Vallauris met à l’honneur un enfant du pays, Marc Alberghina, avec une composition en trois dimensions d’un fait divers : « Auto combustion spontanée » montre les restes d’un corps calciné sur un fauteuil, une mise en scène dont le caractère macabre est distancé par sa disposition à l’intérieur d’un vieux poste de télévision. A la fois révulsant et d’une ironie mordante, le réalisme de l’illusion des matières de cette « représentation » est bluffant.

Kim Joon, artiste invité

Un large espace au premier étage est exclusivement consacré aux photos de l’artiste coréen Kim Joon. Deux séries, Drunken et Fragile, avec huit grand tirages numériques, compositions dites « en deux dimensions » abordent les thèmes de la peau et le corps à travers la céramique. « Ce qu’il y a de plus profond dans l’homme c’est la peau »  : la citation de Paul Valéry nous oriente plus précisément sur le chemin intérieur de l’artiste. Nous retrouvons la sensation de pouvoir toucher ces fragiles fragments de corps de porcelaine marqués de tatouages sous la surface lisse et brillante de la photo, une sensation qui nous plonge dans un univers d’une vertigineuse sensualité.?Si Kim Joon explore les thématiques du désir et de la mémoire par le biais de la céramique et de la photo combinées, c’est en s’appropriant, dans une érudite plongée dans le temps, les motifs de la tradition extrême orientale, les ornements des grandes manufactures européenne de porcelaine, reprenant le concept du Pop Art, à travers les décors des grandes marques, symboles du capitalisme s’il en est. On doit y lire une réflexion sur les modes de représentations de l’individu libéré des carcans religieux dans la société post moderne. Les marquages corporels apparaissant à la fois « comme des signes de distinction et le prolongement du corps dans sa relation à autrui ».

Salle Eden, les Coréens réinterprètent la tradition

 ?La salle Eden est juste à côté, et si l’exposition qui a lieu cette année rend hommage aux artistes de Corée du Sud, après sélection de douze personnalités, c’est pour bien marquer la longue tradition de ce pays dans l’art du feu, son rôle précurseur dans le domaine des arts contemporains, à la suite d’une renaissance née de la redécouverte de techniques anciennes oubliées à la suite des invasions et des guerres que ce pays a subi.?Donc, oui, l’art coréen est profondément inscrit dans le mouvement des grandes évolutions mondiales. Abordant tous les enjeux relatifs au capitalisme, au matérialisme, à la société de consommation, à l’angoisse, à la conscience de l’environnement. Ces artistes de toutes générations – dont beaucoup de femmes - traitent ces questions cruciales, chacun avec une personnalité très marquée et une grande virtuosité technique.
Lors du tour de ronde de cette salle, qui permet des mises en scène plus ambitieuses qu’au musée Magnelli, on va tout droit vers cette invasion de rats de Maeng Wook Jae. En porcelaine blanche, presque jusqu’au plafond, ils paraîtraient assez mignons et inoffensifs si ce n’est leur nombre faramineux, et leurs grands yeux jaunes et brillants. Maeng Wook Jae accorde une si grande importance à l’animal qu’elle l’unit avec l’homme dans une même famille, comme en témoigne sa pièce intitulée « A large Family ». 

On retrouve cette humanité dans les cochons souriants décorés ou recouverts de fleurs de Lee Eun Yeoung. La pièce intitulée « Le Grand Héritage » est d’une fausse naïveté technique, et l’artiste, survenant où on ne l’attend guère, la confronte à d’autres œuvres soit plus précieuses, soit plus baroques, inspirées pour certaines des contes, ou à ces objets repris et détournés, et dont l’inspiration est puisée en partie dans la tradition de la porcelaine décorée de motifs colorés. 
Deux pièces énigmatiques intitulées « En Attendant Godot » n°18 et n° 9, de Bae Se Jin, témoignent d’un intérêt marqué à la littérature, et d’une patiente déclinaison sur le tricotage de la matière, mettant en valeur la souplesse de la porcelaine ou du grès. « New version » de Jung Hye-Sook, ce sont deux pots parfaitement ordinaires, si ce n’est qu’il sont réunis par quelque chose d’organique. 
Il n’y a rien d’homogène, c’est tout au contraire la diversité des expressions qui surprend dans la salle Eden. L’esprit souffle fortement, il faut s’y promener en méditant, accordant à chaque pièce l’attention qu’elle mérite, et cela demande du temps… 

Annick Chevalier

Départ du parcours, et billetterie musée Magnelli. Pace de la Libération. Ouvert tous les jours. Accès aux cinq expositions 5 euros, et 2,50 euros. gratuité premier dimanche du mois et pour les moins de 18 ans.
Renseignements : 04 93 64 71 83

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