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HOMMAGE : Décès de Sosno

L’artiste Sacha Sosno est décédé mardi soir.
Voici l’article d’Alain Amiel, éditeur et auteur, ancien assistant de Sosno, publié dans le magazine Art Côte d’Azur il y a un an.

Sosno, Oblitération jaune, 1974
Gouache sur papier photographique
© DR

SOSNO, DE L’OBLITERATION

« L’oblitération interrompt le silence de l’image ». (E. Lévinas)

Les premières oblitérations de Sosno ont été réalisées à partir de photos prises lors d’un reportage de guerre au Biafra et au Bengladesh en 1967-68.
Comment montrer le réel insoutenable si ce n’est par l’ob (sur) - litération (lettre) ?

En recouvrant la lettre, et par extension toute représentation, l’oblitération trouble le réel. L’atrophiant par des traits noirs, des barres, elle le rend partiellement illisible, ce qui, paradoxalement, attire l’œil.

Ce "piège à regard" appelle l’imagination à reconstituer l’ensemble en construisant mentalement non seulement la partie manquante, mais sa totalité. Une totalité que chaque individu appréhende avec son imaginaire particulier. Libre à lui d’imaginer quelque chose de non convenu ou d’inattendu à la place de la partie cachée.

Si l’oblitération va dans le sens d’un désir de reconnaissance, Sosno offre la possibilité à chacun de créer son propre "représentant de la représentation", un jeu pour l’esprit qui aime bien ça.

Moins on en montre, plus on donne à voir. L’objet oblitéré est ainsi rendu plus désirable que s’il était complet car il en représente symboliquement un autre. Le spectateur est ainsi invité à participer à la création. Une preuve de plus s’il en fallait, que l’art est bien dans l’œil du regardeur (Duchamp) et pas seulement dans celui de l’artiste.

L’objet ou l’image représentés et la forme utilisée pour cacher (les deux termes de l’oblitération) se retrouvent d’abord dans ses peintures (Sosno peignait avant de rencontrer Yves Klein et Arman qui l’ont ouvert à un art différent, prenant en compte l’objet).

Sur des toiles représentant des paysages, des feuillages, ou sur des reproductions d’œuvres, il pose ses objets oblitérants : cadres, cibles, chiffres, etc., un vocabulaire graphique toujours renouvelé.

Très rapidement, son approche s’ouvre à d’autres champs et particulièrement à la sculpture. Travaillant sur des bustes ou des statues antiques devenues références de notre mémoire collective (Vénus, Apollon, têtes d’empereurs, athlètes, etc.), il revisite la mythologie gréco-romaine et ses formes devenues archétypes de notre civilisation. Parallèlement, il s’ouvre à des signes plus contemporains : flèches, points d’exclamation, cadrages et, récemment, à des animaux : un cheval chinois à Pékin, une vache…

Cet art mettant en œuvre des matériaux complexes à manipuler nécessite une maîtrise technique. Celle-ci intéresse le sculpteur qui aime se rendre dans les carrières de Carrare ou à Pietrasanta, choisir son marbre, assister à la découpe des lames ou des blocs. Dans cette même région, il fait fondre ses bronzes, travaille avec le fer, l’aluminium, des matériaux composites.

De la sculpture monumentale à l’architecture, le pas est franchi depuis les années 80 où Sosno propose la réalisation de sculptures habitées.

En 1997, associé aux architectes Francis Chapus et Yves Bayard, il travaille à la "Tête au Carré", une sculpture monumentale de 30 mètres de haut qui accueille l’administration de la Bibliothèque Louis Nucéra, la BMVR niçoise (Bibliothèque Municipale à Vocation Régionale).

Depuis son inauguration en 1998, le bâtiment qui fait signe dans la ville, donnant à voir de l’art contemporain à tous, est devenu un des symboles forts de la cité.

Sosno, Intervention à image constante, 1974
Point objectif noir (Rue des Thermopyles)
© DR

On peut s’étonner que ce concept si évident n’ait pas fait florès à Nice ou dans le monde. Comment expliquer que les architectes ou les maires qui sont de fait, depuis les lois de décentralisation, les prescripteurs (pas toujours qualifiés) de notre environnement, n’aient pas suivi cette proposition ?
Par l’augmentation des coûts ? L’argument économique ne joue pas, l’art ne coûte pas plus cher et apporte une plus value réelle. Le musée Guggenheim de Frank O. Gehry à Bilbao a fait la démonstration que l’art peut non seulement changer une ville, mais devenir un important vecteur économique de développement.

L’adéquation de la forme au contenu n’est pas plus pertinente. Rien n’indique que l’homme est fait pour vivre dans des maisons carrées, d’autant que les technologies actuelles (informatiques et matériaux) apportent des solutions ingénieuses et moins coûteuses en énergie.

Le peu de projets novateurs ou d’initiatives originales pour donner un autre visage à nos villes indiquerait-il le manque d’imagination ou de courage de nos décideurs ?

En tous cas, reste ouverte la proposition de Sosno de créer un nouvel art-chitecture qui associerait (comme dans le projet du Bauhaus) des artistes de toutes disciplines, des architectes, des art-tisans et des techniciens tous motivés par des créations innovantes.

Tête au carré bleue, Sacha Sosno
© Guillaume Laugier

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