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EVERYBODY KNOWS d’Asghar Farhadi

La Croisette a changé de look ! Le Festival de Cannes a débuté dans son ambiance habituelle de foule de ceux qui courent avec leur badge autour du cou et de badauds curieux, d’affiches, de tapis rouge, de portiques de contrôles. Et les mêmes visages reconnus d’année en année. Même le soleil est de la partie !

Les journalistes sont fortement déconcertés par la nouvelle grille qui leur est attribuée pour assister aux projections et qui bouscule leurs habitudes en les obligeant à une nouvelle organisation de leur emploi du temps.

Thierry Frémaux, délégué général du Festival, a d’ailleurs organisé en catastrophe une conférence de presse pour rassurer les journalistes en parlant d’évolution de l’information à l’heure des médias. Ainsi, pas de projection de presse dans la journée du film d’ouverture, mais uniquement le soir simultanément à la soirée de gala dans l’Auditorium Lumière. Edouard Baer a été un maître de cérémonie à la fois sobre et drôle. Le 71e Festival de Cannes a été déclaré ouvert par Cate Blanchett, Présidente du jury, et Martin Scorcese venu pour recevoir le Carrosse d’Or remis par la Quinzaine des Réalisateurs.

« Everybody knows » (« Tous le savent ») ouvre le bal - ou plutôt la compétition ! Le film est réalisé par le cinéaste iranien Asghar Farhadi qui a déjà signé quelques chefs d’oeuvre : « Une séparation », « A propos d’Elly », « Le Client », et « Le Passé » tourné en France.

« Everybody knows » se déroule en Espagne où Laura, incarnée par Penelope Cruz, revient d’Argentine avec ses enfants, à l’occasion du mariage de sa soeur cadette. Elle retrouve son village natal avec le vignoble familial de son enfance et ses anciens amis, parmi lesquels Paco (Javier Bardem), son amour de jeunesse qui fut réprimé à l’époque, ce qui provoque d’intenses scènes d’aveux.
Le mariage est un moment de réjouissances partagé par tous avec bisous tous azimuts. Tout le monde plaisante avec bienveillance. Mais la fête est soudain gâchée, interrompue suite à un événement inattendu qui va entraîner la révélation d’un lourd secret provoquant des affrontements familiaux. Après les scènes de groupe pagailleuses de retrouvailles où chacun est défini socialement, le changement de ton est brutal avec l’apparition des rancunes et les secrets de famille. Mais, sont-ils vraiment secrets puisque « tous le savent » ? Le spectateur aussi les devine, mais pourquoi pas ? Ce n’est pas un film à suspense.
C’est par petites touches, par petites phrases que le spectateur découvre ces non-dits familiaux qui vont monter les uns contre les autres jusqu’à une véritable implosion où l’harmonie apparente se lézarde. L’enchevêtrement qui lie les uns aux autres, mais les oppose aussi en les menant vers le conflit jusqu’à se déchirer dans des affrontements verbaux. Face au drame, chacun soupçonne l’autre.

Des couples se sont défaits ou se sont reconstruit, mais est-ce vraiment définitif ? Tandis que générations et classes sociales se mêlent, cette réunion familiale nous fait penser à « Un mariage », film choral de Robert Altman, par sa lecture cruelle des manques et des hypocrisies de chacun.
Quelle que soit la multiplicité des indices, Asghar Farhadi ne cherche pas l’effet à sensation. Pour lui, les rapports familiaux sont les mêmes partout. Selon son habitude, il s’attache à un radical sens de l’ellipse et à la fluidité du mouvement.

Le film est interprété en espagnol par d’immenses comédiens qui se sont totalement approprié leurs personnages.

A Penelope Cruz et Javier Bardem, il faut ajouter Ricardo Darin et Barbara Lennie, dans les rôles des conjoints. Ils sont tous exceptionnels, grâce à la précision de la direction d’acteurs du réalisateur qui offre un excellent film en tenant le spectateur en haleine.
Caroline Boudet-Lefort

Photo de Une : Copyright Memento Films Distribution

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