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SORRY WE MISSED YOU de Ken LOACH

À Newcastle, Ricky et sa famille se battent contre la précarité depuis quelques années. Pourtant, ni Ricky ni son épouse Abby n’ont cessé de travailler. Alors qu’il est temporairement sans emploi, Ricky voit dans l’opportunité de devenir chauffeur-livreur à son compte, avec son propre camion, une formidable occasion de s’en sortir. Abby, aide-soignante à domicile, l’aide à réaliser son projet en vendant sa propre voiture. Mais Ricky doit rendre des comptes à la société de transport qui lui assigne ses courses et contrôle son travail, et finalement sa vie et celle des siens. Commence alors pour toute la famille la spirale infernale des pièges de l’uberisation…

Deux Césars, deux Palmes d’Or à Cannes, Ken Loach est le recordman des sélections au Festival, il cumule 19 films sélectionnés dont 14 sont entrés en compétition.
Inutile de définir le style de Ken Loach, tant il est connu et reconnu à Cannes pour ces œuvres consacrées à la défense des classes les plus défavorisées.
Ken Loach c’est le réalisateur de l’authenticité, il a cette capacité si particulière de dépeindre la vie simplement dans toute sa normalité, sans artifice et avec une réalité criante mise en avant par un jeu d’acteur très juste.
SORRY WE MISSED YOU ne déroge donc pas à la règle, c’est du pur Ken Loach.

Le réalisateur à l’aube de ses 82 printemps était donc attendu sur cette sélection, et il est de toute évidence en pleine forme dans son combat.
SORRY WE MISSED YOU traite du monde fou de l’ubérisation, graal du profit synthétiquement géré par des machines qui délivrent des emplois du temps rigoureux et particulièrement antisociaux. L’ensemble ne profitant qu’à quelques groupes industriels toujours plus avides de marges et de bénéfice, au détriment du travail draconien des petites gens, ouvriers de leur propre claustration.

Ricky et Abby sa femme, sont criblés de dettes, ils ont vécu la crise immobilière et ne peuvent plus qu’être locataire de leur logement. Ricky veut en finir de cette vie, il veut pouvoir offrir à sa famille un avenir meilleur.

Ricky est un père qui a déjà été usé par plusieurs boulots notamment dans le bâtiment, il a tout fait, de maçon à plombier.
Il a l’opportunité d’être chauffeur livreur à son compte, dans un esprit d’être enfin libre et de devenir son propre patron. Chez PDF son "employeur", il ne touchera pas de salaires mais des honoraires, il ne sera plus salarié mais partenaire, il n’aura plus de patron il gèrera ses heures, bref il pourra vraiment gagner sa vie et mettre enfin de l’argent de côté.
Mais il faudra pour cela sacrifier à la vente la voiture d’Abby afin de pouvoir se payer le camion de livraison.
Bon ça c’est sur le papier, en réalité ce job ne lui offre jamais de répit, il est commandé par une douchette à code barre qui lui indique à chaque instant ce qu’il doit livrer, il s’expose à des heures et des cadences qui n’ont plus rien à envier aux temps modernes, à cela s’ajoute que son supérieur Maloney est un être froid et pragmatique qui est animé par le seul terme de rentabilité, l’humanité n’a pas sa place dans son monde.

Quant à Aby c’est une mère aimante, elle est aide-soignante, sa largesse de cœur n’a d’égal que la compassion qu’elle éprouve envers ses fidèles "clients", ces personnes âgées qu’elle traite comme si c’était sa propre ascendance, toujours dans une passion de bien faire et d’aider.

Son agenda journalier est plus que chargé, de 7h30 à 21 H, elle trime, elle a tout de même le temps de penser à appeler chaque jour ses enfants afin de programmer devoir, toilettes, et déjeuners.
Une sainte cette femme.

Les deux enfants dégustent donc avec des parents aussi pris, l’absence est difficile, le terrain des relations familiales s’en trouve forcément meurtri, et petit à petit toute la famille descend dans l’enfer des bourdes d’un fils en pleine crise d’adolescence, et d’une fille en manque cruciale de présence.

C’est un beau film, dur, et poignant comme c’est le faire Ken Loach. Ce film dépeint l’injustice d’un monde obnubilé par le profit, qui a oublié le simple sens de prendre le temps d’échanger, de se connaitre, de s’aider et de s’aimer.

Cette terrible image du SORRY WE MISSED YOU, (« désolé de vous avoir manqué ») le mot qui est laissé par notre chauffeur livreur lorsqu’il ne trouve pas son client, résonne tout à coup fortement dans notre âme et notre cœur, lorsqu’on le rapproche du manque d’amour familial et de toute la destruction que cela implique pour une génération sacrifiée sur l’autel du profit.

Merci Monsieur Loach de toujours nous ouvrir les yeux sur notre société ...

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