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CHAPITRE 15 (Part V) : Chronique d’un galeriste

Suite de la chronique d’Alexandre de la Salle

Suite de mon essai « Du noir aux noirs » dans le catalogue de l’exposition des Ponchettes :
II - Le noir, à travers siècles et ethnies, a toujours possédé une charge symbolique et émotionnelle considérable,
Il est associé aux manifestations de la douleur, de la mort, à la magie, noire, bien sûr. Il revêt, psychologiquement, ses plus som¬bres atours, pour mettre en scène chagrins, deuils, grandes mes¬ses aux orgues terrifiants, catafalques noirs, tirés par les chevaux noirs de l’Apocalypse. Le magistrat, l’avocat, le bourreau, sont ainsi masqués, et le prêtre, intercesseur obligé des processus nocturnes et mortels. Ils ont tous pris le noir en otage, pour, solen¬nellement, de toutes les terreurs, tatouer le Monde.
Quant à la femme, le deuil en fait la pure image d’une déréliction théâtrale, qui, ipso facto, la rejette aux marges du monde, où elle va, seule, incarner et épuiser la douleur. Pas la sienne, bien sûr, mais l’abstraite, l’universelle Douleur. Celle qui, sous son grand voile, masque tout.
Bref, le noir prend alors figure tragique, solennelle, inquié¬tante. Sans doute le fallait il alors, afin d’exorciser une réalité trop insoutenable pour que l’on ne la maquillât point. Le grandiose tragique...

Alberte Garibbo le 31 mai 1996 à son vernissage Galerie Alexandre de la Salle « Feu et cendres »

III - LE NOIR, (une non couleur !) en peinture, recouvre alors, indistinctement, l’ensemble de ses variations possibles, du sombre jusqu’à la Ténèbre absolue. On n’en fait pas, encore, l’infinie succession des noirs, qui fera éclater cette limite symbolique, en deçà de laquelle on baigne, dans l’incantatoire, le maléfique, et la mort. Plus qu’une couleur, le noir était en quelque sorte un Lieu, chargé d’intenses émotions, qui s’effaçait pour ainsi dire derrière lui même, camouflant ainsi les structures de mentalités largement pré logiques. D’aucuns diraient les structures « inconscientielles » de l’Homme d’un Temps.

« Yama » Catalogue Exposition Alexandre de la Salle (1994)

IV - Les grands peintres peu nombreux par delà le sujet, ont su user de toutes les ressources, nuances, et résonances du noir : du sec au velouté, des ombres aux lumières, du dramatique au somptueux. Vélasquez, Hals, Manet... LE noir ? Il n’y a plus que DES noirs, innombrables en leurs savantes déclinaisons.
Avec Alberte Garibbo, on atteint à l’acmé de cet éclate¬ment, de ce processus. Je veux dire qu’elle s’est installée en leur cœur, et, là même où la nuit parfois se zèbre d’éclairs de feu ou d’argent, comme d’une lave qui, de la terre, sourdrait.
Plus que personne, elle sait maîtriser les subtilités, les aléas du travail des noirs, et, en véritable sacerdoce, elle s’est entièrement consacrée à cette Étude. Comme pour les grands pianistes, sa maîtrise assumée et donc oubliable lui permet de pratiquement toujours atteindre le but qu’elle se fixe. Quand cerveau et mains, parfaites, ne sont plus qu’une seule et même Puissance, alors elle n’est plus que cet être là qui peint, qui de peindre Existe, qui peint ce quelque chose qui est, à proprement parler, l’univers interstellaire, lieu sombre et sans limite, où nulle lumière ne parvient, étoiles au point réduites, nulle planète n’y émulsant ses haleines.
C’est dans la trame même de son peindre, de ses noirs, que surgissent, par accumulations d’infimes couches, d’autres noirs, plus noirs encore, comme pour illusionner vers le « moins noir » des noirs parfaitement noirs, De là naît cette profondeur plus qu’océanique : la pré-tention est grandiose d’aller ou fond d’un cos¬mos sans fond !
Cependant, peintre averti, la surface, le travail de la surface, sont ici rigoureusement respectés. Tout est Là, sur la surface, à sa dis tance, à sa place, mais, à peine donnée comme surface, c’est comme si, par l’arrière, le fond, elle implosait vers l’inaliénable profondeur que j’évoquais. Alors le regard se laisse fasciner, et emporter, vers l’insondable, et les noirs ne sont ici connotés d’aucune mélancolie, d’aucun drame : ils sont dynamiquement dimension absolue d’un monde physique. Alberte Garibbo, ou la métaphysique du noir. (Mars 2002 Alexandre de la Salle)
Voir Sylvie Chaloye : « Interdits et représentations du noir au siècle des Lumières ».

Et dans le catalogue de l’exposition de 2005 au Vieux Presbytère de Gorbio, un lieu sublime, j’ai pu ajouter ceci, sur la question de la Peinture. Alberte et la Peinture… c’est bien de cela qu’il s’agit… :
Loin de peindre des « objets dans la lumière », Alberte Garibbo peint un tableau qui est lui même un « objet dans la lumière »… etc.

Exposition aux Ponchettes (2002)

Gorbio ou le ciel étoilé
Et France Delville, elle, a développé un rapport étroit entre l’œuvre, d’Alberte et Gorbio, sa magie méditerranéenne : … C’est avec la patience du moine qu’elle cligne ces graphies de cultures fossiles sans doutes vitales à notre survie, nouveaux registres d’un code d’Hammurabi qui vient, dans les hauts murs de Gorbio, rappeler la nécessité de l’ordre fait de clarté et de rigueur sans défaillance qui était celle de l’art sumérien, mais prise cette fois dans une recherche picturale où ce sont les contrastes eux mêmes, les jeux de peinture, qui créent le langage de la loi du monde : entre l’obscur et la lumière, entre le jour et la nuit, des éclats de porcelaine comme signaux du Vivant. (France Delville, extrait)

« Crépuscule » (1986)

Noir immaculé
Et dans le catalogue de l’exposition Alberte Garibbo à la Galerie Sapone, intitulée « Noir immaculé » (7 décembre-26 janvier 2008) paraît aussi un texte de moi intitulé « Réflexion sur l’étendue », avec, en marge, des haï-kaï de Hugo Caral. Titre : Question de méthode : cerner cet « objet dans la lumière » qu’est un tableau, noir, d’Alberte Garibbo, et qui finit par :
Pour le dire enfin ! elle aura su penser, plus que quiconque, l’infinie suc¬cession des noirs et ainsi transcender les limites jusqu’alors assignées par l’Histoire.
Le Noir enfin rendu à l’Espace, au Temps, à la Couleur.
Déclinaison des noirs qui orchestrent l’infini de l’Etendue.
Le savoir : Alberte Garibbo ne se sert pas DU noir : par SES noirs, elle sert Le Noir, prodigieuse accumulation des grains invisibles qui font l’Etendue. Elle s’est installée, seule, au cœur d’une géométrie noire transcendantale, réflexion jamais close.
A cette Hauteur chaque grand peintre invente sa technique : ici Moyens et Fins ne sont qu’un.
Les noirs ici sont, dynamiquement, dimension absolue d’un monde physique.
La tragédie est grandiose.

Catalogue Galerie des Ponchettes (2002)

IV - ADDITIF
Voir, revoir les derniers tableaux d’Alberte Garibbo ceux de son exposition, à Nice , chez SAPONE :
D’emblée leur impact visuel surprend, en même temps, que déjà il s’impose.
La surface s’y donne apparemment comme un chaos Ordonné, tant les carrés initiaux bouleversent leur Ordonnancement.
Surfaces majorées : champ intermédiaire libéré, comme pour une respiration.
Surfaces diminuées, les rythmes se précipitent, signe, dirait on, d’un désordre et d’un rassemblement, d’une sorte d’impatience de la matière fusionnante. Pourtant tout ici est d’une lumineuse évidence : simplement l’angle d’attaque a changé. Mais cette autre donne obéit à la même rationalité sensible, au même imperium du travail de la surface.
Autre infléchissement structurel, l’apparition de diagonales. Elles induisent nécessairement une segmentation particulière de l’espace. Mais obéissant à la même recherche d’une « perfection » seule à même, ici, pour ce travail, d’atteindre au tableau Achevé, plus rien à ajouter, plus rien à retirer. Une sorte de « sans fin » inaccessible, mais pour Alberte Garibbo, précisément Assignable. Défi tenu, la grande voie est dégagée... (Alexandre de la Salle - Cagnes-sur-Mer, Février 2007)

Des haï-kaï de Hugo Caral dans la marge, ceux-ci :

Epuiser l’inépuisable
de bord à bord la peinture

Il est l’Etre là
vertigineusement là
tableau sans limite

Le Temps aboli
gris et blancs servent le noir
L’étendue s’étend

Longue mise en place
la grille géométrique
l’étendue veut naître

Il se fait se défait
sans fin se refait
l’Univers sue l’Univers

Comme si le Temps
sur l’Univers s’effaçait
mortelle étincelle

Atelier Nice 2002

Et bien sûr il faut finir par une phrase d’Alberte, qui le dit si bien si bien :
Comment connaître l’indicible ? Fascination de ce qui est et de ce qui n’est pas, de ce qui émane des Etres, des lieux et des choses. Parcours de ce chemin en soi qui ouvre des abîmes mouvants, vertigineux, infinis. Recherche de cette présence ou de cette non-présence qui se situe derrière, toujours insaisissable, fuyant dans les limbes de la conscience. Noir couleur, noir lumière, noir de tous les vertiges et de tous les mystères. (Alberte Garibbo)

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