| Retour

Art trip

Le week-end dernier, sous un beau soleil, Marseille accueillait deux Salons : Art O Rama et Pareidolie (premier Salon du dessin contemporain) ainsi que plusieurs événements : la Nuit des galeries, vernissages d’expositions, etc. Art Côte d’Azur avait le devoir d’y être.

Arrivés à Marseille, rendez vous avait été pris dans l’atelier de notre ami ex-niçois Miodrag Tasic qui nous présente sa dernière et plus grande sculpture, un cercle de plus de deux mètres où s’inscrit un de ces personnages énorme au sens de Jarry, mafflu et joufflu, dont il a le secret.

Un acrobate impossible mais très à l’aise dans son corps, qui pose un regard dubitatif sur le monde tout en se préparant à faire tourner la roue et donc lui même. Au delà de la figure, ce qui est impressionnant, c’est le travail exceptionnel de finesse de la sculpture en cire, Miodrag ne se facilitant pas la tâche avec les plis, replis et surplis de son personnage.

Atelier Tasic © Alain Amiel

Après un déjeuner en sa compagnie, nous nous rendons à la Cartonnerie pour visiter Art-O-Rama, le Salon organisé à la Friche Belle de Mai, un immense lieu ou œuvrent des dizaines d’artistes et de structures consacrées aux art actuels (un bon restaurant aussi).

Cette année, Art-O-Rama regroupe une petite vingtaine de galeries européennes très pointues, plusieurs belges, des parisiennes, allemandes, espagnoles, sélectionnées sur la base du projet singulier qu’elles proposent de développer pour le Salon.
L’ambiance est plutôt minimale. Pas de grandes pièces très colorées ou de sculptures géantes, mais des travaux fins, s’adressant au sensible et à l’intelligible.

Art-O—Rama, Galerie Nogueras Blanchard, Barcelone|, Madrid © Galerie Nogueras Blanchard

Visite ensuite au MAMO, sur la terrasse du Corbusier occupée par la superbe installation colorée de Buren.

Dans l’ex-salle de gymnastique, un sol en miroir renvoie le toit et le mur à carreaux de couleurs, refermant ainsi l’ensemble en une forme cylindrique qui reflète en même temps l’image du regardeur. L’impression de se mouvoir dans un cercle coloré, ajoutée au vertige, est fascinante.
Sur la terrasse dominant la ville d’un côté et la mer de l’autre, des carrés de différentes couleurs et des miroirs obliques démultiplient l’espace. Au sol, des petits volumes de différentes hauteurs couverts de barres noires et blanches ou de couleurs claires, très caractéristiques de l’œuvre de Buren complètent l’ensemble. Une installation somptueuse, rafraichissante et joyeuse.

MAMO, Buren © Alain Amiel
MAMO, Buren © Alain Amiel

Au cinquième étage du célèbre immeuble, dans une des cellules d’habitation (516), Audrey Koulinsky nous fait visiter sa demeure après qu’elle ait été "habitée" par Claude Lévêque une dizaine de jours.

L’artiste a eu le droit avec certaines contraintes de modifier l’appartement en l’habillant de petites sculptures (joueurs en bois de babyfoot sous verres à whisky), de tubes colorés composant des maximes, d’une tente où tourne à l’intérieur une lampe, d’une corde sur laquelle sont pendues des dizaines de couverts, etc.

La propriétaire aime y recevoir (l’été seulement et sur rendez-vous) des visiteurs intéressés par l’architecture et par les artistes où écrivains qui revisitent le lieu. Une initiative originale, moderne, destinée au partage d’émotions, de réflexions, ouverte au dialogue.

Cellule 516, installation de Claude Lévêque © Alain Amiel

Retour en ville, à la galerie Porte-Avion de notre ami Jean-Jacques Le Berre, une des plus dynamiques de Marseille.

Par hasard, nous garons notre voiture juste devant la galerie et en tournant la tête, nous sommes frappés par l’installation, visible de la vitrine, qui occupe l’ensemble de la galerie. Nicolas Rubinstein, l’artiste, est un personnage tout aussi remarquable que son œuvre faite de grosses vertèbres (fausses) assemblées autour de roues de bicyclettes et articulées entre elles. L’ensemble tourne, une grande mécanique où les vertèbres, tels des engrenages, s’entraînent les unes les autres. Le vélo à pédalier qui fait mouvoir l’ensemble a son cadre constitué de grands os et la fourche appuyée sur deux gros Larousse de 1922. Au-dessus de cette monstrueuse mécanique, plusieurs cerveaux volants à ailes de chauve-souris semblent planer et deux d’entre eux semblent avoir atterri dans un vieux berceau en fer.

L’artiste, après avoir étudié la géologie et travaillé pour le cinéma (accessoiriste) avant de devenir sculpteur, œuvre sur la transmission, sur l’invisible (au sens de ce qui est caché sous la peau) et sur l’histoire. Une œuvre passionnante qui nécessitera un interview plus complet.

Galerie Porte-Avion, Installation Nicolas Rubinstein © Galerie Porte-Avion

Visite ensuite à la galerie de Didier Gouvernec Ogor (un ex-assistant de Lambert qui a ouvert il y a trois ans cet immense lieu).

On y découvre le très intéressant travail graphique de Timothée Talard. De grandes compositions aquarellées évoquant des univers liquides et des assèchements, face à de grandes surfaces colorées aux monochromies imparfaites et changeantes. On est dans l’infra mince duchampien, aux limites de la peinture où insinuer, symboliser est plus important que montrer.
Dans une deuxième grande salle à côté, des écritures sur panneaux lumineux délivrent des messages poétiques.

Galerie G. Ogor, Talard © Galerie G. Ogor

Dans la récente galerie de Karina Célestin, adjacente à la Canebière, de surprenantes compositions florales sont présentées.

Elles ne trouvent leur sens qu’éclairées par le discours de l’artiste Kapwani Kiwanga, pariso-tanzanienne qui œuvre sur les croyances africaines et la transmission impossible des cultures. Les bouquets présentés sont des reconstitutions d’après photos de ceux qui avaient été réalisés à l’occasion des rencontres France-Afrique, chacun prenant un sens particulier lié au type et à l’importance des réunions. Selon l’artiste, on apprend beaucoup en se focalisant sur ce qui apparaît comme des détails mais qui en fait sont chargés de symboles complexes porteurs de sens.
Préoccupée par l’absence d’objets transmis d’un siècle à l’autre, Kiwanga recherche le peu de traces restantes de l’histoire des peuples ou des ethnies colonisées. Un film la montre nettoyant les feuilles d’un arbre, faisant resplendir leur verdeur. Une intervention métaphorique sur la nature elle-même pour la mettre en valeur et montrer ses beautés enfouies.
"La culture est pour une communauté ce que la fleur est pour une plante. Elle est le résultat d’un processus complexe et porte en elle l’avenir ».

Galerie Karima Celestin, Kawanga, Bouquet ©P.Munda 2014 , vue de l’exposition "Fallible witnesses" de Kapwani Kiwanga 2014, courtoisie de l’artiste et de la galerie Karima Celestin

Le premier Salon du dessin contemporain Pareidolie, regroupe une dizaine de galeries européennes (Séville, Genève, Bruxelles, Barcelone, Berlin, Nice, Lausanne, etc.) qui présentent toutes des œuvres de grande qualité (une paréidolie est une sorte d’illusion d’optique qui consiste à associer un stimulus visuel imprécis à un élément identifiable, souvent une forme humaine ou animale).

Beaucoup de dessins très intéressants et quelques coups de cœur, notamment chez Michel Barjols, de la galerie Martagon de Malaucène, les dessins très fouillés de Houssin et les "Constellations dérivées" de Jennifer Caubet.

Pareidolie, Galerie Martagon, Houssin © Galerie Martagon

La galerie de Bertrand Baraudou présente le travail impressionnant au feutre noir d’Emmanuel Régent qui, partant d’une photo d’immeubles bombardés, laisse son imagination et son crayon dériver pour évoquer des univers noirs et blancs où la trace de l’outil se fait trait, tâche, fausse impression. À voir aussi, le travail du niçois Lagalla, jouant avec les codes de représentation, les objets ou les situations quotidiennes, les décalant, exploitant avec humour leurs contradictions et leurs similarités. Tout cela en utilisant un mode d’expression direct, une figuration presque farcesque, référence peut être aux grotesques du carnaval de Nice qui a dû marquer son imaginaire.

Chez Alberta Pane, les vues hystéréoscopiques de Joao Vilhenha. La galerie Chantiers Boîte Noire présente les dessins très fins, d’une grande légèreté de personnages éthérés, entre iconographie médiévale et contes d’enfants et de fantastique de Christian L’hôpital. À l’Atelier KSR, les dessins très noirs de Daniela Huerta... Et beaucoup d’autres travaux à découvrir. Le Salon est très réussi, le public est là, les prix sont doux.

Pareidolie, Galerie Baraudou, Régent © Galerie Bertrand Baraudou

Le MAC, Musée d’Art Contemporain de Marseille, fête le vingtième anniversaire de sa création.

Sont exposées les plus belles pièces de sa très riche collection : plusieurs César, un très beau Pagès, un Tinguely superbe, coloré, mobile avec masques, os, têtes se mouvant dans un bourdonnement de machine déglinguée.

MAC, Tinguely ©Alain Amiel

L’excellente installation de Jàrg Geismar : "Message In the bottle" (comme la chanson) est jubilatoire. Des bouteilles contenant chacune un message de couleur rouge, montées sur des fils nylons transparents constituent un ensemble très photogénique dans lequel on a plaisir à circuler.

MAC, Jàrg Geismar © Alain Amiel

Au gré de la visite, on revoit avec plaisir le "Baiser couteau" et les accrochages de photos d’Annette Messager, l’installation de quatre toiles en carré de Toroni. Une présentation simplissime, juste la toile et la touche, qui nous renvoie au cœur de la peinture.

MAC, Messager © Alain Amiel

Revue aussi avec plaisir la Citroën amincie et la Jaguar envahie de boules de terre de Parent, la sculpture au sol de Penone et une des premières poubelles d’Arman. Des vidéos, des installations, de très nombreuses sculptures complètent la visite.

MAC, Parent © Alain Amiel

Avant de rentrer à Nice, comme tous les dimanches de vernissage, nous nous rendons à l’American Gallery sise dans une jolie villa surplombant la Corniche.

Pamela King, la maîtresse de ce lieu fréquenté par des psy et des artistes, présente dans sa petite salle d’exposition des œuvres généralement très pointues d’artistes internationaux.

American Gallery, Adrià Julià, © American Gallery

Adrià Julià qui œuvre à la Friche actuellement, a travaillé ici sur une parcelle de la mémoire marseillaise. En 1940, la ville a reçu nombre d’intellectuels fuyant le nazisme. La Villa Air-Bel louée par le journaliste américain Varian Fry, a sauvé entre 2000 et 4000 artistes, écrivains et militants anti-nazis en les aidant à fuir l’Europe. Au sein de cette époque troublée, elle aura été pour eux durant quelque temps un lieu de rencontres, d’échanges et de création.

Les deux œuvres présentées par Julià jouent sur une présence-absence sur fond de failles rocheuses de personnages à chapeaux et moustaches. Au sol, une caisse contenant des boules de pétanque, évidemment référencées à Marseille, sur lesquelles ont été gravés des fragments de textes.

Sur la lancée de son année 2013 Capitale de la Culture, le dynamisme culturel de Marseille ne se dément pas.

Photo de Une : MAMO, Buren © Alain Amiel

Artiste(s)