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ARDOISE LITTERAIRE : Le Guide Michelin ou Le Guide Rouge - Par Jean-Jacques Ninon pour Art Côte d’Azur

Le Guide Michelin ou Le Guide Rouge, André et Edouard Michelin, 1900

Les Français, qui ont plein d’idées, ne peuvent qu’être des précurseurs. Bien avant le Petit Livre Rouge (1966) du Grand Timonier (et de Lin Piao), deux manufacturiers de pneumatiques, André et Edouard Michelin, éditent, en 1900 – à l’occasion de l’Exposition Universelle – un guide portant tout simplement leur nom. Sa couverture rouge est illustrée du Bibendum, anthropoïde caoutchouteux, devenu depuis 1898, le symbole du « pneu qui boit l’obstacle », œuvre du dessinateur O’Galop, le bien nommé.

L’hexagone ne compte alors que 2 400 automobilistes qui, s’ils achètent des pneus fabriqués par l’usine clermontoise, se voient offrir un opuscule publicitaire, aussi minuscule que son rival chinois encore dans les limbes. Le français, lui aussi, renferme des enseignements et renseignements inestimables, mais d’un autre ordre : schémas et descriptifs de villes, garages où réparer sa machine, cabinets médicaux où réparer son conducteur, réclames d’auberges et de logis où réparer ses forces.

Cependant la publicité et la gratuité ne peuvent être objectives. Aussi, la première est-elle retirée en 1908 et la deuxième remplacée par la vente en 1920. Les clients et les premiers inspecteurs à peu près anonymes sélectionnent restaurants et hôtels. En 1926, les étoiles – et non des « macarons » – sont décernées. A partir de 1931, les plus savoureux établissements peuvent en collectionner jusqu’à trois.

Conjointement, l’annuaire s’épaissit, frisant l’embonpoint de son emblème anthropomorphe. Pendant que le caractère pratique du recueil s’affine en pilotant le lecteur dans les cités grâce à des plans sommaires, mais efficaces.
Si bien qu’il servira involontairement à diriger les troupes nazies dans les cités envahies, en 1939, et les armées alliées à leur reconquête, en 1944.

Tiré à plus de 30 millions d’exemplaires depuis sa naissance – 500 000 annuellement –, il aspire à la même universalité que son frère de couleur, en se diversifiant désormais en douze éditions. Toutes européennes jusqu’en 2008, où apparaît celle consacrée à un pays asiatique. Non la Chine, mais le Japon. Sacrilège, car le Guide Rouge, qui visait à mondialiser la cuisine française, adoube onze restaurants trois étoiles à Tokyo pour dix à Paris. Paradoxe pour notre gastronomie qui vient d’être sacralisée par l’Unesco au patrimoine de l’humanité. Dorénavant, la cuisine est élevée à l’aune des réalisations architecturales ou autres qui ont forgé l’Histoire. Normal pour une passion transgénérationnelle et médiatique, accrochée à la réalité face à la virtualité de la Toile. Mais diaphane pour un référent social dépourvu de valeurs morales, philosophiques, humanistes ou idéologiques, pour des tables qui ne peuvent être communes. Signe du vide sidéral d’une époque qui aime les panses bien remplies côtoyant les ventres gonflés par la famine. Là s’arrête le parallèle avec Mao. Bien qu’un premier restaurant chinois eût été décoré de trois étoiles, qui, de surcroît, ne sont pas rouges.

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J-J Ninon expose en permanence à la Galerie Ferrero à Nice

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