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ROQUEBRUNE CAP MARTIN : Le cabanon de Le Corbusier, une leçon d’architecture

« J’ai un château sur la Côte d’Azur, aimait à dire Le Corbusier, qui mesure 3,66 mètres par 3,66 mètres. C’est pour ma femme, c’est extravagant de confort, de gentillesse ». Appeler « château » un minuscule cabanon en planches à l’intérieur spartiate : une façon paradoxale de voir les choses, bien dans la manière du grand architecte Charles-Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier !
Visite guidée.

Avant le cabanon de Le Corbusier, il y eut déjà la villa d’Eileen Gray, posée dans le site paradisiaque du golfe de Roquebrune dès la fin des années 20 : une villa blanche de style paquebot, respectant les critères de l’architecture moderniste chère à Le Corbusier, et que le grand architecte découvre pour la première fois en 1936. Cette villa est le fruit de la collaboration entre la décoratrice irlandaise Eileen Gray et l’architecte roumain Jean Badovici, fondateur de la revue d’avant-garde l’Architecture vivante. Le Corbusier y vient d’abord en tant qu’invité de son ami Badovici - ce qui lui permet de faire connaissance avec le site. Un site qu’il n’oubliera pas car il y reviendra en 1947, avec les collaborateurs de son agence parisienne, pour préparer de manière agréable durant l’été, un de ses projets pour Bogota. C’est ainsi qu’il sera, avec son équipe, le premier client de l’Etoile de Mer, un modeste snack qui vient de s’ouvrir tout près, construit par un ancien plombier du nom de Robert Rebutato.
Une amitié naît entre le propriétaire de la guinguette et le grand architecte, qui échangent bientôt idées et projets : Rebutato offre un bout de terrain, tandis que Le Corbusier dessine un projet d’unités de camping à louer. Car Le Corbusier est tombé amoureux de ce coin de Côte d’azur et décide d’y venir tous les étés. Sa femme Yvonne est native de Monaco tout proche, et l’endroit est très « people » dans les années 50 : Coco Chanel, Sylvana Mangano, Jacques Brel y ont une villa. Mais Le Corbusier, qui ne fait rien comme tout le monde, va faire le choix d’une demeure minimaliste.

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Visiter le cabanon avec des yeux avertis


Proposée par l’Office du Tourisme de Roquebrune-Cap Martin, la visite guidée du cabanon est devenue un « must » pour les étudiants en architecture du monde entier. Les Japonais par exemple en sont très friands. C’est, entre autres, ce que vous racontera Elisabetta Emina, Guide passionnée de son sujet, et dont une tante a bien connu Yvonne, l’épouse de Le Corbusier, qu’elle décrit comme « très généreuse et exubérante ».
Après avoir emprunté un sentier en pente qui descend vers la mer, on arrive sur le site historique du « cabanon de Le Corbusier ». Et là, point de château, juste une modeste baraque en planches avec une porte et une fenêtre qui trônent face à la mer, sur une étroite bande de terre. La visite de l’intérieur ne révélera aucune richesse particulière… sauf à des yeux avertis ! Une seule pièce partagée en quatre espaces : pour dormir, se laver, travailler, ranger. Le mobilier, fixe et intégré, est concentré contre les parois, dans un mouvement hélicoïdal, accentué par la table posée légèrement de biais.
En y regardant de plus près, les astuces sont nombreuses, les meubles à double fonction : le lit étroit surmonté d’un étrange oreiller sculpté dans le bois, comporte des tiroirs dans sa partie basse, la table à un pied se relève, deux cubes en bois servent de tabourets, un autre plus grand de rangement, un placard se cache dans le faux-plafond, et, devant le minuscule lavabo en inox, une vitre de la fenêtre a été remplacée par un miroir pour se raser. Dernière subtilité, les trois fenêtres, réparties de façon à donner à voir « les règnes minéral, végétal et marin », selon les termes du guide.
Seul luxe, les couleurs : sol peint en jaune, plafond vert et orange pâle et fresque murale à l’entrée signée Le Corbusier.
Et c’est ici que l’architecte mondialement connu est venu en vacances chaque été au mois d’août, durant 18 ans. Tandis qu’il publiait des livres, inaugurait ses plus grands chantiers (Chandigarh en Inde ou la Cité Radieuse à Marseille), exposait ses peintures et donnait des conférences partout dans le monde !

Un prototype de la machine à habiter


Selon la légende, c’est sur un coin de table de l’Etoile de mer et en trois quarts d’heure qu’il dessine les plans de son cabanon : un carré de 3,66 mètres de côté et 2,26 mètres de haut. Une idée farfelue ?
En tout cas, parfaitement cohérente avec la démarche de l’architecte qui « cherche la poésie dans la rigueur », et utilise le nombre d’or pour garder la « taille humaine ».
Quand il invente son « Modulor » - un système de mesures lié à la taille d’un homme (1,83m), le bras levé (2,26m) – Le Corbusier était bien conscient de renouer avec le Nombre d’Or cher aux bâtisseurs de l’Antiquité.
Aussi son cabanon est-il un exercice de style poussé à l’extrême : c’est l’habitation minimale, nécessaire et suffisante, dans laquelle peut vivre un homme, une fois qu’il a su se dépouiller du superflu.
On peut y voir un prototype de la fameuse « machine à habiter », concept corbuséen dont l’objectif était d’« adapter l’architecture à la civilisation industrielle, jeter un pont entre art et industrie ». D’autant plus quand on sait que le cabanon a été construit en Corse, par l’entreprise Barbéris, et amené par bateau sur le site.

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Bref, tout le contraire d’un « château », et surtout pas « confortable ». Mais le fruit d’une démarche très « suisse » finalement – Le Corbusier est né à La Chaux de Fonds, bien que plus tard naturalisé français - dans la recherche d’une austérité absolue.
Autodidacte épris de liberté, en avance sur son temps, Le Corbusier fut, fondamentalement, un créateur, de par son esprit de contradiction qui fait table rase du passé pour proposer une vision neuve de l’avenir. Sont encore aujourd’hui symboles de modernisme les villas blanches sur pilotis, à toit-terrasse et fenêtres en longueur, ou encore les unités d’habitation offrant « espace, lumière, aération, isolation phonique », de même que l’emploi du béton brut et des couleurs vives …
« Ce cabanon est le symbole de la créativité, de la démarche intellectuelle et sociale de Le Corbusier. C’est l’homme Le Corbusier descendu de son piédestal, dont il reste aujourd’hui l’esprit », explique Jean-Louis Dedieu, adjoint à la culture d’une commune très fière de son « monument historique », qui a une chance de devenir bientôt « patrimoine de l’humanité » (réponse de l’Unesco en juillet 2009) !
Le Corbusier s’est noyé le 27 août 1965 juste en face de son cabanon. Il est enterré, près de sa femme dans le petit cimetière du vieux village de Roquebrune, dans une tombe qu’il avait lui-même dessinée : « J’ai un château sur la Côte d’azur » disait-il en parlant d’un cabanon…

Informations pratiques :


Visite guidée le mardi et le vendredi matin sur réservation (OT : 04 93 35 62 87)

8 euros la visite de deux heures, 5 euros pour les étudiants

www.roquebrune-cap-martin.com

www.fondationlecorbusier.asso.fr

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