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Jean-Christophe Maillot : 20 ans aux Ballets de Monte-Carlo !

Jean-Christophe Maillot est une nature généreuse qui préfère bâtir à plusieurs mains un espace narratif, se nourrissant de talents connexes au sien. Ses deux décennies de création à l‘unisson d’une même compagnie valaient bien une messe.

Portrait officiel de Jean-Christophe Maillot © Alice Blangero

Depuis qu’il a pris en 1993 la direction des Ballets de Monte-Carlo, ses scénographies ont vu le jour en parfaite intelligence avec des plasticiens, musiciens, écrivains. Parmi eux : Ernest Pignon Ernest, fidèle complice, le peintre Valerio Adami qui dessina ses rideaux de scène ou encore le plasticien Philippe Favier qui œuvra à son « Opus 50 ». Pour ce spectacle marquant ses 50 ans, le chorégraphe conviait également le compositeur Marc Monnet, directeur artistique du Printemps des Arts de Monaco. Pour dépoussiérer le « Lac des cygnes » le prix Goncourt Jean Rouaud. Cette appétence n’est pas une posture. Dés son enfance tourangelle, Jean-Christophe baigne dans ce brassage aux côtés d’un frère compositeur et d’un père peintre, professeur aux beaux-arts, qui créa plus de 250 décors et costumes de ballets et d’opéra. De l’enfance il a gardé intact le goût de l’enchantement : « Je crois aux contes de fées. J’en vis un, moi-même ». Son « chant chorégraphique » traversé de figures archétypales, est le théâtre expressif de la cruauté et de l’onirique. Retour sur 20 ans de songes et de sueur…

Quand vous êtes arrivé à la tête des Ballets de Monte-Carlo, pensiez-vous y rester aussi longtemps ?

Une telle aventure est impossible à prévoir. En revanche je me suis tout de suite rendu compte en arrivant à Monaco que les attentes liées à l’avenir de cette compagnie naissante étaient très ambitieuses. S.A.R. La Princesse de Hanovre a créé cette compagnie en fixant une ligne d’horizon qui va bien au-delà de la danse. Elle a, comme Diaghilev, une vision d’imprésario d’une acuité remarquable et elle comprend spontanément toutes les ramifications possibles qui peuvent s’étendre à partir d’une « situation artistique ». Les ballets de Monte-Carlo sont une locomotive avec de nombreux wagons qui laissent monter à bord les créateurs issus de toutes les disciplines et tendances possibles.

Qu’est-ce qui explique cette aussi longue fidélité ?

Il n’existe pas d’autres trains comme celui-là.

LAC, Jean-Christophe Maillot © Alice Blangero

Comment fait-on pour se renouveler et surprendre encore son public après tant d’années ?

Je ne suis pas obsédé par l’idée d’écrire un vocabulaire chorégraphique qui me soit propre. Les gens ne disent jamais : « Tiens ! Ça, c’est du Maillot ». J’ai toujours su que ce que j’avais à dire en tant que chorégraphe prendrait du temps et aurait plusieurs visages. Dans un même ballet vous pouvez avoir de la danse sur pointe ou contemporaine, de la performance, du théâtre, de la vidéo, du cirque. Je convoque sur scène beaucoup de choses. Il n’y a pas un label qui l’emporte sur le reste. N’ayant pas le souci d’être reconnu par un style, je n’ai du coup jamais ressenti le besoin d’en changer. Et c’est bien de là que naît l’obligation de se renouveler car tout finit par lasser, même le meilleur.

Vos collaborations pour les décors et costumes avec des partenaires comme les artistes plasticiens vous ont-elles aidé dans ce sens ?

Oui car à partir du moment où vous ne fermez la porte à aucune forme d’expression artistique, vous avez forcément beaucoup d’artistes à vos côtés.

Quelle est la particularité du public monégasque ?

C’est un public exigeant, on le sait. Les artistes invités à Monaco savent que les standing ovations se méritent. La raison en est simple. C’est un public cultivé, qui a déjà vu beaucoup de spectacles. C’est un avantage car on peut lui proposer des choses complexes et diversifiées. Les artistes ne sont pas soumis à l’obligation de divertir à tout prix. On peut programmer des choses déroutantes, voire donner leur chance à des créateurs assez sulfureux.

Casse-Noisette Compagnie - Scénographie signée Alain Lagarde © Alice Blangero

Si c’était à refaire, y a-t-il certaines choses que vous auriez faites différemment. Avez-vous des regrets en termes de créations ?

Je n’ai pas de regrets. Je ne prétends pas évidemment être satisfait de tout ce que j’ai fait mais je suis convaincu que les choses attendent toujours le bon moment pour se réaliser. Cela peut prendre beaucoup de temps. Par exemple, j’ai attendu plus de 10 ans pour faire LAC. Cela a pris 20 ans pour que les Ballets de Monte-Carlo soient une compagnie, un festival et une école. Les regrets naissent souvent de l’impatience.

Votre plus beau souvenir au sein de ce corps de Ballet ?

Les Ballets de Monte-Carlo, c’est un processus créatif en cours qu’on peut difficilement feuilleter comme un album de famille… ou alors c’est qu’on n’est plus trop en phase avec le processus. Il y a quand même quelque chose qui ressort de toute cette période mais ça n’est pas un souvenir, c’est un sentiment général : c’est l’aspect profondément humain de cette aventure. Je pense en tout premier lieu à la Princesse Caroline qui m’a fait l’honneur de m’accorder sa confiance. Et puis, il y a les artistes et tous ceux qui travaillent à mes côtés. Sans eux, mes chorégraphies seraient comme des sculptures couvertes d’un drap blanc. Enfin, il y a le public car c’est lui, par son enthousiasme et son soutien, qui contribue à écrire cette belle histoire.

LAC, Ballet de Jean-Christophe Maillot © Alice Blangero

Pouvez-vous nous parler de vos choix pour célébrer cet anniversaire ?

Cela me permet d’illustrer ce que je viens de dire. Je ne voulais surtout pas que cet anniversaire soit un livre de souvenirs ouvert devant la cheminée avec le thé et les gâteaux. Du coup, j’ai décidé de fêter ces 20 ans avec une nouvelle création : Casse-Noisette Compagnie. C’est un spectacle grand format nourri par les rôles et les chorégraphies que j’ai créés, les gens que j’ai croisés et l’ensemble des aventures artistiques auxquelles j’ai participé... Tous les personnages de ce ballet festif et généreux sont sortis de ma malle à souvenirs et crient UN IMMENSE MERCI à ceux qui ont rendu tout cela possible.

Comment voyez-vous votre avenir, quels sont vos projets ?

Au-delà d’un an, je ne sais pas répondre à cette question. Un processus de création, ça n’est pas linéaire, c’est courbe, c’est comme une roue qui tourne. Ca entraîne le hasard avec soi et ça rend difficile les prévisions… et c’est très bien comme ça.

Photo de Une : LAC, Ballet de Jean-Christophe Maillot © Alice Blangero

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