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FEUILLETON : Et si l’Ecole de Nice nous était contée ? - CHAPITRE 2 : QUESTION DE L’ORIGINE - Par France Delville pour Art Côte d’Azur

Cinquante plus tard, pourquoi est-il si nécessaire de reprendre l’interrogation sur ce que pourrait être une « Ecole de Nice » ? C’est que la question de l’Origine est une source à laquelle il faut sans cesse revenir s’abreuver si l’on en croit un certain Hegel pour qui l’Histoire refait en permanence ses synthèses.

Couverture du catalogue de l’exposition Centre Pompidou 1977, Ben commissaire
(c) F.Delville

Là-dessus la proposition de Sosno est intéressante, selon laquelle « L’Ecole de Nice, ou les Ecoles de Nice, c’est évidemment un rêve, et chacun peut interpréter ce rêve, et a le droit d’interpréter ce rêve, et de le vivre… ».

Car il ne peut s’agir que d’interprétation, comme le précise Georges Duby, l’un des fondateurs de l’Histoire contemporaine. Tout commence par un premier témoignage : « un tel a dit ». Le premier événement pris dans son environnement, et asservi au récit, aura des conséquences, qui deviendront à leur tour des causes. C’est avant tout la question de « Qui parle ? ». Dans l’Histoire de l’Art les œuvres sont les premières à parler, encore faut-il que quelqu’un les entende. Alors parleront des critiques d’art, journalistes, historiens, poètes, parce qu’ils auront été touchés par une œuvre, un geste, une rupture dans l’Histoire. Mais les artistes parlent aussi, et dans l’après-coup on les entend encore mieux. Il y a donc intérêt à les interroger. Aujourd’hui on pourra voir et entendre Marcel Alocco dans la vidéo qui fait suite à ce texte (« CF EN FIN D’ARTICLE ») et Albert Chubac (voir le clip) filmés en 1997, tous deux éclairant leurs motivations.

L’Ecole de Nice n’échappe au fait d’être une suite de « conséquences » sans fin d’un bing-bang initial.

Et la succession des événements liés à ce mouvement révolutionnaire en gestation dès la fin des années 50 ne peut être analysée que sur le mode de « un tel a dit, un tel a fait, un tel a dit qu’un tel avait fait », croisé avec le mode géographique (l’environnement), comme, encore une fois, le pointa Arman, particulièrement traversé par la culture de son temps. La question géographique renseigne-t-elle sur ce qui a animé les problématiques de chacun des créateurs de ladite Ecole ?

La couverture du catalogue de l’exposition « à propos de Nice » du Centre Pompidou en 1977, dont Ben fut le commissaire, n’est rien d’autre qu’une carte des Alpes-Maritimes sur laquelle sont indiqués les lieux de vie d’une trentaine d’acteurs de l’Ecole de Nice.

Dans le catalogue de l’exposition Pompidou 1977, la page des « bistrots où ça se passe » (c) F.Delville

. Une page y est même consacrée aux « bistrots où ça se passe » : le Provence, le Ballon d’Alsace, l’Eden-Bar, le Félix-Faure, le café de Turin, le Pastrouil...

En sachant qu’à la suite d’Arman né à Nice en 1928, et Yves Klein né à Nice en 1928, Marcel Alocco est né à Nice en 1937, Ben à Naples en 1935 mais est venu vivre à Nice en 1949, que César est né à Marseille en 1921 mais a participé à l’exposition « Ecole de Nice ? » en 1967 à la Galerie Alexandre de la Salle, Vence, qu’en 1968 il a fait une expansion publique à la Fondation Maeght, et qu’en 1972 il a exposé à la Galerie des Ponchettes (« César à Nice »), Jacques Médecin lui a écrit, dans la préface du catalogue : … c’est à l’artiste génial, à l’anticonformiste et à l’un des plus grands sculpteurs de notre temps que je m’adresse, au nom de la ville de Nice toute entière, pour te dire que nous sommes heureux d’accueillir à la Galerie des Ponchettes quelques-unes des œuvres les plus remarquables et significatives de ta recherche de l’art ».

Catalogue recto/verso de l’exposition « César à Nice », 1972, Galerie des Ponchettes, Nice
Catalogue recto/verso de l’exposition « César à Nice », 1972, Galerie des Ponchettes, Nice

Dans ce catalogue, dédicacé à Alexandre de la Salle sur la quatrième de couverture, figurent ces deux « Expansions » (1969) de deux mètres vingt de longueur.

dans le catalogue de l’exposition « César à NICE », deux expansions de César (1969)
Albert Chubac installant de ses œuvres à la Galerie Alexandre de la Salle, Saint-Paul, fin des années 80 (c) F. Delville

Ensuite Albert Chubac, né à Genève en 1925, achète un cabanon à Aspremont en 1951 et participe à « Ecole de Nice ? » en 1967 à la Galerie Alexandre de la Salle, Vence, qui lui organisera un très grand nombre d’expositions personnelles. Noël Dolla est né à Nice en 1945, Robert Erébo est né à Nice en 1945, Jean-Claude Farhi est né à Paris en 1940, après un passage par la Colombie, c’est l’arrivée à Nice en 1957. Claude Gilli est né à Nice en 1938, Robert Malaval est né à Nice en 1937, Bernar Venet est né à Saint-Auban en 1941 mais en 1958 est inscrit à la Villa Thiole, André Verdet est né à Nice en 1913, Louis Chacallis est né à Alger en 1943 mais dès 1969 expose à la Galerie de la Salle Vence, Max Charvolen est né à Cannes mais en 1969 participe au Salon de Mai dans la « Salle des Niçois » avec Alocco, Ben, Chubac, Farhi, Gilli, Pagès, Saytour, Viallat. Serge Maccaferri est né à Troyes, mais en 1970 participe à « INterVENTION 70 » à la Galerie de la Salle, Vence, avec Alocco, Charvolen, Dolla, Miguel, Osti… Martin Miguel est né à Nice en 1947, Vivien Isnard est né à Forges-les-Eaux en 1946, mais vient vivre à Nice dès l’enfance, on le trouve en 1965 aux Arts Déco. Pierre Pinoncelli, né à Saint-Etienne en 1929, trouve à Nice en 1967 une « patrie artistique ».

Serge III (Oldenbourg), Photo Frédéric Altmann

Serge III, né à Meudon en 1927, vient vivre à Nice en 1950, en 1968 à Lyon il expose dans « Nouveaux aspects de l’Ecole de Nice ». Sosno est né à Marseille mais vient très tôt habiter le Régina avec Matisse comme voisin, et c’est à Nice, en 1960, qu’il co-crée « Sud-Communications », où il compose le fameux article « Tendances du Nouveau réalisme niçois », et, en 1972 expose chez Jean Ferrero. Max Cartier est né à Draguignan en 1935 mais, dès 1960 expose ses « Vieux fers » à la Galerie du Vinaigrier à Nice. Jean Mas est né à Nice en 1946, Bruno Mendonça à Saint-Omer en 1953 mais en 1977 c’est dans une grotte de Saint-Jeannet qu’il passe 76 heures pour une performance intitulée « Enterrement », Nivèse est née en 1944 en Croatie mais rallie, via la Belgique, les Alpes-Maritimes début 70, expose à « L’Art Marginal » dès 1974. Guy Rottier né à Rabat installe à Nice son « atelier de recherches et réalisations »,

Edmond Vernassa (c) Michel Coen

Edmond Vernassa est né à Nice en 1926, Bernard Taride né à Rabat en 1930 vit et travaille à Nice, Frédéric Altmann né à Lille en 1941 émigre à Cannes en 1945, puis à Nice intègre le mouvement Fluxus par la fréquentation de Ben et Lepage, et se prend de passion pour l’Ecole de Nice en assistant au vernissage de « Ecole de Nice ? » Galerie de la Salle, Vence… « A propos de Nice », dans la rubrique « Les Créateurs niçois » mentionne aussi George Brecht qui s’installe en 1966 à Villefranche-sur-mer (La Cédille qui sourit), et Louis Cane, Erik Dieman, Robert Filliou, Roland Flexner, Patrick Saytour, André Valensi, Claude Viallat…

Alors, quel lien entre tous ces gens ?

Des « Ecoles » il y en eut un certain nombre tout au cours de l’Histoire, mais qu’est-ce qu’une Ecole ? L’étymologie nous aide à ouvrir largement les portes de la notion, puisque schola (latin) et skolê (grec) signifient d’abord loisir, repos, désœuvrement, temps suffisant pour quelque chose, et même galerie (salle d’attente dans les bains) où l’on se rassemble pour converser, examiner. L’école est donc un exercice, basse école, haute école, ma vie est mon école, etc. et au lieu d’être une instance organisée, l’école est un groupe de personnes, une corporation, une compagnie, de gens qui veulent s’instruire. Et qui peuvent aller jusqu’à se réclamer d’un même maître. Sosno dit que c’est une école sans maître. Mais encore une fois, qu’est-ce qu’un maître ? C’est peut-être un mot ? Le 16 avril 1960, dans le texte qui fut toujours considéré par son auteur comme le premier manifeste du Nouveau Réalisme, Pierre Restany prononce un maître-mot, le mot « réel ». « Que nous propose-t-on par ailleurs ? La passionnante aventure du réel perçu en soi et non à travers le prisme de la transcription conceptuelle ou imaginative. »

De ce réel, avec tout son génie, Restany ne fut que le médiateur, ce mot traînait dans les esprits depuis longtemps. Et puis vint Dada, qui permit à Arthur Craven de lancer cette phrase insensée : « La peinture, c’est de marcher, courir, manger, faire l’amour ». Oui, vous avez bien entendu : « La PEINTURE, c’est de marcher, courir, etc. »

Plus de peinture mais un sujet agissant, et tous ses actes, pensées, dires, devenant ART. Les dadaïstes ont mis cela en pratique, et la logique s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui, surtout par l’intermédiaire éblouissant de Fluxus.
Dans le numéro d’Identités de septembre 1965 intitulé « Lettres et le néon » , Marcel Alocco annonçait la couleur de la subversion : « Les artistes de l’Ecole de Nice ont refusé de s’enfermer dans la prison multicolore de la seule peinture tout en repoussant la définition du volume sculpturel traditionnel (…) par quel inexplicable phénomène une telle cohésion dans le domaine des arts plastiques aurait-elle pu naître sans un courant de pensée qui n’ait eu aucun écho dans le domaine littéraire ? Depuis des années, le Centre de Recherches de Ben Vautier (sa boutique et son domicile-discothèque-musée d’art vivant) est un foyer de diffusion des idées et de création : là parviennent de tous les coins du monde et se distribuent les informations, textes, œuvres, des différents mouvements d’avant-garde ».

C’est donc de cette liberté qu’est parti Marcel Alocco, une liberté toute Fluxus, comme il l’explique dans la vidéo ci-jointe. Comme il se doit Marcel Alocco est cité dans les Archives Fluxus telles l’ouvrage de Charles Dreyfus « Happenings & Fluxus » (expositions Galerie 1900-2000, Galerie du Génie, Galerie de Poche, été 1989).

Dans « Happenings & Fluxus » de Charles Dreyfus, 1989

Voici son texte :
Aux George(s)
(s est la marque du pluriel)
J’ai inventé Fluxus.
Avant moi, il existait soit.
Mais quoi de commun entre l’impérialisme de Ben Vautier et la solitaire sagesse de George Brecht ? George Maciunas déclinait, après une liste déjà longue, dont j’étais – et qui n’était pas close toute une gamme des possibles depuis Flynt « Economies + Bluegrass » jusqu’à ceux qui n’eurent rien à faire avec Fluxus jamais, mais dont il délimitait me semble t il les contours, et d’une certaine façon, les nommant, les avalisait : ceux qui, eux aussi, ont inventé un Fluxus toujours neuf, taillant chacun dans son tissu caméléon un costume qui sied à leur teint particulier.
Fluxus fut la liberté de jouer l’ironie et les mots, de confronter la « Culture » à la jardinière comme dans une « Histoire quotidienne », à l’illusion érotique : cf « Bande objet n°8 ». Ce fut la liberté d’affirmer que jouer musique, peindre et écrire pouvaient se marier, et que la peinture pouvait affronter le terrorisme alors régnant de l’objet au nom du principe : « Pourquoi pas ? ». Ce fut aussi la liberté de se joindre à d’autres entreprises non-contradictoires, comme celle d’aller sonder le mécano du peintre en travaillant dans le tableau ses éléments constitutifs. D’oser garder ce regard « économique » qui s’attache aux « à cotés » de la pratique dans « La peinture déborde », et suivre jusqu’au fil détissé la plus petite particule signifiante du tableau...
J’invente encore aujourd’hui Fluxus.
Je revendique, ce jour, l’héritage du défunt mort aux environs de 1968, d’un refroidis¬sement : on l’avait découvert. Je revendique le droit de le ré inventer encore, comme je revendique celui de chacun d’avoir pu le faire depuis vingt ans Beuys, Vostell, Page etc. même s’ils n’avaient rien à faire avec Fluxus jamais.

- Marcel Alocco Nice 1989

Bande n°8 - 1966 - Dans « Happenings & Fluxus » de Charles Dreyfus, 1989
« Portrait de l’artiste » (1966) dans le catalogue de l’exposition « Ecole de Nice ? » Galerie de la Salle, Place Godeau, Vence (mars 1967)

« Bande objet n°8 » de 1966 fait écho à « Portrait de l’artiste » (1966) que Marcel exposa dans « Ecole de Nice ? » Galerie de la Salle, Vence, en mars 1967. Par la suite une investigation de la coupure, du débordement, de la limite, du reste va s’accomplir dans le cadre toujours mouvant de fragments cousus, un Patchwork toujours inachevé car porteur de bribes civilisationnelles à l’infini. Avida Ripolin écrira : « Alocco dévoile qu’on peut circuler entre les deux nappes de chaînes du tissu, l’une levée l’autre baissée, au moment où la navette fait circuler le fil de trame. Son trouble entre être et néant, son déchirement, il les retisse dans les débris de ce même tissu, renouant les filaments du souffle, les fibres de la palpitation. En s’attaquant au drap lui-même, aux lits des naissances, Marcel Alocco se mesure au cœur des choses, il y fait une brèche incommensurable ».
Les travaux de tous ces artistes parlent au Musée Rétif, Vence, dans l’exposition « 50 ans de l’Ecole de Nice » jusqu’au mois de décembre. On y voit des œuvres un point rebattues, paraît-il.

Dans l’exposition au Musée Rétif, tableau de Marcel Alocco (premier en commençant à gauche "Miroir" 1967)
(c) instant fort

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