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CHRONIQUE 36 : Connaissez-vous le Groupe 70 ?

Les dernières chroniques étaient toutes consacrées aux artistes dits « atypiques » de l’Ecole de Nice pour lesquels aucune Chronique personnelle n’avait été réalisée. On put voir tour à tour leurs spécificités et leurs apports respectifs. Terminons ces rencontres par un groupe cette fois.
Original, le Groupe 70 -ce rassemblement certes éphémère- le fut également. Son histoire était partagée par quelques érudits, elle commence cet été à (re)faire surface dans deux expositions sur la Côte. Pourtant il comprend 5 artistes incontournables qui ont participé et participent du renom de l’Ecole de Nice.

Les artistes du Groupe 70 - Vivien Isnard, Louis Chacallis, Serge Maccafferri, Martin Miguel, Max Charvolen- se reconnaissent à une particularité. Ils remettent en cause le tableau de chevalet dans son « acception bourgeoise » ! Toutefois ils utilisent, contrairement à l’attitude du Groupe Zéro -ce mouvement international des années 60 initié en Allemagne- ou au Nouveau Réalisme, des outils et des techniques proprement picturales.

Max Charvolen, Villa Fragonard Escalier, 1988,
coll MAMAC (photo Séverine Giordan)

A travers une critique virulente de « l’illusionnisme de l’art » et surtout de l’Ecole de Paris, ils mettent à plat les constituants matériels de la peinture – la toile, les couleurs, le châssis - et les différentes étapes spatio-temporelles de fabrication de l’œuvre. Seul compte pour eux le résultat plastique.
Cette mise à nu de la peinture aboutit à la désacralisation de l’oeuvre d’art et du statut de l’artiste. Les notions de « talent » et « d’expression » sont évacuées au profit du « processus de création ».

Influencés par Simon Hantaï qui mit au point la toile pliée, froissée puis colorée, par Marcel Alocco -le théoricien de l’Art comtemporain- et par Claude Viallat de Supports-Surfaces - dont ils ont été majoritairement les élèves à l’Ecole des Arts Décoratifs de Nice - l’oeuvre est déterminée exclusivement par ses composantes matérielles. Les outils et moyens mis en oeuvre conditionnent la forme, le format, la composition et les couleurs de l’oeuvre ; ils deviennent image, et non plus le support d’images.
La toile libre - sans châssis - et la couleur détachée du dessin et de la touche illustrent la libération de la pratique picturale de ses carcans ; elle offre de nouvelles possibilités de manipulations, de colorations...

« La Maison des Artistes de Cagnes-sur-Mer a présenté, du 29 mai au 14 juin cinq jeunes Niçois : Chacallis qui place une même matière dans des situations différentes afin d’en retrouver la structure et le caractère fondamentaux ; Charvolen qui découpe de façon systématique et répétitive, dans des tissus teints, ou suivant leurs contours, une même forme, puis, au moyen de pliages, oppose l’envers du tissu à l’endroit, dont la pigmentation est différente ; Isnard dont la lecture globale de formes peintes sur la surface de bobines ou d’écheveaux de corde se transforme en une lecture linéaire lorsque cette corde se déroule ; Maccaferri qui crée des équivalences entre les trames et des systèmes de numérotation lui permettant de procéder à des substitutions, des permutations ou des absences ; Miguel qui se sert de la projection d’une forme sur une surface pour recréer entre la forme d’origine et sa projection un champ virtuel, ou "champ mental", concrétisé parfois au moyen d’« écrans » ou d’obstacles placés dans le champ et sur lesquels celui-ci s’imprime. Pour ces cinq Niçois « il ne s’agit pas de plaire (d’être conforme) mais d’être le moteur d’une lecture, ou mieux, produire le mécanisme d’un lire ». La simplicité extrême des matériaux utilisés témoigne du caractère démonstratif de cette démarche. Matériaux choisis selon les besoins propres aux problèmes évoqués, sans référence à une esthétique particulière ; la beauté, si elle apparaît parfois, n’est plus que le fait d’une coïncidence. Ainsi n’est-il plus question de langage d’expression (communication fondée essentiellement sur la subjectivité) mais d’un langage / expression dont ils visent à analyser l’articulation ; le rapport signe/convention ou code et la transmission de ce signe. »

Sabine Gowa, Art vivant, N°21, juin 1971

La Genèse

En 1968, Raphaël Monticelli et Marcel Alocco forment le groupe INterVENTION afin de créer un lieu de recherche, de discussion et de débat sur le statut de la peinture et de l’artiste, mais aussi sur le monde. Ce n’est pas anodin si le groupe se forme en 1968 !.. Leurs visées théoriques prennent la forme d’une revue éponyme.
L’année suivante, le groupe réunit les deux co-fondateurs ainsi que Noël Dolla, Serge Maccaferri, Martin Miguel, Patrick Saytour et Claude Viallat. Après une exposition à Rome, la bibliothèque municipale de Tours invite des artistes de l’Ecole de Nice et de INterVENTION à une manifestation intitulée Environs 1 : Origine Nice1.
En 1970, la galerie Ben Doute de Tout accueille des futurs membres de Supports/Surfaces, BMPT et du Groupe 70 autour d’une exposition intitulée De l’unité à la détérioration.
Alors que se forme Supports/Surfaces, Raphaël Monticelli présente à la galerie Alexandre de la Salle à Saint-Paul de Vence INterVENTION 70 avec la participation d’Alocco, Charvolen, Dolla, Maccaferri, Miguel et Osti.

Le Groupe 70 lors de sa création,
Affiche de l’exposition éponyme à la Galerie Sapone (2011)
De gauche à droite : Vivien Isnard, Louis Chacallis, Serge Maccafferri, Martin Miguel, Max Charvolen

Suite à cette manifestation, Charvolen, Maccaferri, Miguel ainsi qu’Isnard et Chacallis décident de créer le Groupe 70, dans l’appartement de ce dernier au Vieux-Nice. Toutefois, il faut attendre l’année suivante, sous l’initiative de Marcel Alocco, toujours omni-présent, pour qu’une exposition réunisse tous les membres du groupe, lors d’une exposition éponyme toujours dans l’appartement de Louis Chacallis, 29 rue de la Préfecture au Vieux Nice !

Affiche de la première exposition du groupe (1971)

Démarche et évolution

Débute alors une série de manifestations. En 1972, le Groupe 70 est présent au Musée d’Art Moderne de Céret pour Impact II auprès de Supports/Surfaces. 1973 marque, d’une part, la participation des artistes à la 8ème Biennale de Paris et à Signal/Grasse 73 et d’autre part, le départ d’Isnard et Chacallis qui décident de poursuivre leurs démarches de manière individuelle.

L’année suivante, le Théâtre de Nice les accueille cependant tous cinq pour Aspects de l’avant-garde en France, avec, entre autres, Flexner, Messager, Gina Pane et Pincemin. Le groupe expose également à plusieurs reprises à la galerie Rencontres à Paris (en 1973 et 1974) et chez Ben, lors de INterVENTION 73 à la galerie La Fenêtre avec Alocco, Dolla, puis dans le cadre des Pour ou Contre chez Malabar et Cunégonde, dans sa maison à Saint-Pancrace en 1974.

« Ainsi le "Groupe 70" partageait avec un certain nombre d’artistes, regroupés ou non, des préoccupations mettant en jeu la situation de l’œuvre (son "ex-poser") et, dans leurs pratiques, le rapport matériel du pigment au subjectiIe en leurs divers constituants. Mais eux prenaient en compte plus particulièrement les effets de tensions, d’épaisseurs, de renversements ; ce qui allait les conduire rapidement à s’intéresser de façon concertée à la plasticité dans son implication à "l’ex-poser", donc à l’espace réel dans lequel se déploie la couleur et ses supports, dans le même temps où la pratique picturale prenait le pas sur le modèle pré-texte pour devenir le modèle de la peinture. Si cette propension à occuper l’espace, à développer la couleur en trois dimensions, a été évacuée ou atténuée chez les démissionnaires, le "Groupe 70" actuel (Charvolen, Maccaferri, Miguel) persiste dans cette exploration, tandis que ChacalIis a développé une gestualité appliquée à des modèles mythiques (Indiens, Derviches...) et Isnard une peinture simulant la figuration... L’exposition présentée cet automne 1986 par la Galerie Archétypes permettra, avec un aperçu des travaux récents de ChacaIlis, Charvolen, Isnard, Maccafèrri et Miguel, de raviver dans nos mémoires leurs itinéraires et d’apprécier les écarts personnels survenus durant cette longue période, pour repenser peut-être plus précisément la place de chacun d’eux dans les arts plastiques depuis une quinzaine d’années. »

Marcel Alocco, Kanal, n° 25 (Octobre 1986)

En 1976, une exposition regroupe les trois membres « phares » (Charvolen, Maccaferri, Miguel) chez Alexandre de la Salle. Parallèlement, le Groupe 70 contribue aux expositions génériques de l’Ecole de Nice comme l’Ecole de Nice 1963-1973, organisée par Jean Ferrero dans son Studio photo, Ecole de Nice ! 10 ans, 1967-1977, à la Galerie de la Salle à Saint-Paul de Vence, A propos de Nice, au Centre Georges Pompidou à Paris en 1977, puis Autour de Nice... à Acropolis à Nice, en 1985.

Louis Chacallis, Catalogue de l’Exposition "Fiction", à la Galerie d’Art Contemporain des Musées de Nice, 24 mai au 27 juillet 1986

Avec l’ouverture du MAMAC, c’est donc tout naturellement que les oeuvres de ce mouvement sont présentées dans la minuscule section niçoise. En 1986, la galerie Archétypes, dirigé par Frédéric Altmann revient sur cette mouvance avec une exposition intitulée Il était une fois le Groupe 70...

Vivien Isnard, Sans titre, 1987,
Coll MAMAC (photo Séverine Giordan)

Il est vrai que cette histoire fut quelque peu oubliée, peu d’expositions et d’ouvrages étaient revenus sur ce moment fort alors qu’il est manifeste que ce groupe est représentatif d’une époque. On peut ainsi apprécier la tentative actuelle de la Galerie Sapone de présenter le groupe dans son entier, malgré son dépouillement muséologique et l’absence de clef de lecture ...

Le groupe 70 au MAMAC (avec Dolla et Pagès)

2011. Chacallis, Charvolen, Isnard, Maccaferri, Miguel, Galerie Sapone, Nice
1992 Charvolen, Maccaferri, Miguel, Fondation Sicard-Iperti, Vallauris.
1991 "Au Sud : Groupe 70 et Support Surface", Galerie Athanor, Ateliers municipaux d’artistes, Château de Servière, Marseille.
1990 Charvolen, Maccaferri, Miguel, Maison des Artistes, Château de Cagnes sur Mer.
1988 "Groupe 70" (Charvolen, Maccaferri, Miguel), Galerie éditions du Faisan, Strasbourg.
1985 "Il était une fois le Groupe 70", Galerie Archétype, Vieux Nice.
1976 Groupe 70 et Raphaël Monticelli, Galerie Dépôt, Bourges.
1975 Galerie de la Salle, Saint Paul de Vence.
1974 Galerie Botello, Turin et Galerie Chez Malabar et Cunégonde, Nice.
1973 Galerie Rencontres, Paris.
1972 Goethe Institut, Marseille.
1971 Groupe 70, Vieux Nice ; Maison des artistes, Cagnes sur mer ; Théâtre de Nice.

Principales expositions du Groupe 70

Suite à la prochaine Chronique pour rencontrer chaque artiste du Groupe 70


A partir d’octobre 2011, cette Chronique se consacrera progressivement aux nouveaux artistes qui travaillent à Nice.

Pour en savoir plus

A. Biancheri, A. Giordan, R. François, L’Ecole de Nice, Ovadia, 2007

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