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Fin de cet événement Janvier 2017 - Date du 11 janvier 2017 au 29 janvier 2017

Harmonium, de Kôji Fukada

Une bonne résolution pour 2017 facile à tenir et qui nous enrichit de mille savoirs et émotions : aller plus souvent au cinéma ! Le film de Kôji Fukada, en salle dès le 11 janvier, est une bonne occasion de filer en salle obscure en ce début d’année nouvelle !

Après dix ans en prison, un visiteur hiératique (Tadamobu Asano) arrive de façon inattendue dans une tranquille famille de banlieue japonaise.

Dès sa venue, il est aussitôt engagé dans l’entreprise artisanale du père qui lui offre aussi logis et couvert. L’étonnement de son épouse est rejeté d’un revers de main et l’intrus saura rapidement séduire chacun : la femme parce qu’il est attentif et beau et leur fillette en lui donnant des leçons d’harmonium.

Mais, en fait, il va perturber la vie routinière de toute la famille et provoquer des bouleversements vis-à-vis de chacun d’eux jusqu’à ce que surgisse un drame émotionnel imprévisible.

Peu à peu le spectateur comprend ce qui a facilité cette intrusion et découvre des secrets bien enfouis dans le passé du père qui a accueilli cet ancien taulard sans hésitation ni limites. Ce qui lie les deux hommes transparaît et les rancoeurs, longtemps étouffées, se manifestent en éclaboussant chaque personnage dès le milieu du film. Construit comme un thriller psychologique tendance sado-masochiste, le film repose sur un trio qui se révèle de plus en plus vénéneux, au fil d’un crescendo orchestré avec précision, quoique parfois le trait soit forcé.

Des désordres souterrains se manifestent insidieusement dans cette famille stéréotypée et soi-disant « idéale ». Mais, fonctionnait-elle si bien qu’elle en donnait l’apparence ? Les liens se fissurent remettant en question les valeurs familiales. Ce qui intéresse Kôji Fukada c’est ce qui pousse l’individu à fonder une famille, qui ne serait, en fait, qu’une illusion pour masquer la solitude fondamentale de l’être humain. Aussi s’interroge-t-il sur la solidité du fondement de l’existence de la famille, surtout aujourd’hui. Subsistant depuis toujours dans toutes les sociétés, ce lien – à la fois protecteur et étouffant – pourrait-il évoluer dans la société actuelle ?

Discrète et habile, la mise en scène de Kôji Fukada (découvert dans « Au revoir l’été ») est parfaite pour présenter l’image d’une famille idéale selon un modèle stéréotypé : une famille qui ne se pose pas de question sur son organisation de vie ni ses sentiments.

Tout roule sur des habitudes bien ritualisées jusqu’à l’arrivée de l’intrus qui peu à peu s’exerce à troubler la femme, alors qu’il est avant tout dominé par une colère froide et un désir de vengeance.

Grand admirateur du cinéma de Rohmer auquel il se réfère tout en réalisant des films totalement différents, Kôji Fukada prend modèle sur lui pour laisser ses acteurs développer leur propre jeu et fabriquer leur espace. Mais il choisit des personnages inquiétants sinon abjects. Derrière les apparences se dissimulent des sentiments ambigus, chargés de secrets et de rancoeurs. Parmi les comédiens, tous excellents, se distingue l’acteur magnétique Tadanobu Asano, à la fois présence réelle et fantôme du passé - comme son personnage dans « Vers l’autre rive » de Kiyoshi Kurosawa. Kôji Fukada a été l’élève de celui-ci, aussi l’influence de son cinéma transparaît-elle dans ce film.

« Harmonium » a obtenu le Prix du Jury dans la section « Un Certain Regard » au dernier Festival de Cannes. C’était bien mérité !

Caroline Boudet-Lefort

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