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PORTRAIT : Roland Botrel « Passeur d’œuvres »

Pour chaque pièce il a une anecdote qui le lie à son auteur. La voix portée par la passion n’est pas pour autant dénuée de douceur, de mesure et d’empathie. Plus qu’un collectionneur Roland Botrel est un passeur d’œuvres.

Roland Botrel
© Jch Dusanter

Combien de fois l’a-t-il répété de peur que l’on se méprenne sur son statut de collectionneur : « Même si je les ai achetées, ces œuvres ne m’appartiennent pas. J’ai toujours aimé rencontrer les artistes. Je n’ai pas l’esprit d’un possédant, plutôt celui d’un accompagnateur. C’est ainsi que je conçois cette collection, non pas comme un trésor de guerre, mais comme une histoire en marche, dont je serais l’un des rouages. D’ailleurs ces pièces sont toujours à la disposition de leur géniteur et rien ne me fait plus plaisir que des les prêter pour une exposition. C’est un peu égoïste car cela me permet à chaque fois de les redécouvrir. »

La collection comprend deux Mao de Yan Pei Ming, dont un rouge qui baigne dans la lumière de l’appartement sous les toits et qui semble s’amuser de la contrepèterie visuelle des sculptures d’Erik Dietman.
© Jch Dusanter



Rebeyrolle, le ver est dans le fruit…
Entre deux prêts, les œuvres de la collection Roland Botrel se reposent dans trois appartements. Deux, dans le vieux Nice, un autre à Monaco. C’est à trois que cette collection s’est constituée sur une vingtaine d’années. « J’ai commencé à acheter des œuvres avec Gaétane, mon épouse quand que nous avions fini de payer notre appartement. Il y a 5 ans Laurence une amie qui était une de nos clientes et que nous avons converti à l’art contemporain nous a rejoint. Nous ne sommes pas rentiers, alors nous partageons nos achats. Si j’en parle c’est pour dire aux jeunes collectionneurs qu’ils peuvent acheter une œuvre à petit prix en payant en plusieurs fois », explique celui qui fit de même. Issu d’un milieu modeste, Roland exerça la profession d’étalagiste. Une petite entreprise qui permet au couple de vivre entre Nice et Paris tout en visitant les galeries, les musées et les ateliers d’artistes. C’est comme cela que le ver est entré dans le fruit. « Après avoir acquis ma première œuvre, un dessin de Velikovic, nous avons rencontré Rebeyrolle. J’avais vu un entrefilet dans un journal qui annonçait l’ouverture de sa galerie. J’appelle, c’est lui qui me répond : Etes-vous galeriste, journaliste, artiste ? Je lui dis non, rien de tout ça ! Comment me situez-vous dans l’histoire de l’art ? Je n’avais vu qu’une ou deux de ses toiles. Je lui dis timidement : vous avez dû regarder Dubuffet, Courbet… Bon vous pouvez venir ! On a appris plus tard que Sartre et Foucault avaient écrit sur lui. Si je l’avais su je n’aurais pas eu le courage d’aller le voir comme ça. On est devenus amis. On l’a emmené à Vérone chez son fondeur, passer des vacances chez lui. Rebeyrolle nous a quitté en 2005, mais nous étions si liés que Gaétane est toujours secrétaire de l’association qui gère l’espace Rebeyrolle »

Erik Dietman. « Scie Coréenne » 1991. Bronze, fer.
© Jch Dusanter



Un cabinet de curiosités contemporain
Une brèche est ouverte en 1987 dans laquelle Roland va s’engouffrer en s’intéressant d’abord à la figuration narrative dont une partie des toiles occupe le trois pièces situé dans le même immeuble où il vit. « Je loue cet appartement à condition que les occupants ne repeignent pas les tableaux ». Un Mao de Yan Pei Ming vous y accueille, puis s’enchaînent des toiles d’Arroyo, Rancillac, Erro, Monory et Adami. Heureusement que le loyer n’est pas indexé sur le prix des œuvres exposées. Dans son appartement un étage au-dessus, là aussi les murs sont doués de parole. Une soixantaine de pièces s’interpellent sur 120 m² sans que l’on ne croule sous le poids de l’art. Les œuvres forment une bande de convives affables, un cabinet de curiosités à la langue bien pendue « On réfléchit sur la cohabitation des œuvres. Car les artistes qui me touchent ne se ressemblent pas, ils ont une vision humaniste soit plus formelle ou qui relève de l’esthétique duchampienne. Nous avons commencé à nous intéresser aux talents qui travaillent ici, il y a cinq ans, quand Laurence nous a rejoints » Et de nous montrer ici une coulure de Cédric Teisseire, là un monochrome au scotch transparent de Marc Chevalier, "un peintre post support-surface qui travaille sans peinture ni toile" et en s’arrêtant devant une œuvre de Pascal Pinaud à base de peinture automobile. Trois artistes qui occupèrent largement le terrain de l’ACCA (L’Art Contemporain et la Côte d’Azur, un lieu pour l’expérimentation, 1951-2011, ndlr), du MAMAC au musée Chagall via l’Espace de l’art concret où Roland fut invité en tant que collectionneur. Que des bonnes pioches ! Mais, encore une fois, Roland Botrel se défend de sacrifier à la mode ou à la cote. D’ailleurs pas question pour lui de revendre une de ses pièces. Quand Yan Pei-Ming a fait la bascule il fut un des rares à ne pas céder au diktat du marché. Pour lui une collection ne se fait pas plus à la calculette qu’au coup de cœur « Certains artistes peuvent être pertinents sur une période courte. Ce qui m’importe c’est que l’œuvre soit à un moment donné en phase avec la société, qu’elle permette de voir comment le créateur se positionne, réagit. Cette phase créative aussi courte soit-elle, perdure, continue à faire sens au-delà du temps ».

Dans ce cabinet de curiosité, les œuvres contemporaines, ici celles de Teisseire et de Chevalier côtoient parfois des pièces du XVème siècle. Deux périodes charnières porteuses de renouveau pour le collectionneur.
© Jch Dusanter


Ainsi ce féru d’histoire a-t-il bâti, pièce après pièce, son propre récit dans la grande histoire l’art, naturellement porté vers les artistes engagés comme Rebeyrolle, Buraglio, Dolla ou le groupe BP qui changea l’or noir en menaçante fontaine monochrome. Des artistes qui posent un regard aiguisé sur la société comme sur la comédie humaine à l’image du Niçois Thierry Lagalla, du Belge Pascal Bernier signant une boîte de sardines surmontée d’une petite croix (funeral fish) ou des soldat de plombs fondus dans une poêle (le combat du chef). Quant à Erik Dietmann, ce fut aussi une amitié prolongée par l’acquisition de plusieurs œuvres dont « la scie coréenne » prêtée à la Fondation Maeght pour une rétrospective sur ce sculpteur « qui traversa le dadaïsme, le surréalisme et Fluxus et partagea à Nice un atelier avec Venet. »

« Rebeyrolle a choisit la version mythologique où Amalthée est cette chèvre qui allaita secrètement Zeus » explique Roland Botrel. Amalthée rouge 1997 - Le monétarisme
© Jch Dusanter


La liste des quelques 150 pièces que compte cette collection serait longue, d’autant que Roland est intarissable. Ceux qui pourront se rendre du 10 au 23 juin au château de Chambord y découvriront une grande toile emblématique de Rebeyrolle prêtées par le trio niçois. L’an prochain à Saint-Restitut (près de Montélimar) c’est une grosse partie de cette collection atypique et cosmopolite, souvent sollicitée - une quinzaine de pièces voyagent chaque année- qui sera dévoilée. A quand une exposition à Nice ? Il n’est pas interdit de rêver à voix haute !

Pascal Bernier. Série « Butterfly – Papillon » 1996-1998. Insectes naturalisés, cocardes, acrylique.
© Jch Dusanter

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