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Guerre et culture I

Alain Amiel, membre de l’équipe de rédaction d’Art Côte d’Azur, rentre d’Israël : un voyage qu’il avait prévu de faire de longue date et qu’il n’imaginait pas devoir vivre dans de telles conditions de guerre et de désolation. Il nous propose de partager avec lui les "Chroniques de guerre et de culture" qu’il a rédigées chaque jour de là-bas.

Chroniques de guerre et de culture

Avec ma compagne, après bien des années d’hésitations à cause des guerres, des intifadas, des troubles, etc., nous avons décidé d’aller enfin visiter Israël cet été. La période semblait calme. Des négociations de paix étaient vaguement en cours et toutes les infos et nos lectures nous laissaient penser que c’était enfin le bon moment.

Un voyage qui s’annonçait paisible et enrichissant, sauf que deux jours avant notre départ, les choses s’étaient accélérées et nous y allions un peu à reculons - et pour cause, dans un pays en guerre.

Personne n’avait prévu qu’en cette année 2014, il y allait avoir une crise violente due à l’enlèvement et l’exécution de trois adolescents près de Jérusalem.
Représailles - contre représailles, bombardements, terroristes et roquettes qui pleuvent de la bande de Gaza sur le sud d’Israël... quelques jours avant notre départ ! J’ai attendu, espérant que ça allait se calmer. Les billets étaient pris depuis de semaines, pas de remboursement possible à la veille du départ... On se concerte, j’interroge des amis, mon frère, certains me conseillent de ne pas y aller, d’autres me disent que ça ne va pas durer, le site des affaires étrangères français dit qu’il n’y a pas de raisons d’annuler son départ, mais précise les zones à éviter (comme si on avait envisagé de se balader à Gaza)... Chaque jour qui passe nous inquiète un peu plus. Roquettes sur Jérusalem, sur Tel Aviv - ce qui ne s’était jamais produit, tirs à partir du Nord, etc.

On attend jusqu’au dernier moment, espérant le calme, l’annonce d’un cessez le feu, mais ça ne s’arrange pas. La veille du départ, on se décide à y aller quand même. Il sera toujours temps, si ça craint, de prendre un avion pour la Grèce. On se prépare, on se lève tôt, l’avion est à 10 h. Bus pour l’aéroport.

Mince, le vol est retardé de trois heures. On se rend à l’enregistrement tout au bout de l’aéroport. Il y a des militaires en armes, mitraillette à la main, plein d’agents de sécurité qui nous posent des questions, un vrai interrogatoire : "depuis quand êtes-vous ensemble ? avez vous bien surveillé vos bagages, vous a-t-on donné quelque chose à emporter ? etc. Ça finit quand même par un "Bon voyage".

On passe les contrôles - classiques ceux-là, de l’aéroport et on attend. En regardant les articles du Monde sur l’iPhone, On apprend que des roquettes ont été aussi lancées sur l’aéroport de Tel Aviv ! Le voyage s’apprête à être rock´n’roll !
Bon, nous voilà dans l’avion entouré surtout d’israéliens préoccupés et de quelques français qui ont comme nous, décidé d’y aller malgré les troubles (une bar-mitsva pour une jeune femme avec qui on a discuté).

L’avion est complet, mais paradoxalement, l’atmosphère est détendue, bon enfant. Du coup, mes tensions s’évaporent. Je reviens au voyage en feuilletant mon guide du routard.

Tel Aviv

Arrivée à l’aéroport, tout semble tranquille.

Taxi pour Jaffa Court Appartments, notre lieu de résidence à Tel Aviv, un peu éloigné du centre, pas facile à trouver, mais bien. Arrivé à la réception, on entend des sirènes. Je ne fais pas attention, mais une jeune française semble effrayée. Une fille sympa nous accueille, elle nous donne une feuille avec les consignes de sécurité et nous indique l’abri, mais personne ne semble s’y rendre. On rejoint notre appartement quand la sirène tonne à nouveau. Par la fenêtre, on voit bien une lueur dans le ciel, mais bon... On sort pour un dîner sympathique dans un restaurant pas loin car il est tard et on est moyennement confiants. Le restaurant est roumain avec chanteuse et clavier électronique.

Tel Aviv Promenade © Alain Amiel

Tel Aviv a une belle promenade à l’américaine au bord de la mer avec coureurs à pied et vélos, superbes plages de sable avec surfeurs face aux buildings. On longe la plage puis on bifurque vers le centre et la rue Dizengoff pour nous rendre au fameux quartier Bahaus.

Immeuble Bahaus © Alain Amiel
Immeuble Bahaus, detail © Alain Amiel

Dans les années 30, en réaction à l’art nouveau et ses fioritures, est né ce mouvement qui prône les constructions en béton aux lignes épurées et l’intégration de tous les arts à l’architecture. Il se développe rapidement, convaincant les jeunes architectes, mais Hitler arrive au pouvoir et les interdit. Certains d’origine juive comme Neufeld et Rubin partent pour Israël où ils font école. Près de 4000 constructions dans le centre de Tel Aviv qui justement est en plein essor. De nouveaux quartiers naissent au nord de Jaffa, la ville dont l’origine se perd dans la nuit des temps (premier port d’Israël, lieu d’arrivée historique des alya (retour des juifs en terre sainte), des croisés, etc.

Autour du square Dizengoff et de la fontaine musicale d’Agam (un des grands artistes israéliens) on admire les jolis petits immeubles blancs de trois étages très simples aux lignes design, très beaux. L’un d’entre eux abrite l’hôtel du cinéma qui m’a beaucoup plu. Lors de ma prochaine visite, on s’installera là.

Fontaine Agam © Alain Amiel

On continue sur la rue et alentours où on constate que pas mal d’autres immeubles bahaus sont en mauvais état et auraient besoin de réhabilitation. On visite le petit Musée du Bahaus, en fait une boutique avec au premier et deuxième étage des expositions de photos des plus beaux bâtiments.

Comme c’est samedi, presque tous les musées sont fermés, mais pas le musée d’art.

On s’y rend en traversant une bonne partie de la ville. Il fait très chaud, mais heureusement, le long des immeubles plus classiques (années 60 et 80), il y a des promenades ombragées.
L’architecture du Musée est superbe, un genre de vaisseau de pierre design situé au centre d’architectures contemporaines, un beau quartier émaillé de sculptures monumentales.

Le musée est immense, les circulations offrent des points de vue géométriques que n’aurait pas réfuté les membres du Bahaus et les grandes salles sont remplies de chefs d’œuvre.

Tel Aviv Museum of Art © Alain Amiel

L’art moderne est représenté par tous les grands noms de l’Impressionnisme : Monet, Cézanne, deux van Gogh de la période de Saint Rémy, des superbes Archipenko, les plus beaux que j’ai vus, des Picasso, des Renoir, etc. De magnifiques collections dues pour la plupart aux riches collectionneurs juifs d’Europe ou des États Unis qui les ont léguées.

Archipenko, relief © Alain Amiel

L’art contemporain est aussi d’une grande richesse avec une construction en vélos de Al Wei Wei, le maître chinois, un bel assemblage de photos pendues au bout de ficelles de Annette Messager, un beau Warhol, un grand et superbe Kiefer... Des beautés..

Kiefer, peinture © Alain Amiel
Al Wei Wei, installation © Alain Amiel

Certaines salles sont consacrées à des artistes israéliens actuels comme Agam et d’autres que je découvre comme Reed.

Au sous sol une grande exposition d’œuvres faites de n’importe quoi de Vik Muniz (“Images from anything”).

Avec des pigments, des perles, du sable, des jus, des détritus, et toutes sortes de matériaux plus ou moins reconnaissables, il reconstitue les chefs d’œuvres de l’art : immense Venus de Botticelli en déchets venant directement des décharges, la Grande Jatte en pièces de puzzle géants, Jackie Kennedy en faux diamants, un portrait de Freud en chocolat, etc. Une expo réjouissante par sa démesure et la démonstration qu’on peut faire de l’art avec n’importe quoi. Un film tourné dans la plus grande décharge du Brésil montre Muniz en train de créer une image de plusieurs milliers de mètres carrés en faisant travailler tous les éboueurs qui vivent autour et gagnent leur vie en recherchant tout ce qui serait encore vendable - le dernier degré de la récupération.

Freud en chocolat de Vik Muniz © Alain Amiel

Le musée est trop grand, il nécessiterait plusieurs visites. On continue à se promener dans les salles d’un pas plus rapide.
Déjeuner tardif sur un très bon restaurant au bord de mer (le Menta Ray) découvert par hasard mais il était dans le Routard, considéré comme le meilleur pour le poisson (les mezzés sont aussi excellents).
Après un bon repos, premier bain sur la plage à la tombée de la nuit au pied de la vieille ville de Jaffa. Il y a encore plein de monde, les gens s’amusent, les chiens gambadent dans l’eau, la lumière est turnerienne.

Retour à l’appartement. On envisage de ressortir mais... les sirènes hurlent fort. On ne sait que faire.

On se met à la fenêtre pour voir si les gens bougent, mais rien. Dans l’immeuble non plus. Re-sirène... Puis boum et reboum.. Bruit d’explosions. On aperçoit une lueur qui se déplace d’est en ouest dans le ciel puis deux autres (les missiles, je suppose) qui se dirigent vers la première. Ça doit passer ensuite derrière les nuages car on ne voit plus rien. Un instant plus tard, boum. On suppose que les missiles du dôme de protection ont abattu la roquette. Il a du y avoir trois ou quatre roquettes sur Tel Aviv - confirmé par le site Internet Isranews en français sur lequel on se précipite pour avoir des infos.

Du coup, inquiets, on décide de ne pas sortir. Je reste encore devant l’ordi pour suivre sur Internet ce qui se passe, mais plus rien, pas d’autres sirènes.

On se met au lit.

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